Chute du cavalier à l’entraînement : quelles conséquences pour l’employeur et la victime ?

Par Blanche de Granvilliers-Lipskind, Avocat.

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Explorer : # accident du travail # faute inexcusable # indemnisation # sécurité au travail

Les chutes du cavalier d’entraînement (chez un entraîneur ou un pré-entraîneur) sont l’occasion de revenir sur cette obligation de sécurité de l’employeur.

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Aux termes de l’article L 4121-1 du Code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1. des actions de prévention des risques professionnels ;
2. des actions d’information et de formation ;
3. la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».

Les chutes du cavalier d’entraînement (chez un entraîneur ou un pré-entraîneur) sont l’occasion de revenir sur cette obligation de sécurité de l’employeur. La chute peut engendrer un lourd handicap corporel pour le lad (dénomination de « lad » remplacée dans la convention collective du 20/12/1990 propre aux établissements d’entraînement des chevaux de courses par les termes « cavalier d’entraînement ») qui en est victime mais aussi engendrer des conséquences financières non négligeables pour l’entraîneur. A la différence du jockey compétiteur qui connait et accepte le risque de la compétition, ce qui a une influence sur les règles de son indemnisation, cette idée dite « de l’acceptation des risques » n’a pas droit de cité pour le cavalier d’entraînement.

Pour la MSA, la définition de l’accident de travail est définie largement : elle vise les salariés agricoles tenus par un CDI, un CDD, occasionnels ou saisonniers, les apprentis, les stagiaires, les non-salariés agricoles, tels que chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole, les conjoints collaborateurs, les aides familiaux, les enfants du chef d’exploitation de 14 ans jusqu’à 16 ou 20 ans en cas de poursuite d’études. Toutefois le régime d’indemnisation sera différent en fonction du statut exact de la victime.

Stagiaire ou apprenti un régime différent.

Dans tous les cas précités la déclaration d’accident du travail est nécessaire. Toutefois, à l’inverse de l’apprenti, les stagiaires notamment les étudiants des lycées agricoles, ne sont pas liés par un contrat de travail à l’entreprise qui les accueille et n’ont pas le statut de salarié.
D’ailleurs les termes employés sont ceux de « convention de formation ». En cas d’accident du travail survenant au cours d’un stage en entreprise, seule l’école ou l’université qui forme l’étudiant est responsable (Article L751-1 du Code rural et de la pêche maritime) sans recours possible contre l’entreprise et ce même si l’accident est intervenu alors que le stagiaire se trouvait dans l’entreprise et même si l’entreprise a commis une faute inexcusable caractérisée dès lors que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Le tribunal des affaires de la Sécurité sociale de l’ORNE a reconnu ce principe dans un jugement du 31 mai 2013, et mis hors de cause le centre de pré-entraînement appelé en justice par une stagiaire d’un lycée agricole victime d’une chute alors qu’elle montait un jeune cheval et qui avait agi sur le fondement de la faute inexcusable, à la fois contre le centre de pré-entraînement et contre l’établissement de formation. Le tribunal a reconnu que le centre de pré-entraînement n’était pas l’employeur de la stagiaire.

A l’inverse, l’apprenti est considéré comme un salarié à part entière. Le contrat d’apprentissage vaut contrat de travail particulier. Lorsque l’accident se produit dans l’entreprise, c’est cette fois l’employeur qui sera responsable, mais aussi si l’accident se produit ailleurs notamment dans le centre de formation : l’article L6222-32 du Code du travail précise que « lorsque l’apprenti fréquente le centre de formation, il continue à bénéficier du régime de sécurité sociale sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dont il relève en tant que salarié » (Cf. Cour de cassation, 2ème chambre civile, 11 février 2016, n°14-29.502).

La faute inexcusable de l’entraîneur entraîne une indemnisation élargie pour le salarié.

