Que reste-t-il (vraiment) des 35 heures ?

Par Pierre Robillard, Avocat

2018 lectures 1re Parution: Modifié: 4.62  /5

Explorer : # durée légale du travail # heures supplémentaires # aménagement du temps de travail # conventions de forfait

Il aura suffit d’une expression imagée d’un responsable socialiste au début du mois de janvier 2011 pour agiter le microcosme politique et générer un débat de société au sujet de la durée légale du travail. Mais qui sait réellement que, sur le plan juridique, « les 35 heures » sont bien loin de correspondre encore à leur intitulé ?

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Le déverrouillage est-il possible ?

Instituées en deux temps il y a maintenant plus d’une décennie (loi dite « Aubry I » en 1998 puis loi dite « Aubry II » en 2000), « les 35 heures » correspondent à la durée légale hebdomadaire du travail. Cela signifie tout simplement que le temps de travail excédentaire doit être rémunéré avec une majoration salariale (et non pas, selon une idée reçue de l’époque, qu’il est prohibé de travailler plus). Il est cocasse de constater que celle qui avait introduit cette révolution en qualité du Ministre du Travail doit aujourd’hui en gérer l’évolution en tant que très probable candidate à la prochaine élection présidentielle … et même calmer les ardeurs au sein de son propre camp.

Si l’abaissement de la durée du travail de 39 à 35 heures avait pu provoquer, pour une grande partie de la population, les perspectives d’un nouveau mode de vie (s’inscrivant dans le double précédent mitterrandien : passage de 40 à 39 heures hebdomadaires + cinquième de congés payés), force est de constater que la conjoncture économique défavorable en a largement atténué les effets.

De la même façon, le slogan « travailler plus pour gagner plus » n’a, en dépit de la volonté affichée par son auteur, pas atteint sa cible et ne visait de toute façon pas non plus à abroger les 35 heures. Il s’est traduit, sur le plan économique et juridique, par l’instauration d’une déduction de cotisations sociales et d’une exonération d’impôt sur le revenu, d’autant plus incitative qu’elle est cumulable avec d’autres dispositifs.

Sans « déverrouiller » le système, ces évolutions ont entrouvert la porte.

Ainsi, dans les entreprises de moins de 20 salariés, le montant de la déduction correspond à 1.50 € par heure (0.50 € dans les entreprises de plus de 20 salariés) pour les employeurs, tandis que la déduction de cotisations concernant les salariés est plafonnée à 21.5 % ; de surcroît, ces derniers bénéficient également d’une exonération d’impôt sur le revenu sur les rémunérations perçues au titre des heures supplémentaires ou complémentaires (là aussi, sous certaines conditions et plafonds : 25 % pour les 8 premières heures supplémentaires et 50 % pour les heures suivantes).

La loi instaurant ces nouveaux champs (dite « Travail, Emploi, Pouvoir d’achat » ou TEPA promulguée le 21 août 2007) avait provoqué un « appel d’air » d’heures supplémentaires pendant environ les 12 mois suivants, avant une baisse en 2009 et une légère reprise en 2010. Les données les plus récentes publiées par l’ACOSS montrent qu’au troisième trimestre 2010, le nombre d’heures supplémentaires exonérées est en hausse de 5.8 % mais reste inférieur de 3.4 % au niveau enregistré deux ans plus tôt. Pour la période considérée, le volume d’heures supplémentaires représente une moyenne de 9.5 heures par salarié, avec une progression importante dans le secteur de l’industrie (+ 9.2 %, mais le niveau reste inférieur de plus de 10 % à celui observé deux ans plus tôt), vient ensuite le secteur tertiaire (+ 6.3 % après +6.4 % au trimestre précédent) tandis que le nombre d’heures supplémentaires continue de reculer dans les activités immobilières (- 7.9 %) et celles de la finances et de l’assurance (-3.4 %).

La reprise économique serait donc frémissante et l’idée de « déverrouiller » la durée légale du travail pourrait lui donner un nouvel élan.

Mais de quels « verrous » Monsieur Manuel VALLS peut-il donc parler ?

On sait en effet qu’une première catégorie de salariés n’est, de toute façon, pas concernée par les dispositions du Code du Travail sur la durée, le repos hebdomadaire, les jours fériés et la journée de solidarité : il s’agit des « cadres dirigeants » définis par l’article L 3111-2 comme ceux auxquels sont confiées les responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise ou l’établissement. Concrètement, il s’agit d’une catégorie plus étroite que celle des cadres supérieurs, et limitée à un très petit nombre de personnes constituant l’entourage immédiat du chef d’entreprise.

En second lieu, il paraît difficile d’imaginer que le député-maire d’EVRY (lui aussi candidat à la future présidentielle …) envisage de faire sauter le verrou des durées maximales de travail : aussi bien hebdomadaire (les heures supplémentaires ne pouvant être effectuées que dans une double limite, à savoir pas plus de 48 heures de travail sur une même semaine et pas plus de 44 heures en moyenne sur une période quelconque de 12 semaines consécutives) et quotidienne (10 h). D’ailleurs, des dérogations existent déjà, sur autorisation de l’Inspecteur du Travail par voie de convention ou d’accords collectifs, mais elles restent très encadrées.

