C’est sur le fondement juridique du trouble anormal de voisinage et sur la base des conclusions d’un rapport d’expertise judiciaire que le Tribunal judiciaire de Paris a condamné solidairement l’exploitant et le propriétaire des locaux à verser aux victimes 25 000 euros de dommages et intérêts.
Dans cette décision équilibrée, le juge valide les mesures correctives déjà mises en place par la salle de sport tout en refusant de lui imposer un contrôle annuel de ces dispositifs. Il rappelle néanmoins que leur détérioration future pourrait engager à nouveau la responsabilité de l’exploitant.
Ce jugement illustre l’application de la théorie des troubles anormaux du voisinage dans le contexte spécifique d’une salle de sport en milieu urbain. Il démontre qu’une salle de sport peut coexister avec son voisinage, à condition de prendre les mesures techniques appropriées pour limiter les nuisances sonores qu’elle génère à un trouble normal.
I. Présentation l’affaire.
1° Faits.
Madame et Monsieur X. étaient propriétaires et occupants d’un appartement situé au 1er étage d’un immeuble parisien. Leur logement se trouvait juste au-dessus d’une salle de sport exploitée par la société Y. dans des locaux appartenant à la société Z.
Les époux se plaignaient de nuisances sonores importantes provenant de la salle de sport. Ces nuisances étaient principalement causées par :
- les chutes d’haltères ébranlant la structure de l’immeuble ;
- les impacts des cordes à sauter sur le sol ;
- la musique diffusée lors des cours collectifs ;
- les cris et encouragements des coachs sportifs.
Ces troubles avaient été constatés dès 2016 par des huissiers de justice, bien que les propriétaires affirmaient les subir depuis 2014, date du début de l’exploitation de la salle de sport.
2° Procédure.
Afin de faire établir de manière contradictoire la réalité des nuisances dont ils se disaient victimes, les époux X. avaient sollicité du Président du Tribunal judiciaire de Paris statuant en référé la désignation d’un expert judiciaire aux fins d’établir la réalité et l’intensité des nuisances acoustiques résultant de l’activité de la salle de sport exploitée par la société Y. et d’objectiver leurs préjudices.
Le Président du tribunal avait, par ordonnance du 4 juillet 2017, fait droit à cette demande, désignant M.V. comme expert judiciaire.
Par la suite, en janvier 2018, les époux X. avaient sollicité une ordonnance commune en assignant en référé la société Z., propriétaire des locaux, afin que l’expertise lui soit opposable, cette initiative étant indispensable pour exiger et obtenir une condamnation solidaire par la suite.
À la suite de sa mission, l’expert judiciaire avait, en septembre 2020, déposé son rapport définitif mettant en évidence des nuisances sonores. Il avait notamment constaté, lors de sa visite, « 36 impacts dus aux chutes de masses au sol du rez-de-chaussée qui ébranlaient la structure de l’immeuble », précisant que « le niveau sonore atteint lors des impacts était compris entre 40 et 60 dB(A) » avec des « émergences sonores extrêmement importantes dans le logement des demandeurs (jusqu’à 30 dB et plus à 125 Hz) ».
Sur le fondement de ce rapport, les époux X. avaient assigné, en décembre 2021, les sociétés Z. et Y. devant le tribunal judiciaire de Paris. Ils sollicitaient, sous astreinte de 300 € par jour de retard, l’installation et l’entretien de dalles résilientes, la condamnation permanente des fenêtres et l’installation d’un limiteur de pression acoustique pour les sons amplifiés, ainsi qu’un contrôle annuel des équipements.
L’expert avait en effet souligné qu’il était « impératif que la société maintienne en place et entretienne et/ou remplace quand il le sera nécessaire les dalles de sol qu’elle avait posées dans les zones haltérophilie et corde à sauter, maintienne en place la condamnation des fenêtres des salles de cours sur jardin et maintienne le réglage constaté du limiteur de la sonorisation ».
Les époux X. réclamaient également l’indemnisation de leurs différents préjudices : 2 000 € chacun au titre du préjudice de santé, les nuisances étant selon l’expert « de nature à irriter, nuire à la concentration intellectuelle et priver les époux X. de la jouissance ordinaire de leur logement », 2 500 € chacun pour le préjudice moral, et 77 315 € au titre du préjudice de jouissance. Ce dernier montant était calculé sur une valeur locative mensuelle de 3 948 €, avec une durée d’exposition moyenne de 5 heures quotidiennes entre 18h00 et 23h00, « heures de présence certaine en semaine des membres de la famille dans l’appartement ».
Enfin, les demandeurs sollicitaient le remboursement des frais engagés, soit 12 941,64 € pour l’expertise judiciaire, 16 512,72 € d’honoraires d’avocat et 1 680 € de frais d’huissier, pour un total de 18 192,71 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
3° Décision du juge.
Sur le fondement de la théorie du trouble anormal de voisinage admettant que le trouble de l’espèce revêtait ce caractère, le juge, statuant au fond a, par décision du 5 septembre 2024, fait droit, en partie, aux demandes des requérants.
