Le sage tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Monsieur Robert Ménard doit regretter de ne pas avoir appliquer ce proverbe avant de "s’auto-incriminer" en déclarant sur France 2 que 64,6 % des enfants sont musulmans dans les écoles primaires et maternelles.
Suite à une interrogation légitime d’un téléspectateur sur Twitter qui se demandait bien comment le maire de Béziers tenait ces statistiques, ce dernier lui a répondu en affirmant qu’il s’agissait des chiffres de sa mairie et prenant le soin d’ajouter que le maire détient tous les noms, classe par classe, des enfants.
Même si comme dit l’adage "la plume est serve mais la parole est libre", de cet aveu, le délit de "tenue illégale de fichiers en raison de l’origine ethnique" semble constitué.
En effet, le régime de protection des données personnelles a été instauré par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, modifiée à de nombreuses reprises depuis.
Aux termes de l’article 2 de cette loi, "constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs élément qui lui sont propres".
L’article poursuit en définissant le fichier de données à caractère personnel comme un "ensemble structuré et stable de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés".
Sans conteste, le prénom et le nom d’une personne constituent des données à caractère personnel puisque, comme le prévoit le texte, elles lui sont propres.
En outre, le fait d’établir des listes au sein de fichiers recensant tous les enfants scolarisés au sein des écoles maternelles et primaires de la ville de Béziers (les collèges étant gérés par les départements et les lycées par les régions) constitue bien le fichier de données à caractère personnel prévu par l’article 2 de ladite loi (ensemble structuré et stable de données à caractère personnel).
Si ces précisions conduisent donc à l’application de la loi Informatique et libertés au cas présent, ce n’est pas tant la tenue d’un tel fichier qui pose problème mais plutôt les informations qui y figurent. En effet, en fonction du prénom de l’élève concerné, il sera répertorié par ladite liste comme musulman ou non.
Des dispositions spécifiques s’appliquent à certaines catégories de données, les données dites "sensibles" faisant notamment apparaître l’origine sociale ou ethnique de la personne. En effet, la collecte ou le traitement de telles données est interdit (article 8 de la loi).
Bien évidemment, inutile de préciser que le fichage tel que celui en cause n’entre dans aucune des exceptions à l’interdiction prévues au sein de ce même article 8 ou même que le consentement (ni d’ailleurs l’information) des personnes "fichées" n’a été obtenu.
C’est pourquoi l’infraction semble bien constituée puisque tant l’élément moral (volonté de commettre l’infraction) que matériel (la réalisation même du délit), éléments indispensables à la commission d’un délit pénal (article 121-3 du Code pénal), sont remplis.
Ces faits sont passibles de 300 000 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement. De surcroît, le gendarme des libertés individuelles, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) peut infliger des amendes aux responsables de ce genre de fichiers. Cette dernière, en tant qu’autorité administrative indépendante dotée d’un pouvoir disciplinaire, peut en effet infliger des amendes aux personnes (physiques ou morales) qui ne respectent pas les dispositions légales relatives aux données personnelles.
En outre, même si le texte ne le prévoit pas, le Tribunal lors d’un éventuel jugement pourrait prononcer des peines complémentaires comme par exemple une inéligibilité pour Monsieur Robert Ménard s’il estime que les faits qui lui sont reprochés sont incompatibles avec l’exercice d’un mandat électoral, quel qu’il soit.
Tout traitement de données à caractère personnel doit être déclaré au préalable à la CNIL. Naturellement, concernant le traitement et la collecte de données "sensibles", c’est le régime le plus contraignant, celui de l’autorisation préalable, qui s’impose.
Voilà de quoi relancer le débat qui fait rage entre la nécessité ou non de procéder à des statistiques faisant apparaître l’origine ethnique ou religieuse des individus, pratique légale dans certains pays comme les Etats-Unis ou la Grande Bretagne pour ne citer qu’eux...
Discussions en cours :
Manifestement le tribunal administratif n’est pas d’accord avec cette analyse Il vient de rendre une décision contraire ;Tel est pris qui croyait prendre Philippe Riboulin !
Je vous invite à vous référer au commentaire ci-dessus et à lire les dispositions de l’article 226-31 du Code pénal pour vous en convaincre.
