Concrètement la garde à vue c’est quoi ?
La garde à vue est une mesure visant à priver de liberté pendant quelques heures (24 heures dans la plupart des cas mais pouvant s’étendre jusqu’à 48 heures sur demande du juge d’instruction voire même jusqu’à 120 heures dans des affaires liées par exemple au terrorisme) un individu soupçonné de crime ou de délit. Elle doit avoir uniquement pour but d’empêcher le suspect de faire disparaître d’éventuelles preuves, de fuir, d’établir une quelconque stratégie avec des potentiels complices mais également de faire pression sur des témoins.
La garde à vue n’est possible que lorsque l’infraction peut être réprimée par une peine d’emprisonnement et lorsqu’elle concerne des personnes âgées de plus de 13 ans (de 10 à 13 ans une retenue au commissariat est possible). Un point très important.
La garde à vue, c’est pas automatique
Le nombre de garde à vue s’est fortement accru en France durant les années 2000, atteignant 562 083 en 2007, soit 54,2 % de plus qu’en l’an 2000. Celles de plus de 24 heures augmentant même de 73,8 % et celles motivées par une infraction au droit de séjour des étrangers subissant une escalade de 179 %. Sur ce dernier point, la donne devrait vraisemblablement changer dans les semaines qui viennent. En effet, suivant l’avis de la chambre criminelle, rendu au mois de juin, la Cour de Cassation a mis fin, le 5 juillet dernier, au placement en garde à vue d’étrangers au seul motif du séjour irrégulier. Une procédure qui concerne jusqu’à 60 000 personnes par an, selon les associations. L’avocat Stéphane Maugendre, membre du GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), analyse la portée de cette décision : “C’est une sacrée bonne nouvelle qu’on revienne à une pratique normale,(…) Une personne qui n’aura pas ses papiers et dont on soupçonne un séjour irrégulier sera désormais menée au commissariat pour une procédure de vérification d’identité, d’un maximum légal de quatre heures. Les policiers passeront un coup de fil à la préfecture, et, s’il s’avère que la personne n’a pas de titre de séjour en règle, le préfet aura deux choix : demander à ce qu’on la laisse repartir, ou demander à ce qu’on prépare une OQTF, voire un placement en rétention administrative."
Le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a annoncé qu’il allait "rapidement" rédiger une loi pour "redonner un fondement légal à l’action publique."
Quoi qu’il en soit, la réforme de la garde à vue va changer les comportements, c’est pourquoi il est impératif de faire un point en profondeur sur la garde à vue.
FOCUS SUR LA REFORME DE LA GARDE À VUE
ACTE I : Le Conseil constitutionnel le 30 juillet 2010 qui, statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré le régime des gardes à vue de droit commun contraire à la Constitution.
ACTE II : Par quatre arrêts du 15 avril 2011, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a confirmé la décision du Conseil Constitutionnel en jugeant que les actuelles règles de la garde à vue étaient contraires à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ces dernières ne prévoyant pas l’assistance de l’avocat.
ACTE III : La loi de réforme subséquente aux décisions du Conseil des sages et de la Haute Cour entre en vigueur le 1er juin 2011, et est applicable aux mesures de garde à vue prises à compter de cette date. Elle sera suivie dans la foulée par la loi du 14 avril 2011.
La GAV doit être « l’unique moyen »
La GAV devient réservée à une "personne contre laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement" (art. 62-2 du CPP). Auparavant, il s’agissait des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction. La nouvelle loi exclut donc les garde à vues en cas de simple contravention.
Il est précisé que la garde à vue doit être « l’unique moyen » de répondre à un des six objectifs fixés par la loi : maintenir la personne à disposition pour les phases de l’enquête où sa présence est nécessaire, pouvoir la présenter au procureur de la République, empêcher que la personne ne modifie les indices matériels, ne se concerte avec ses complices ou fasse pression sur les témoins, et s’assurer que le crime ou le délit cesse. Le renouvellement de la garde à vue au-delà des premières 24 heures n’est plus possible que pour les crimes ou les délits punis d’au moins un an d’emprisonnement.
D’autre part, le renouvellement n’est accordé en principe qu’après présentation devant le procureur.
La nouvelle loi précise en outre que la personne gardée à vue doit être informée "du droit, lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire."
L’avocat, une présence amplifiée mais aux moyens assez limités
Dès le début de la GAV, la personne peut demander a être assistée par un avocat.
Comme avant, un entretien entre l’avocat et la personne gardée à vue est possible. Cet entretien est de 30 minutes et peut être demandé à nouveau lors d’un renouvellement de la GAV. L’audition peut commencer à partir du moment où le délai de deux heures est écoulé, délai maximum permettant à l’avocat de se rendre dans le commissariat. En revanche, " lorsque les nécessités de l’enquête l’exigent ", notion au demeurant très floue, le procureur peut autoriser que l’audition débute sans attendre le délai de deux heures.
L’avocat a accès à certaines pièces du dossier : le PV de notification de garde à vue, le certificat médical, les PV d’auditions de la personne qu’il assiste. L’avocat ne peut obtenir de copie de ces pièces, mais il peut prendre des notes.
L’avocat, si la personne gardée à vue en fait la demande, peut être présent lors des auditions de son client, ou lorsque celui-ci est confronté à une autre personne gardée à vue ou à un témoin.
Ce n’est alors qu’à la fin de l’audition ou de la confrontation que la loi reconnaît à l’avocat le droit à la parole, sous la forme de questions qui peuvent être adressées aussi bien au client qu’aux témoins ou aux autres personnes gardées à vue.
ACTE IV : Garde à vue des étrangers : plus de garde à vue pour un étranger pour le seul fait qu’il est en séjour irrégulier.
En France, être sans papiers est considéré comme un délit pénal (article L. 621-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Dans sa décision du 4 juillet 2012, la chambre civile de la Cour de cassation a suivi l’avis de la chambre criminelle qu’elle avait sollicitée sur la légalité de la garde à vue des étrangers. Celle-ci a en effet estimé jeudi 5 juin 2012 que le seul séjour irrégulier n’était pas suffisant pour justifier un placement en garde à vue.
Cette décision du 4 juillet a été inspirée par les arrêts El Dridi et Achugbabian rendus par la CJUE en 2011 décidant qu’on ne pouvait pas emprisonner quelqu’un pour la seule raison qu’il est sans-papiers, même si cette personne n’a pas respecté son obligation de quitter le territoire. La CJUE estimant cela contraire à la directive européenne "retour" de 2008.
Cette décision n’empêchera pas les reconduites à la frontière. Comme les étrangers contrôlés sans papiers ne peuvent plus être placés en garde à vue sur ce seul motif, la police utilisera une autre procédure : la vérification d’identité applicable à tous. Sa durée est limitée à 4 heures. Ce qui implique que la décision administrative (reconduite à la frontière, placement en rétention, assignation à résidence) doit être prise dans ce laps de temps.
Sur environ 100 000 procédures pour séjour irrégulier, on estime à approximativement 60 000 le nombre de gardes à vue par an.
On pourrait ici penser que le processus allant vers une dépénalisation du droit au séjour est maintenant bien enclenché, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a déclaré fin juin 2012 qu’il comptait "proposer un outils législatif qui permette de s’assurer que les étrangers en situation irrégulière regagnent leur pays d’origine."
Cette déclaration est assez floue, et ne permet pas pour l’instant de préjuger du futur de la pénalisation du séjour irrégulier. Bref, une déclaration qu’on garde à vue … !
Illustrations : La p’tite Blan (c) - www.laptiteblan.fr.