Il a ainsi condamné in solidum les sociétés Y. et Z. à :
- Leur verser aux époux X la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance ;
- Verser leur somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- Leur rembourser les entiers dépens, comprenant les frais d’expertise judiciaire d’un montant de 12 941,64 € ainsi que les dépens de la procédure de référé expertise.
En revanche, le tribunal a débouté les époux X. de :
- leur demande de condamnation concernant la mise en place et l’entretien des dalles de sol, le maintien de la condamnation des fenêtres et le maintien du réglage du limiteur de sonorisation ;
- leur demande d’astreinte pour les travaux et mesures acoustiques ;
- leur demande indemnitaire au titre du préjudice de santé (2 000 € chacun) et du préjudice moral (2 500 € chacun).
Le tribunal a notamment considéré que les mesures nécessaires à la cessation des nuisances avaient déjà été mises en œuvre par la société Y., exploitante de la salle et qu’il n’était pas démontré que des nuisances excédant les inconvénients normaux du voisinage persistaient.
II. Observations.
A) La responsabilité du propriétaire des locaux : une responsabilité indirecte mais nécessaire.
La décision du Tribunal judiciaire de Paris du 5 septembre 2024 est particulièrement instructive en ce qu’elle engage la responsabilité solidaire de la société Z., propriétaire des locaux, aux côtés de l’exploitant de la salle de sport, la société Y. Cette solution, loin d’être anodine, mérite une attention particulière car elle illustre l’étendue des obligations pesant sur les propriétaires en matière de troubles anormaux de voisinage.
Le tribunal fonde sa décision sur un double fondement juridique. D’une part, l’article 1729 du Code civil impose au propriétaire de répondre des agissements de son locataire, une responsabilité qui découle naturellement de son pouvoir de contrôle sur l’usage des locaux loués. D’autre part, la théorie des troubles anormaux de voisinage, consacrée par une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 17 mars 2005, n° 04-11.279), permet d’engager la responsabilité du propriétaire même lorsqu’il n’est pas l’auteur direct des nuisances. Comme le rappelle régulièrement la Haute juridiction, « le propriétaire des locaux loués répond des troubles anormaux de voisinage causés par son locataire ».
Dans le cas d’espèce, l’expert judiciaire avait souligné que « la nuisance sonore d’une zone de poids libres au rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation était bien connue des professionnels ». Cette observation a mis en lumière le fait que le propriétaire ne pouvait ignorer les risques inhérents à ce type d’activité. Malgré cela, la société Z. était restée passive face aux plaintes des époux X. depuis 2016, n’avait pas utilisé son pouvoir de mise en demeure du locataire, et n’avait pas prévu de clauses spécifiques dans le bail concernant les nuisances sonores.
Cette inaction contrastait avec les nombreux leviers dont disposait le propriétaire. Il aurait pu mettre en demeure son locataire de faire cesser les troubles, insérer des clauses restrictives dans le bail commercial, engager des travaux d’isolation phonique, voire, en dernier recours, résilier le bail pour usage non conforme des locaux. L’expert a souligné d’ailleurs dans son rapport que « des solutions techniques adaptées » étaient envisageables, notamment l’installation de dalles résilientes et la condamnation des fenêtres de la salle.
Cette position du tribunal s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence constante, comme l’illustre l’arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2017 (n° 16-14.339). Dans cette affaire, la Haute juridiction avait rappelé que le propriétaire est non seulement tenu d’assurer la jouissance paisible des lieux à son locataire, mais également de veiller à ce que cette jouissance ne cause pas de troubles anormaux aux voisins. Les juges avaient notamment souligné à cette occasion, l’obligation pour le propriétaire de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser les troubles, sous peine d’engager sa propre responsabilité.
Cette décision rappelle aux propriétaires de locaux commerciaux bruyants qu’ils ne peuvent se retrancher derrière leur qualité de bailleur pour échapper à leur responsabilité. Ils doivent jouer un rôle actif dans la prévention et la cessation des troubles de voisinage, sous peine de voir leur responsabilité engagée solidairement avec leur locataire exploitant.
B) Une solution judiciaire équilibrée mais laissant subsister une incertitude sur l’avenir.
Dans cette affaire, le tribunal judiciaire de Paris a, par ailleurs, caractérisé le trouble anormal de voisinage à travers une analyse détaillée des nuisances sonores relevées par l’expert judiciaire, s’appuyant particulièrement sur son rapport lequel a mis en évidence leur caractère excessif et répété.