En présence d’un accident du travail, le salarié a droit au remboursement de tous ses soins médicaux (chirurgie, pharmacie, hospitalisation, transport, rééducation) liés à l’accident du travail (sur la base et dans la limite des tarifs de base de l’Assurance Maladie) sans avance de frais et maintien de son salaire (entre 60% et 80% minimum). En revanche, l’article L452-1 du Code de la sécurité sociale prévoit que lorsque l’accident du travail est dû à la faute inexcusable de l’employeur, la victime (ou ses ayants droit) a droit à une indemnisation complémentaire. S’il y a faute inexcusable de l’employeur, le salarié aura droit à la réparation de l’ensemble de ses préjudices, tels que le préjudice professionnel lié à la diminution des possibilités de promotion professionnelle, le préjudice d’agrément (s’il ne peut plus monter à cheval ou exercer d’autres activités sportives), esthétique, le prétium doloris (préjudice lié à la douleur).

Le 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel a rendu une décision favorable aux salariés victime d’une faute inexcusable de leur employeur en admettant que la liste des préjudices fixée par l’article L 452-1 n’est pas limitative et que la victime peut demander à l’employeur la réparation de l’ensemble de ses préjudices sous réserve qu’elle en rapporte la preuve.
Il est certain que l’absence ou l’insuffisance du Document Unique de sécurité, formulaire d’évaluation des risques professionnels obligatoire dans toutes les entreprises dès le 1er salarié, établit automatiquement la faute inexcusable de l’employeur. La faute inexcusable sera notamment retenue si le document unique de sécurité existe mais qu’il n’est pas mis à jour régulièrement au minimum une fois par an.

On trouve quelques exemples (mais assez peu) de condamnations d’employeurs au titre de la faute inexcusable en matière d’établissements d’entraînements. On peut citer cette décision de la cour d’appel de Bordeaux le 10 mars 2016 à l’encontre d’un centre équestre qui avait laissé sa salariée manipuler seule une remorque de 700 kilos, ou encore un jugement du tribunal des affaires de la sécurité sociale de Nantes du 10 mars 2016 à l’encontre d’un établissement de formation, à propos d’une étudiante qui préparait un brevet professionnel option entraînement des chevaux, victime d’une chute alors qu’elle montait sans surveillance et sans gilet de protection, une jument réputée difficile, équipée d’un mors plus douloureux qu’un mors classique. On rappellera que comme toute entreprise, les établissements de pré-entraînement (où l’on dresse les jeunes chevaux) où les risques sont accrus sont également concernés par cette obligation de sécurité résultat et que la faute inexcusable de l’établissement sera plus souvent recherchée. La victime devra cependant veiller à respecter les délais pour agir visé par l’article L 431-2 du Code de la sécurité sociale comme l’a rappelé le tribunal des affaires de la sécurité sociale de l’Orne le 31 mai 2013 (décision précitée) qui a débouté la stagiaire à l’encontre de l’établissement de formation, au motif qu’ayant agi plus de 2 ans après l’accident, elle n’était pas recevable à agir. Le tribunal n’a donc pas eu à examiner si une faute inexcusable avait ou non été commise.

La faute inexcusable est assurable.

L’entraîneur doit toutefois être rassuré sur un point, la faute inexcusable est assurable : même si elle est retenue contre lui, son assurance professionnelle garantira le paiement des indemnités complémentaires mises à la charge de l’entraîneur ainsi que la cotisation complémentaire finançant la majoration des indemnités (Article L 452-2 du Code de la sécurité sociale). Même si la victime décide d’agir pénalement contre l’entraîneur pour homicide ou coups et blessures involontaires et que l’employeur est condamné, l’entreprise est assurée dès lors qu’il n’y a aucun caractère volontaire ou intentionnel de l’infraction pénale reprochée. En revanche les cotisations supplémentaires imposées à l’employeur par la MSA (article L 242-7 Code de la sécurité sociale) à la suite de l’infraction commise ou du non- respect d’une mesure de prévention, (comme l’absence du document unique de sécurité) sont considérées comme des pénalités et ne seront pas garanties par l’assureur.

La visite de reprise du salarié accidenté.

