L’intelligence artificielle, souvent abrégée avec le sigle IA, est définie par l’un de ses créateurs, Marvin Lee Minsky, comme : "la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que : l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique’’.
Dans un contexte de transformation technologique des métiers du droit, les cabinets d’avocats africains se doivent de maîtriser de nouveaux outils et de nouvelles méthodologies susceptibles de leur permettre de faire face à la concurrence issue des LegalTech (technologies au service du droit) d’un côté et des réseaux de cabinets d’avocats internationaux de taille importante, de l’autre, qui sont capables de réaliser les investissements nécessaires à une transformation en profondeur.
En droit, comme dans de nombreux autres secteurs, l’utilisation de l’intelligence artificielle est au cœur des débats. Le secteur du juridique n’est pas encore mature en Afrique et doit rattraper le retard sur la transformation numérique. Cela dit, il existe tout de même un énorme potentiel dans cette industrie pour optimiser l’efficacité, améliorer les processus et offrir de nouveaux types de services juridiques à travers l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Il existe plusieurs outils d’intelligence artificielle, au nombre desquels on peut citer les robots, les logiciels conçus pour effectuer des recherches juridiques, Google Cloud, Microsoft Azur, Dialog Flow (qui permet aux internautes de créer des interactions de langage naturelles et uniques pour les robots), Prémonition (un système basé sur l’IA qui a généré la plus grande base de données d’avocats, de procès et de juges dans le monde) etc…
D’où est parti le concept « intelligence artificielle » ?
Au début des années 1950, lorsque Grace Murray Hopper, pionnière de l’informatique, tentait de persuader ses collègues de créer un langage informatique utilisant des mots en anglais, on lui répondait que c’était impossible qu’un ordinateur puisse comprendre l’anglais. Toutefois, contrairement aux ingénieurs et aux mathématiciens de l’époque, le monde des affaires se montra plus ouvert à cette idée. Ainsi naquit le « Business Language version 0 », ou B-0, l’ancêtre de plusieurs langages informatiques plus modernes et un premier (petit) pas vers le traitement du langage naturel.
Il n’en reste pas moins que l’usage de l’informatique pour des solutions juridiques fut un défi, en raison, notamment, de la nature de l’information à traiter, souvent présentée sous forme textuelle et peu organisée. Richard Susskind traitait déjà en 1986 de l’usage de l’intelligence artificielle pour traiter des informations juridiques. Ce n’est toutefois que plus récemment, avec les avancées en traitement du langage naturel, qu’on a vu apparaître des logiciels ayant le potentiel de modifier substantiellement la pratique du droit.
Lors de cette présentation, trois points retiendront notre attention, à savoir : les trois éléments inhérents à l’utilisation de l’IA (I), aux modèles étrangers (II) et nos recommandations (III).
I- Les trois éléments inhérents à l’utilisation de l’intelligence artificielle.
L’utilisation de l’intelligence artificielle impacte la manière dont les cabinets se positionnent dans le monde des affaires du fait de trois mouvements inhérents : la dématérialisation (A) l’automatisation (B) et la désintermédiation (C).
A- La dématérialisation.
La dématérialisation, c’est la rupture des frontières physiques, au profit des frontières numériques.
Le 1er contact entre un nouveau client et son avocat passe souvent par Internet : pour trouver et identifier un cabinet d’avocats ou pour approfondir sa connaissance sur un cabinet qui aurait pu être conseillé ou cité par un pair.
Pour l’avocat, Internet via les réseaux sociaux comme LinkedIn notamment, peut être générateur de contacts voire de prise de rendez-vous.
En parallèle de la dématérialisation, la rencontre physique avec son avocat devient un « événement ». Alors que les moyens de communication dématérialisés se multiplient (téléphone ou email, conf call Skype ou salles de réunion virtuelles), la rencontre physique est un moment qui marque le client et qui doit donc transmettre les messages et les valeurs du cabinet.
B- L’automatisation.
L’automatisation permise par l’utilisation de l’intelligence artificielle, c’est par exemple la possibilité de générer des documents juridiques en grand nombre, à partir d’une trame préétablie. Elle entraîne des gains de productivité dans la génération des documents juridiques. Des cabinets en France ont développé leurs propres outils (ex. : Ginerativ, LegalCluster) ou d’autres utilisent des outils qui permettront par exemple de mener la due diligence juridique (ex : Soft Law, eBrevia,Kira), un traitement plus rapide des tâches à faible valeur ajoutée.
Ainsi, la recherche de jurisprudence, ô combien consommatrice de temps pour les collaborateurs, pourra se faire en quelques secondes et avec des informations analytiques (ex : Predictice, doctrine.fr, Alinéa By Luxia, SupraLegem).
Une accélération du contrôle de la validité juridique des documents : en industrialisant la production de certains documents, le risque d’erreur diminue et les erreurs sont plus facilement localisées dans les documents.
C- La désintermédiation.
La désintermédiation, c’est avoir la garantie pour le client d’accéder le plus rapidement à l’expert le plus compétent pour son problème.
Elle rebat les cartes dans le rapport de force entre les grands cabinets et les petits cabinets africains, puisque désormais l’avocat le plus visible n’est pas forcément le plus gros.
Elle invite les entreprises (TPE, PME ou les clients internes de grandes entreprises) à aller directement contacter un spécialiste sur des prestations identifiées pour un tarif prédéfini, sans passer par les gros cabinets d’avocats d’affaires, permet à chaque avocat de bénéficier d’une visibilité.