Quant au tribunal administratif, il n’est à mon sens pas compétent pour connaître du litige car c’est au juge pénal de se prononcer en vertu des dispositions citées dans mes commentaires précédents.
sauf qu’il ne s’agit pas de fichage mais de l’établissement de statistiques pour la recherche de réalités
Dans ce cas, pourquoi le procureur de Béziers a-t-il alors ouvert une enquête préliminaire pour "tenue illégale de fichiers en raison de l’origine ethnique"...?
Pour votre information, la tenue illégale de fichiers, comme le fait de se constituer une base de données comportant le nom de tous les élèves, est plus communément appelée "fichage".
Comment font les mairies qui servent des repas dits "religieux" ? Elles tirent au sort le nombre de repas ? Elles estiment que ? ou tout simplement elles possèdent des listes !!! Exemples de mairies connues qui servent ce genre de repas et savent combien de plateaux il faut : Strasbourg, Paris etc...
Le principe en matière de protection de donnée à caractère personnel étant celui de la finalité, vous constaterez tout de même que la finalité poursuivie par un éventuel traitement n’est pas la même selon que l’on constitue ces fichiers afin de "répertorier les élèves présumés musulmans" car selon le maire de Béziers, il y a "un problème avec l’immigration" ou selon que l’on constitue ceux-ci aux fins de distribuer des repas aux membres d’une religion.
J’utilise volontairement le terme d’éventuel et le conditionnel est de mise en la matière car même si Robert Ménard a affirmé dans un premier temps avoir établi des listes, une enquête est actuellement en cours et la présomption d’innocence demeure. Quant aux repas "religieux" dont vous faites état, vous constaterez là encore que vous ne détenez pas de preuve tangible du fait que ces mairies "possèdent des listes" et ne faites que supposer.
A l’heure des réseaux sociaux et de l’hyper communication, il est très aisé d’organiser de tels événements afin d’évaluer le nombre de repas à distribuer sans pour autant que cela constitue un traitement de fichiers illicites.
Tout simplement en demandant au représentant légal de l’enfant, lors de l’inscription à la cantine scolaire, s’il faut mettre en place un régime particulier (sans gluten, sans porc, allergies à tel ou tel aliment )
Je pense que vous oubliez la notion fondamentale en matière de donnée personnelle, celle de la finalité du traitement.
Le fait de demander au représentant légal s’il faut mettre en place un régime particulier (par exemple sans gluten) répond à une nécessité médicale évidente. Vous n’allez pas faire manger du gluten à une personne qui y est intolérante.
A fortiori, vous ne ferez pas manger de porc à une personne de confession musulmane mais le fait de recueillir cette information a une finalité légitime car elle vise à répondre à une demande spécifique et se justifie par un principe plus général de "liberté de croyance".
Je vous invite là encore à consulter et à lire si ce n’est pas déjà fait l’article 8 de la loi Informatique et Libertés qui permet à la CNIL d’"autoriser, compte tenu de leur finalité, certaines catégories de traitements selon les modalités prévues à l’article 25".
Juste une question : "même si le texte ne le prévoit pas, le tribunal pourrait prononcer une peine complémentaire". Sur quel fondement ?
Cher confrère,
Compétence étant attribuée en la matière au juge pénal pour connaître du délit, ce dernier a la faculté, outre la peine principale, de prononcer des peines complémentaires (articles 131-10 et s. du Code pénal).
S’agissant de celles-ci, le tribunal peut prononcer à titre temporaire (cinq ans maximum) ou définitif :
Je vous remercie pour votre question et pour votre intérêt pour mon article et reste à votre disposition pour toute autre demande.
Votre bien dévoué.
Pour vous répondre de manière plus spécifique, l’article 226-19 du Code pénal prévoit que le fait de collecter sans le consentement des personnes concernées des données à caractère personnel faisant ressortir directement ou indirectement l’origine ethnique ou religieuse de celles-ci est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.
Dans le même chapitre du Code pénal, l’article 226-31 prévoit que les personnes physiques responsables des infractions visées au présent chapitre encourent également les peines complémentaires suivantes :
2° "L’interdiction d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, suivant les modalités prévues par l’article 131-27".
En espérant avoir répondu de manière exhaustive à votre question.