Le salarié accidenté, à la suite de sa période de convalescence peut reprendre son activité si le médecin traitant délivre un certificat médical final de guérison lequel doit aussi être adressé à la MSA. A défaut de guérison, et si la lésion n’est plus susceptible d’évolution le médecin délivre un certificat de consolidation avec évaluation des séquelles. Ce certificat adressé à la MSA permettra à la victime d’être convoquée par le médecin conseil qui fixera le taux d’incapacité et le montant de l’indemnisation éventuelle que versera la MSA, pourcentage que la victime peut contester.
Cette visite de reprise des salariés agricoles est obligatoire en cas d’accident si l’arrêt de travail est d’une durée supérieure ou égale d’un mois. Elle devra intervenir dans les 8 jours de la reprise. Si l’employeur laisse un salarié reprendre le travail après un arrêt sans visite médicale de reprise, le contrat de travail de celui-ci reste suspendu (Cass. soc., 6 avr. 1999, no 96.45.056P) et le licenciement du salarié sera considéré comme sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 16 juin 2009, n°08-41.519). De son côté, le salarié qui refuse de se présenter à une visite médicale peut être accusé de faute grave ( Cass. soc., 29 nov. 2006, n° 04.47-302).

Un licenciement encadré avec doublement de l’indemnité légale pour le salarié.

Si le salarié n’est plus apte à son travail, et qu’aucune mesure de reclassement n’est envisageable, l’entreprise pourra le licencier. Pour le cavalier d’entraînement, l’article 15 de l’annexe II de la convention collective prévoit qu’un délai d’absence minimum est imposé pour l’employeur qui veut licencier son salarié victime d’un accident de travail. Par exemple pour les salariés ayant 15 ans ou plus d’ancienneté, ce n’est qu’au bout de 10 mois que le salarié pourra être licencié.

L’article L 122614 du Code du travail prévoit que dans ce cas le salarié a droit à une indemnité spéciale de licenciement qui est égale au double de l’indemnité prévue par l’article L.12349 ainsi qu’à une indemnité de congé payé qui pourrait être due pour le temps de travail effectué. Ce doublement de l’indemnité n’est pas dû par l’employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.

La situation de l’exploitant non salarié qui s’accidente lors d’un entraînement.

Il est rappelé que sont également assurés auprès de la MSA en accident du travail, les non-salariés agricoles, (chefs d’exploitation, conjoints collaborateurs et leurs enfants, aides familiaux). L’exploitant pourra aussi prétendre à un remboursement à 100 % de ses frais médicaux liés à l’accident du travail dans les mêmes conditions que les salariés, mais en revanche, l’indemnisation ne commence qu’à partir du 8ème jour d’arrêt tandis que le montant des Indemnités Journalières (21€ par jour puis 28€) sera un montant forfaitaire. En outre elle n’est prévue que pour les exploitant installés depuis plus d’un. Il existe dans chaque département un service de remplacement en cas d’absence de l’exploitant agricole (non salarié). Ce service a un coût pour le bénéficiaire qui doit régler une cotisation annuelle et qui est également facturé des frais de remplacement. Même s’il sera souvent illusoire de penser que le chef d’entreprise peut être remplacé ce dispositif a le mérite d’exister et peut apporter une aide ponctuelle.

Rappelons qu’il est conseillé à l’exploitant de prendre des garanties complémentaires pour lui et/ou ses salariés. Il peut s’agir d’une mutuelle qui va compléter le système obligatoire de la MSA, en cas d’accident, hospitalisation frais… ou d’une garantie individuelle accident qui peut venir en complément des régimes sociaux.
Comme tout employeur l’entraîneur a conscience de la nécessité d’assurer la sécurité de ses employés qui prennent des risques en montant des chevaux de course ayant un fort tempérament. Il sait également que sa négligence caractérisée notamment par la faute inexcusable sera particulièrement coûteuse.

Blanche de Granvilliers-Lipskind
Avocat à la Cour, Docteur en droit,
Membre de l’Institut du Droit Equin

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