Elle renforce le poids du client vis-à-vis de son avocat puisque l’accès à l’avocat est grandement facilité. La recherche d’un avocat est facilitée.
Elle fait entrer un nouvel acteur dans les relations entre l’avocat et son client : la communauté des autres utilisateurs. Dans la désintermédiation, les avis des utilisateurs jouent un rôle crucial.
Chacun de ces trois mouvements est un levier à actionner dans la manière dont la relation entre le client et l’avocat doit être revue. Chaque cabinet et chaque avocat peut et doit se poser la question de la réponse qu’il apporte à cette dynamique digitale.
II- Modèle étranger et perspectives.
A- Modèle du cabinet d’avocats américain Baker & Hostetler.
Le cabinet d’avocats américain Baker & Hostetler, fondé en 1916, a engagé en Mai 2018 Ross, son premier robot avocat. Plus précisément un "avocat digital", une intelligence artificielle qui va notamment travailler sur les faillites d’entreprises.
Ross est un robot qui ne plaide pas à la barre, mais qui est chargé de faciliter la vie des autres avocats. Une grosse partie du travail des cabinets d’avocats consiste, pour les plus jeunes employés, à éplucher des centaines de dossiers et d’articles sur des cas similaires à celui qui sera plaidé et à donner à l’avocat en charge du dossier toute information utile.
Un travail ingrat et répétitif dont va dorénavant s’acquitter Ross. En analysant les milliers de documents de la jurisprudence concernant les faillites, Ross fournit des réponses précises et contextuelles à des questions posées en langage courant et vérifie toutes les modifications de la loi pour en avertir les avocats. Son intelligence artificielle apprendra avec le temps et va acquérir de l’expérience, précise le site consacré au projet.
B- Perspectives.
Dans ce contexte de transformation technologique du métier du droit, il est nécessaire que les cabinets d’avocats africains, en particulier ceux de la Côte d’Ivoire s’inspirent du modèle étranger et fassent leur entrée véritable dans l’univers du digital. Cette entrée est plus que nécessaire, voire indubitable.
En effet, l’intelligence artificielle permettra aux cabinets africains de combiner l’analyse de l’influx massif de données numériques (courriels, textes, messages vocaux, calendriers électroniques) et de retranscrire cette analyse dans leurs différentes procédures judiciaires.
En outre, il est important d’incorporer les nouvelles technologies dans les cabinets africains, ce qui permettra d’économiser du temps et de l’argent, tout en améliorant les résultats des cas.
III- Recommandations.
Les outils de l’intelligence artificielle ne progressent pas de manière uniforme dans tous les domaines du droit. Plusieurs outils peuvent déjà assister les avocats dans diverses tâches répétitives ou les aider à repérer des erreurs ou des risques potentiels dans divers documents.
Toutefois, il est important de considérer que ces outils sont encore loin d’avoir la faculté humaine de contextualiser leurs interventions.
Nous croyons donc pertinents d’émettre certaines grandes recommandations pour les cabinets d’avocat africains qui voudraient intégrer des outils infusés d’intelligence artificielle dans leur pratique.
A- Connaitre les possibilités et limites d’un outil.
Lors du choix d’un outil d’intelligence artificielle, il est important d’effectuer des tests afin d’en évaluer le fonctionnement et les résultats. Il faut cibler un objectif précis et s’assurer que l’outil testé permette l’atteinte dudit objectif.
B- Une supervision humaine.
A ce jour, il est important que tout outil d’intelligence artificielle demeure supervisé par un être humain. Il s’agit non seulement là d’une obligation déontologique pour assurer la qualité des services rendus, mais aussi d’une simple règle de prudence face à des outils n’ayant pas la capacité de contextualiser l’information qu’on leur soumet.
Les limites de l’intelligence artificielle résident dans le fait que le raisonnement juridique reste propre à l’humain. La construction d’un syllogisme autour de prémisses semble appartenir, du moins pour le moment, exclusivement au juriste. L’adaptation, l’interprétation, l’émotionnel, sont autant d’attributs que la machine ne possède pas et c’est en cela que le paradoxe apparaît. Il est alors nécessaire que les outils d’intelligence artificielle soient saisis par le droit.
Ainsi, pour le métier de l’avocat de demain, il faudrait voir l’intelligence artificielle comme un outil au service du juriste, aidant certainement ce dernier à devenir plus efficace pour répondre à des demandes plus complexes. Le professionnel du Droit se concentrera alors sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.
C- Le traitement des ambiguïtés.
Plusieurs outils d’intelligence artificielle permettent divers réglages dans leurs interventions. De tels réglages devraient faire en sorte que le traitement de toute situation ambiguë pour que le système soit confié à des opérateurs humains.
D- Confidentialité des données.
N’oublions pas que les cabinets d’avocats sont soumis à un devoir de confidentialité. Le traitement de l’information confidentielle par les fournisseurs de solutions est un enjeu crucial à considérer. Il faut donc s’assurer que les informations auxquelles ces outils ou robots ont accès, sont traitées en toute confidentialité.
E- La formation du personnel au sein des cabinets africains.
L’intelligence artificielle fait souvent peur au personnel des cabinets d’avocat africains. Qui plus est, comme tout changement technologique, la formation interne s’avère nécessaire pour s’assurer que l’utilisation de tels outils soit conforme aux attentes du cabinet d’avocat.
Il faut donc non seulement choisir de bons outils d’intelligence artificielle, mais aussi penser à la formation nécessaire pour en tirer profit.