Le recours d’une société contre une mesure de publicité et de mise en concurrence d’un marché est soumis à la preuve, par celle-ci, qu’elle a été lésée par le comportement qu’elle invoque ou qu’elle est susceptible de l’être. Le Conseil d’Etat vient de rappeler ce principe essentiel du contentieux des marchés en matière de référé précontractuel, dans un arrêt du 22 juillet 2009 (CE, n°314258, « Commune de Nice ») .
Le cadre juridique de cet arrêt résulte de l’article L.551 du Code de justice administrative qui dispose que le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi d’un recours, en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, par des personnes « qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par ce manquement ».
La règle constante, antérieurement observée par le Conseil d’Etat, était de permettre aux juges des référés précontractuels d’accueillir les requêtes en annulation de marchés ayant pour origine des candidats évincés dès lors qu’elles étaient fondées sur un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, y compris lorsque ces derniers n’avaient pas été commis à leur détriment (CE, 16 octobre 2000, n° 213958, « Sté Stereau », CE, du 8 avril 2005, n° 270476, « Radiometer »).
Le Conseil d’Etat utilisait alors une formule telle que celle-ci : « Considérant qu’une entreprise candidate à l’obtention d’un marché étant susceptible d’être lésée par tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, le président délégué du tribunal administratif de x a pu, sans entacher son ordonnance d’une erreur de droit et après avoir relevé l’absence de(…) [suivait une mention essentielle à une mesure de publicité ou de mise en concurrence], en déduire, sans rechercher si ces irrégularités avaient en fait porté préjudice aux sociétés Y et Z, que ces sociétés étaient fondées à demander la suspension de la passation dudit marché ».
En octobre dernier, dans un arrêt n° 305420 du 3 octobre 2008 (« SMIRGEOMES »), le Conseil d’Etat sonnait le glas de cette ouverture contentieuse en jugeant que l’irrégularité d’une procédure d’appel d’offres alléguée devait être susceptible d’avoir lésé la partie qui la soulevait.
Dans un considérant de principe le Conseil d’Etat indiquait qu’ « il ne résulte pas de l’instruction que la société requérante, dont la candidature a été admise et qui a présenté une offre correspondant à l’objet du marché, soit susceptible d’avoir été lésée ou risque d’être lésée par les irrégularités ainsi invoquées ».
Ce revirement de jurisprudence, qui étendait les pouvoirs du juge des référés, a d’ores et déjà fait l’objet d’application à plusieurs reprises par des tribunaux administratifs (TA Bastia, ord., 8 janvier 2009, n° 08-01324, « Sté CBS », Contrats et Marchés publics n° 2, Février 2009, comm. 63, Référé précontractuel : application de la jurisprudence « SMIRGEOMES » au défaut de mention des modalités de paiement et des procédures de recours dans l’AAPC, TA Paris, ord., n° 0900393, 3 février 2009, « Sté Ken Club », Contrats et Marchés publics n° 3, mars 2009, comm. 101 « Mise en oeuvre de la jurisprudence « SMIRGEOMES ».
A l’occasion de l’arrêt commenté du 22 juillet dernier le Conseil d’Etat vient rappeler, par un considérant identique à celui du 3 octobre 2008 qu’ « Il ne résulte pas de l’instruction que la société requérante, dont la candidature a été admise et qui a présenté une offre correspondant à l’objet du marché, soit susceptible d’avoir été ou d’être lésée par les irrégularités qu’elles invoque, à supposer celles-ci établies ».
Par la formulation utilisée « à supposer celles-ci établies » le Conseil d’Etat indique que le requérant doit faire porter ses efforts, tant sur la preuve de l’existence des manquements aux procédures évoquées que sur celle du lien de causalité entre leur existence et le préjudice pour lui. Il appartient désormais au juge administratif de vérifier ce point.
Une telle jurisprudence devrait avoir pour conséquence logique de limiter le nombre des requérants en les soumettant à un second niveau de contrainte probatoire lié aux conséquences pour eux des manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence. L’avantage pour les pouvoirs adjudicateurs serait de les mettre à l’abri d’une annulation de leur procédure de passation pour de simples erreurs de plume.
Toutefois, la notion de lésion invoquée par les requérants nécessitera d’être affinée et précisée par la jurisprudence car elle constituera désormais le centre d’attention et de concentration des efforts des requérants dans leurs démarches visant à l’annulation des marchés.
Jean-Baptiste BOUSQUET, Docteur en droit, Juriste d’Entreprise