En troisième lieu, les diverses formules d’aménagement du temps de travail ont, elles aussi, contribué à s’éloigner du dispositif des 35 heures tel qu’initialement envisagé. Il existe actuellement deux formules créées par la loi du 20 août 2008 (dite « Démocratie sociale ») : d’une part, un régime conventionnel (via accords d’entreprise, d’établissement voir de branche) permettant d’aménager les horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus, égale à l’année ; d’autre part, un régime règlementaire, permettant à l’employeur d’organiser la durée du travail sous forme de périodes chacune d’une durée de 4 semaines au plus. Le point commun réside dans le fait que les heures supplémentaires ne sont plus nécessairement celles qui dépassent la durée légale de 35 heures. Le « verrou » n’existe donc déjà plus.

En quatrième lieu, les multiples conventions de forfait consistent en autant d’ajustements de la règle légale au fonctionnement réel des entreprises. Ces forfaits peuvent être mesurés en heures sur la semaine ou le mois, avec n’importe quel type de salariés à condition d’être établis par écrit et de déterminer le nombre d’heures correspondant ; la rémunération doit inclure les majorations. Les heures supplémentaires incluses ou accomplies au-delà du forfait ouvrent droit aux allègements de cotisation et à l’exonération fiscale citée plus haut. Les forfaits sur l’année sont quant à eux réservés aux cadres dont la nature des fonctions les éloigne de l’horaire collectif applicable au sein de l’équipe à laquelle ils appartiennent ou aux salariés qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps. Un accord collectif doit impérativement en prévoir la possibilité et être doublé d’une convention individuelle écrite si, en principe, les heures effectuées au-delà de 1 607 heures (soit l’équivalent de 35 heures hebdomadaires) ouvrent droit aux allègements de cotisations. Ces salariés ne sont pas concernés par le contingent annuel d’heures supplémentaires et, par voie de conséquence, de la contrepartie obligatoire en repos. Quant au forfait-jour, en principe limité à 218 par an, il peut grimper jusqu’à 235 jours si le salarié souhaite renoncer à une partie de ses repos moyennant une rémunération majorée. Et encore, ce plafond n’a été institué qu’à titre subsidiaire par le Code du Travail, un accord collectif pouvant le dépasser ; en d’autres termes, les partenaires sociaux peuvent ainsi augmenter la durée du travail dans la branche ou l’entreprise. On touche ici du doigt une des ultimes atteintes au sacrosaintes « 35 heures ».

Enfin, citons, là aussi à titre d’illustration, le système du compte épargne-temps, qui permet aux salariés d’accumuler des droits à congés rémunérés, mis en place par une convention ou un accord collectif. Ou comment, après avoir travaillé plus que 35 heures pour se constituer l’épargne, travailler beaucoup moins lorsque le temps est venu de vider son compte. S’il y a un verrou, il fonctionne dans deux sens.

Alors, pourrait-il s’agir de faire sauter un autre « verrou » à savoir, le contingent annuel d’heures supp. ? Rappelons qu’il s’agit du seuil de déclenchement de la contrepartie obligatoire en repos des heures supplémentaires. A défaut de définition dans une convention ou un accord collectif, il est fixé par décret à 220 heures (articles L. 3121-11 et D. 3121-14-1 du Code du Travail).

Certes, il ne s’applique pas aux salariés relevant d’une convention de forfait ni aux cadres dirigeants mais ouvre droit à un repos de 50 % pour les salariés travaillant dans les entreprises où l’effectif est inférieur à 20 et 100 % pour celles dont l’effectif est supérieur à ce chiffre. Cette contrepartie s’ajoute à la rémunération des heures aux taux majoré.

Sur ce point précis, il est probable que même la politique pourrait se heurter à des considérations de santé publique : en effet, au-delà du contingent, il n’est plus simplement question de rémunération, quel que soit le taux de majoration, mais d’un repos certainement nécessaire non seulement pour que le salarié ne se mette pas en danger à suivre des cadences infernales mais également pour qu’il demeure productif - et, cela, même les employeurs y ont intérêt.

Ainsi, au-delà de la « petite phrase » politicienne, l’idée de « déverrouiller les 35 heures » revêt certes le mérite de créer une polémique mais montre également que, de « verrous » il n’en existe déjà plus tellement par rapport à l’œuvre fondatrice. Le chantier de la durée du travail promet, en ces temps où, aussi bien à droite qu’à gauche, chacun veut prendre position, des échanges nourris et sans doute imaginatifs.

Peut-on simplement espérer que, quelle qu’en soit l’issue, ils se traduiront par des règles juridiques intelligibles et facilement applicables ?

Pierre Robillard

Avocat - spécialiste en droit social

robillard.avocats chez wanadoo.fr

Maître Pierre ROBILLARD, avocat, spécialiste en droit du travail, diplômé de Sciences Po Paris.

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