Liberté de religion et liberté d'entreprise. Par Jeremy Huet, Juriste.

Liberté de religion et liberté d’entreprise.

Par Jeremy Huet, Juriste.

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Explorer : # liberté et pratique religieuse # neutralité # discrimination indirecte # liberté d'entreprise

Le 14 mars 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu sa décision concernant le port des signes religieux dans le monde de l’entreprise. Les juges ont dû concilier liberté de conscience et liberté d’entreprise, libertés garanties par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

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D’une manière plus générale, la décision de la CJUE vient une fois de plus approfondir la question suivante : la liberté de conscience s’accompagne-t-elle du droit d’afficher son appartenance religieuse ?

Le monde de l’entreprise est également touché par la question de la pratique de la liberté religieuse, liberté individuelle reconnue à tous les salariés, au sein d’une entreprise privée.

Il convient de se poser une question : comment appréhender la question de la liberté religieuse au sein d’une entreprise ?

On ne peut répondre à cette question que par un point de vue négatif. C’est-à-dire, au regard de son interdiction.

On retrouve déjà la réponse à cette question dans le Code du travail : il faut regarder le règlement intérieur. Déjà l’affaire Baby Loup de la Cour de cassation de 2014 venait poser le principe de la supériorité du règlement intérieur promouvant la neutralité sur la liberté religieuse.

A la lecture de l’article L1321-2-1 du Code du travail, suite à la réforme du droit du travail de la loi du 8 août 2016, « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »

Autrement dit, la liberté religieuse dans l’entreprise est le principe, les restrictions par le règlement intérieur, les exceptions. Une entreprise peut donc très bien insérer un article et promouvoir la neutralité au sein de son enceinte à condition que ces restrictions aient un caractère général et non discriminatoire. Ainsi, dans l’arrêt G4S du 14 mars 2017, « L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une règle interne d’une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive ». En l’espèce, le règlement intérieur de l’entreprise avait mis en avant une politique de neutralité interdisant tous signes religieux. Ainsi, cela ne ciblait pas directement une personne, un groupe de personne, ou une religion. Le caractère général de la restriction doit être la règle.

L’article L1321-2-1 du Code du travail pose une condition : il faut que les restrictions à la liberté religieuse trouvent leur origine dans le respect d’autres libertés ou droits fondamentaux ou pour le bon fonctionnement de l’entreprise.

Mais quelles peuvent être ces autres libertés et droits fondamentaux pouvant restreindre cette liberté religieuse ?

La CJUE du 14 mars 2017 vient de donner un exemple : la liberté d’entreprise. On répondra à cette question par l’analyse de la discrimination indirecte et la notion de motif légitime.

La CJUE répond en deux temps. Dans un premier temps, elle admet que la neutralité insérée dans le règlement intérieur, à caractère général et neutre, entraîne un désavantage pour certaines personnes en raison de leur appartenance à une religion si un lien existe entre la disposition de neutralité insérée dans le règlement intérieur et la liberté religieuse réclamée par la salariée. Il y aura alors une discrimination indirecte. Par exemple, si la disposition du règlement intérieur relatif à la restriction de la liberté religieuse intervient postérieurement à l’affirmation religieuse d’un salarié. Dans l’espèce, le règlement intérieur avait été changé après la manifestation religieuse de la salariée, bien qu’il existait une règle non écrite et une pratique en la matière au sein de l’entreprise.
Mais la CJUE ne s’est pas arrêtée à cette hypothèse, somme toute assurée à caractériser la discrimination indirecte. En effet, dans un deuxième temps elle considère que la discrimination indirecte n’est pas caractérisée si la disposition de neutralité est justifiée par un objectif légitime tel que la liberté d’entreprise dans les relations avec ses clients. Il reviendra à cette fin aux juges nationaux d’apprécier la proportionnalité de la décision de licenciement au regard de l’objectif légitime recherché.

Autrement dit, la modification du règlement intérieur intervenant après la déclaration d’une salariée de vouloir afficher, au sein de l’entreprise, sa conviction religieuse, doit, pour ne pas être entaché de discrimination, avoir un caractère neutre et général. Cette neutralité générale ne méconnaissant pas le principe de discrimination directe. Mais, cela pourrait cependant méconnaître la notion de discrimination indirecte. A cette question, le CJUE est venu poser deux conditions : il faut qu’il existe un lien entre la disposition et le désavantage et qu’il n’y ait pas d’objectif légitime supérieur.
La liberté d’entreprise portée par une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse doit être considérée comme légitime. Alors, il n’y aura pas de discrimination indirecte dans cette hypothèse. Bien entendu, il reviendra aux juges nationaux d’apprécier cette légitimité.

En l’espèce, la conciliation entre la liberté religieuse et la liberté d’entreprise se trouve dans le respect du règlement intérieur de l’entreprise qui prône une politique de neutralité que ce soit en interne à l’attention des salariés, mais aussi en externe vis-à-vis des clients.

En s’appuyant sur cette décision, la CJUE, le même jour, dans l’affaire Micropole SA, a considéré que le souhait par un client de ne pas avoir à faire à une salariée portant le foulard islamique ne pouvait être considéré comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Autrement dit, il n’y a pas de motifs légitimes pour expliquer l’exception à la liberté religieuse. En ce sens, le licenciement doit être pris au regard d’éléments subjectifs liés à des motifs légitimes comme une politique interne de neutralité.

Pour conclure, dans le monde de l’entreprise, la liberté de religion est la règle. Cependant, les entreprises peuvent, dans leur règlement intérieur, interdire le port des signes religieux. Cette interdiction doit être exempte de toutes partialités envers une religion ou une personne et doit atteindre un objectif légitime qui sera à apprécier par les juges. Il sera alors question d’une neutralité générale de l’entreprise en interne, comme en externe.

Jeremy Huet - Juriste d’entreprise

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