L’expert judiciaire avait en effet relevé, lors de sa visite du 4 décembre 2017, des nuisances considérables : « 36 impacts dus aux chutes de masses au sol du rez-de-chaussée qui ébranlaient la structure de l’immeuble ». Plus précisément, il notait que « le niveau sonore atteint lors des impacts était compris entre 40 et 60 dB(A) » avec des « émergences sonores extrêmement importantes dans le logement des demandeurs (jusqu’à 30 dB et plus à 125 Hz) ». Ces émergences dépassaient largement le seuil de 5 dB(A) retenu habituellement par les instances civiles comme point de départ d’une gêne anormale le jour suivant prévues par les dispositions du Code de la santé publique. La multiplicité des sources sonores aggravait, par ailleurs, le caractère anormal du trouble. L’expert avait ainsi constaté, lors de sa visite du 27 mars 2019, « plusieurs cris d’un coach encourageant les pratiquants d’un sport » et le 1ᵉʳ juillet 2019, « les encouragements d’un coach accompagnés d’une musique électro, les deux étant émis à un niveau sonore très élevé ». Ces bruits étaient particulièrement audibles entre 18h00 et 23h00, « heures de présence certaine en semaine des membres de la famille dans l’appartement ».
Face à ces troubles caractérisés, le tribunal a condamné in solidum les sociétés Y. et Z. à verser aux époux X. la somme de 25 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance, ainsi que 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. Cependant, le tribunal a débouté les époux X. de leurs demandes visant à pérenniser les mesures anti-bruit.
En effet, les demandeurs sollicitaient plusieurs mesures sous astreinte : la mise en place et l’entretien régulier des dalles de sol dans les zones d’haltérophilie, le maintien de la condamnation des fenêtres et de la porte de secours, ainsi que le maintien du réglage du limiteur de sonorisation. Ils demandaient également qu’une société compétente vérifie annuellement l’état des dalles résilientes, avec obligation de les remplacer en cas d’usure. Enfin, ils souhaitaient qu’un bureau d’études techniques spécialisé en acoustique réalise des mesures de contrôle pour s’assurer de l’efficacité des dispositifs.
Le tribunal a cependant rejeté l’ensemble de ces demandes en s’appuyant sur les mesures déjà mises en œuvre par la société Y. pendant la procédure : l’installation initiale des dalles résilientes, la condamnation des fenêtres, et l’installation du limiteur de pression acoustique. Le Tribunal a considéré que ces aménagements constituaient une réponse proportionnée aux nuisances constatées, d’autant plus que les époux X. « ne contestaient pas que les mesures nécessaires à la cessation des nuisances avaient été mises en œuvre ».
Dans un souci d’équilibre entre les droits des riverains à la tranquillité et la pérennité de l’activité commerciale, le tribunal a donc choisi de ne pas imposer de contraintes supplémentaires à l’exploitant, notamment en termes de maintenance et de contrôles réguliers. Cette position se justifie notamment par l’absence de preuve de troubles persistants, la seule attestation produite, celle de leur employée de maison datée du 2 juin 2023, n’étant « pas suffisamment précise » pour démontrer la persistance de troubles anormaux.
Si cette solution peut laisser planer un doute sur la pérennité des mesures anti-bruit en l’absence de contrôle régulier imposé, le tribunal a pris soin de préciser que « le retrait des mesures mises en place ou l’absence de toute maintenance des équipements était susceptible d’engager la responsabilité de la société Y. en cas de réapparition des nuisances ou survenances de nouvelles nuisances ». Ainsi, bien que les époux X. ne pouvaient exiger un contrôle préventif régulier, ils conservaient la possibilité d’agir en justice si les dispositifs anti-bruit venaient à se dégrader et les troubles à réapparaître.
Conclusion.
Cette décision du Tribunal judiciaire de Paris s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle des juridictions civiles qui, saisies par des riverains victimes de nuisances sonores d’origine professionnelle, cherchent à concilier le droit à la tranquillité et la pérennité des activités commerciales.
Sur la base des conclusions de l’expertise judiciaire, le tribunal a reconnu sans équivoque l’existence d’un trouble anormal de voisinage, caractérisé notamment par la répétition et l’intensité des nuisances sonores d’une salle de sport mal isolée d’un point de vue acoustique. Cette reconnaissance a conduit à la condamnation solidaire de l’exploitant et du propriétaire des locaux.
Pour autant, le Tribunal judiciaire de Paris a fait preuve de mesure dans sa décision. S’il a accordé une indemnisation conséquente aux riverains pour leur préjudice passé, il a refusé d’imposer pour l’avenir des contraintes excessives à l’exploitant, considérant que les mesures déjà mises en place constituaient une réponse proportionnée aux troubles constatés.
Cette solution équilibrée illustre la volonté du juge civil de permettre la coexistence entre activités commerciales et habitat en milieu urbain. Sans nier les droits des riverains à la tranquillité, elle reconnaît les efforts d’adaptation réalisés par l’exploitant tout en lui rappelant sa responsabilité en cas de nouvelles nuisances.
La décision démontre ainsi qu’une réponse judiciaire adaptée peut permettre de résoudre les conflits de voisinage générés par le bruit, sans compromettre la viabilité des activités économiques, dès lors que des mesures techniques appropriées sont mises en œuvre pour limiter ces nuisances.