Affaire Spiruline / G. C : sur le blocage de pages Facebook, la concurrence déloyale et la perte de visibilité sur Google.

Par Antoine Cheron, Avocat.

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Explorer : # concurrence déloyale # réseaux sociaux # propriété intellectuelle # perte de visibilité

La Cour d’appel de Lyon vient de rendre dans une affaire de concurrence déloyale et parasitisme une décision impliquant la société Facebook, intervenue à la demande d’une entreprise, pour procéder au blocage des pages facebook d’une entreprise concurrente (CA de Lyon, 18 déc. 2014 – Spiruline Sans Frontière / Guillaume C).

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Cette affaire permet de mettre en relief l’impact des réseaux sociaux sur le droit de la concurrence. Si Facebook représente en effet un excellent levier du point de vue marketing, il arrive aussi que des entreprises, peu soucieuses de loyauté vis-à-vis des concurrents, détournent les règles posées par Facebook en matière de respect des droits intellectuels d’autrui.

Les réseaux sociaux tel que le site Facebook jouent un rôle non négligeable dans la stratégie marketing des entreprises. Cherchant à donner une meilleure visibilité à leur marque, les plus averties d’entre-elles disposent d’un « compte entreprise » sur Facebook.

En sa qualité d’hébergeur la société Facebook peut être tenue responsable des contenus illicites ou portant préjudice aux droits intellectuels d’autrui. Pour cette raison, le site a mis en place une Déclaration des droits et responsabilités destinée à régir les conditions d’utilisation de ses services en ligne et notamment à protéger les droits intellectuels d’autrui.

Ainsi, l’article 5 de la Déclaration dispose notamment : « lorsque vous enfreignez les droits de propriété intellectuelle d’autrui à plusieurs reprises, nous pourrons désactiver votre compte ».

Dans l’affaire concernée, il était question de deux acteurs du marché de la spiruline, micro-algue présentant des vertus thérapeutiques, dont l’un, M.C reprochait à l’autre, la SSF, des actes en concurrence déloyale et parasitisme économique.

M.C commercialise son produit par l’intermédiaire du site Internet, village-spiruline.fr, créé en 2011. Il reproche à la SSF qui est arrivée sur le marché en 2012 d’avoir déposé la marque Village Spiruline auprès de l’INPI, alors qu’il s’agit d’un nom de domaine enregistré et sur lequel il dispose d’un droit exclusif.

Parallèlement à sa demande d’annulation de la marque déposée par la SSF, sur le fondement de l’article L.711-1 et suivants du CPI, M.C sollicite également le déblocage de ces deux pages Facebook, désactivées par la société Facebook sur plainte de la SSF.

Le TGI d’abord puis la Cour d’appel de Lyon ensuite vont prononcer la nullité de la marque déposée par la SSF et la condamner au paiement de dommages et intérêts à hauteur de 20.000 euros pour l’ensemble du préjudice causé à l’activité de M.C.

Les juges vont par ailleurs considérer que contrairement aux affirmations de la SSF, c’est bien cette dernière qui est à l’origine du blocage par Facebook des deux pages en cause.

1 / Sur le blocage des pages Facebook.

En principe, Facebook a le droit en vertu de la Déclaration acceptée par l’utilisateur, de désactiver un compte qui enfreint certaines règles d’utilisation du site ou viole les droits de propriété intellectuelle d’autrui.

De leur côté, les utilisateurs et notamment les entreprises, ont la possibilité de compléter un formulaire en ligne pour avertir le site Facebook de l’utilisation illicites par un autre utilisateur de leurs droits exclusifs de propriété intellectuelle.

En l’espèce, la SSF avait saisi en avril 2013 la société Facebook d’une notification pour contenu illégal. Cette action est permise par l’article 5-1 de la Déclaration des droits et responsabilités de Facebook. A la suite de cette plainte pour infraction, Facebook a désactivé les pages « entreprise » de M.C.

Cherchant à rétablir les pages supprimées, M.C s’est adressé à la société Facebook. Cependant, cette dernière en a refusé le rétablissement au motif qu’il appartient à la personne qui a signalé le contenu illégal, c’est-à-dire la SSF, de donner son accord en ce son sens.

Or en mai 2013, la SSF adresse une lettre à M.C pour l’informer qu’elle refusait de notifier à Facebook le rétablissement des pages supprimées au motif qu’elles étaient exploitées de manière illégitime, tout en soutenant par ailleurs qu’il appartient à M.C d’effectuer les démarches utiles auprès de la société Facebook pour le rétablissement des pages. En d’autres termes, elle soutient qu’elle n’est pas à l’origine du blocage.

Or selon les magistrats, la preuve est rapportée en l’espèce que les pages facebook n’ont pas été désactivées par le site Facebook en raison de contenus illégaux ou odieux contraires à la Déclaration du site mais du fait d’une plainte revendiquant des droits intellectuels, droits inexistants en l’espèce.

En effet, les courriers adressés à M.C par le responsable Facebook d’une part et la SSF d’autre part, démontrent clairement que c’est la SSF qui a élevé auprès de Facebook une plainte pour violation de ses droits intellectuels. Cette contradiction dans sa défense montre sa mauvaise foi et caractérise un acte de concurrence déloyale.

Après la décision du TGI de Lyon intervenue le 17 décembre 2013 lui enjoignant de retirer sa plainte auprès de Facebook, la SSF a effectivement présenté le 19 février 2014 au service juridique de Facebook une demande de retrait de sa plainte aux fins de déblocage des deux pages facebook.

En définitive, M.C a été privé de ses pages facebook pendant plus d’une année et l’une des deux pages n’a par ailleurs pas été rétablie. Cependant, l’absence de rétablissement de la 2ème page ne peut être imputée à la SSF d’après la Cour d’appel et peut provenir des conditions d’utilisation de Facebook en matière de noms génériques.

Cette absence de référencement sur Facebook pendant une année a causé à M.C un préjudice économique certain.

2/ Sur le préjudice résultant du blocage de pages Facebook.

M.C fait valoir au soutien de sa demande en dommages-intérêts que le blocage de ses pages facebook a eu pour conséquence une dégradation de son référencement sur Google, passant de la 3ème position à la 14ème dans les résultats en réponse à la requête « spiruline ».

La conséquence directe de cette perte de visibilité sur le moteur de recherche est une fréquentation moins importante de son site marchand, une perte de crédibilité vis-à-vis des internautes clients et finalement une perte commerciale.

La Cour d’appel va considérer qu’un chiffre d’affaires et donc une marge ont été perdus par le blocage des pages facebook. Le blocage a eu une incidence directe sur la dégradation dans le classement sur Google ainsi que sur la fréquentation du site marchand.

Les magistrats reconnaissent également que le blocage des pages facebook a eu pour résultat de faire perdre au public ce repère pour faire des achats. Les magistrats, tenant compte du chiffre d’affaire réalisé, estimeront le préjudice subi égal à 20.000 euros.

Il est intéressant de voir que pour évaluer le préjudice subi, les juges ont pris en considération des éléments telles que la baisse de fréquentation du site et la perte de repère pour le public pour venir y réaliser des achats, sans se limiter à une diminution constatée du chiffre d’affaires.

Antoine Cheron

ACBM Avocats

acheron chez acbm-avocats.com

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