A cet égard, le contrat a une valeur permanente en ce sens qu’au plan économique, il est un instrument de connaissance et de prévision réciproques ; conclu pour une certaine durée, il constitue un élément de sécurité ; il permet enfin de tenir compte de réalités particulières ; pour tous ces motifs, il est facteur de progrès. Au plan humain, par ailleurs, il tient compte de cet élément psychologique qu’on accepte et qu’on exécute mieux ce que l’on a discuté et à quoi l’on a consenti ; il suffit, à cet égard, de noter l’utilisation considérable du schéma contractuel dans l’activité administrative. En somme, renforçant la liberté de la personne, le contrat est un instrument important d’amélioration des rapports sociaux [2].
Cependant, en dépit de son utilité sociale et économique, le contrat n’est pas moins l’objet de nombreux critiques et contestations dans ses principes fondamentaux que sont entre autres le principe de la liberté contractuelle, celui de la sécurité des parties et surtout celui de la force obligatoire qui nous intéresse particulièrement.
En effet, traditionnellement, le contrat apparaît comme un moyen donné aux parties d’exercer une certaine emprise sur l’avenir, de prévenir le surgissement de l’imprévisible ou même le simple changement de volonté. Instrument de prévisibilité au service de la sécurité, il constitue une bulle protégée des influences extérieures, un monde clos sur la stabilité duquel les parties peuvent compter [3], ainsi que dispose l’article 96 de notre code des obligations civiles et commerciales : « Le contrat légalement formé crée entre les parties un lien irrévocable ». D’où le principe de la force obligatoire du contrat.
Dire, que le contrat a force obligatoire, c’est dire que les parties sont tenues d’exécuter les obligations nées du contrat. Pour Flour et Aubert, la force obligatoire « ne signifie pas seulement que le débiteur est tenu d’exécuter ses obligations et qu’il y sera éventuellement contraint par l’autorité publique, qui veille au respect des contrats comme à l’observation de la loi. Elle signifie, en outre, que les obligations qui doivent être ainsi exécutées sont, en principe, toutes celles, mais celles seulement voulues les parties » [4].
Cela dit, le principe de la force obligatoire du contrat n’est pas sans justification.
Ainsi, il peut se justifier du point de vue philosophique par le principe de l’autonomie de la volonté ; sur le plan moral, par le fait que la parole donnée doit être respectée.
Enfin, sur le plan économique et social, par le fait qu’on ne peut concevoir le développement des relations d’affaires sans un minimum de sécurité. Il y va de l’intérêt social comme de l’intérêt des contractants ; le contrat perdrait sa raison d’être et les rapports économiques et sociaux seraient inévitablement perturbés si la certitude de sa réalisation n’était pas acquise [5]. Aussi pour Kelsen, le contrat tire sa force obligatoire de la volonté du législateur de le sanctionner, pour Jacques Ghestin, le contrat est obligatoire parce qu’il est juste et utile [6]. Armée de toutes ces raisons, la force obligatoire du contrat s’impose au juge car la norme contractuelle va lui servir de référence lorsqu’il sera chargé de régler un litige entre les parties. De même au législateur en ce sens que sauf exception la nouvelle loi ne régit pas les contrats nés antérieurement à son entrée en vigueur.
Toutefois, aujourd’hui, bien que l’on continue souvent à enseigner l’immuabilité de ses termes, son indifférence à l’imprévision ou aux déséquilibres initiaux [7] se multiplient les signes qui invitent à considérer le contrat autrement. Le contrat n’apparaît plus, en effet, comme un monde fermé, hermétiquement clos [8] ; il est soumis aux influences extérieures, entre en interaction avec l’ordre juridique qui l’accueille et le modèle [9]. Il y a manifestement une volonté de remise en cause de sa force obligatoire.
Le contrat, acte de prévision, offre aux parties contractantes de s’approprier le futur.
Etant entendu que la prévision qui est tout autant l’action de prévoir, consiste à se représenter ou à organiser quelque chose à l’avance que le fruit de cette action, la conjecture, l’hypothèse qui en résulte. La prévision se reconnaît ainsi en ce qu’elle porte sur un évènement qui est postérieur au moment où elle est formulée et dont la survenance est peu ou prou incertaine. La prévision propulse son auteur dans un futur incertain [10].
Pourtant, malgré la volonté affichée des contractants d’exécuter à l’avenir le contrat dans les mêmes conditions que celles du jour où il a été élaboré, de nouvelles circonstances c’est-à-dire des évènements particuliers et non prévus par eux, peuvent apparaître et du coup, affecter et perturber l’exécution normale du contrat.
Il se peut aussi que l’événement soit prévisible en soi, mais que sa date précise ou son degré de probabilité ne puisse être déterminé d’avance. Il se peut aussi que ce soit sa force qui ne puisse être prévue [11].
Il faut dire aussi que « Prévoir la possibilité de la survenance d’un événement n’est pas de prévoir sa réalisation ». En outre, les conséquences attachées à la survenance d’un événement prévisible peuvent être imprévisible [12]. Il en résulte que, quelle que soit la volonté de prévision des contractants, leur relation contractuelle ne pourra pas être épargnée par des évènements futurs. Ainsi, une fois, une nouvelle circonstance apparaîtra, elle agira manifestement sur la force obligatoire du contrat. L’on peut se poser la question à savoir : quel sera alors le régime juridique de la force obligatoire du contrat en cas de nouvelles circonstances.
Cette question à n’en point douter, divise tout aussi bien les contractants que les professionnels de la matière du droit. Aujourd’hui, avec le renouveau du solidarisme contractuel et de bien d’autres principes [13], le débat sur la question est de nouveau à l’ordre du jour.
Nous allons modestement y prendre part en exposant les arguments qui justifieront les assertions suivantes : la remise en cause de la force obligatoire en cas d’empêchement à l’exécution du contrat (I) et le maintien de la force obligatoire malgré le bouleversement des aspects économiques du contrat (II).
Sommaire de l’article :
I : La remise en cause de la force obligatoire en cas d’empêchement à l’exécution du contrat
A : La flexibilité de la force obligatoire du contrat
B : Une flexibilité limitée : l’extension de la force obligatoire du contrat aux tiers
II : Le maintien de la force obligatoire malgré le bouleversement des aspects économiques du contrat
A : Le maintien absolu de la force obligatoire en cas d’imprévision
B : Les incidences du rejet de la théorie de l’imprévision
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