Mères porteuses, analyse en droit de la famille, par Elise Pionica, Juriste

Mères porteuses, analyse en droit de la famille, par Elise Pionica, Juriste

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Explorer : # mères porteuses # droit de la famille # filiation # légalisation

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Sur fond d’arrêt de la Cour de cassation en décembre 2008, le débat sur la légalisation des mères porteuses a été relancé en France. En juin 2008, un rapport remis au Sénat jetait un pavé dans la mare, en demandant l’autorisation des mères porteuses sous la condition que la pratique soit très encadrée.

La première chambre civile le 17 décembre 2008 a précisé la portée de la prohibition de la maternité pour autrui de la loi française. La difficulté survenue dans cette affaire se rapporte à la transcription d’acte de naissance au Consulat français. Le Ministère public a demandé la transcription afin d’en demander l’annulation sur le fondement de la contrariété avec l’ordre public. Cette solution, très rude pour les enfants, en contradiction avec l’intérêt supérieur de l’enfant de la Convention internationale des droits de l’enfant, leurs empêche d’établir une filiation.

I. Une législation claire : la femme receveuse n’est pas la mère de l’enfant.

La filiation paternelle s’établit comme n’importe quelle filiation paternelle hors mariage alors que pour la filiation maternelle, l’enfant ne peut être rattaché à la mère demandeuse car en droit, la mère est celle qui accouche de l’enfant. La mère reste la mère porteuse. La maternité d’une autre ne peut être établie même si la mère porteuse consent à donner l’enfant qu’elle a porté.

Peut-on dès lors établir la filiation autrement en cas de gestation pour autrui ?

L’adoption est inenvisageable depuis un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 31 mai 1991 qui a expressément refusé l’adoption par une femme demandeuse. En effet, cela équivaudrait à un détournement de l’institution : l’adoption vise à donner une famille à un enfant privé de la sienne et en aucun cas à organiser la gestation pour autrui.

La possession d’état, définie comme l’apparence d’un état donné servant de preuve de la filiation légitime ou naturelle, ne peut servir à établir cette filiation. Ce mode d’établissement est incertain car le caractère équivoque peut résulter de la fraude ou de la violation de la loi.

Désigner la mère demandeuse sur l’acte de naissance constituerait une substitution ou une dissimulation d’enfant entraînant une atteinte à l’état civil, constitutif d’une infraction pénale réprimée par l’article 227-13 du Code pénal.

Enfin, on pourrait envisager de faire établir la filiation à l’étranger. La Cour de cassation rappelle que la prohibition française ne peut être contournée par le recours à une mère porteuse étrangère même si la loi du pays autorise la transaction, l’ordre public se verrait fragiliser par un contournement à l’étranger. La situation consacrée à l’étranger en accord avec le droit local importe peu, il est nécessaire que l’acte étranger soit régulier mais également en conformité avec l’ordre public français.

Il est impossible en droit français de légitimer par une autre voie la gestation pour autrui.

II. La régularisation par une légalisation des mères porteuses prive l’enfant de protection légale.

Envisager une régularisation de l’état civil des enfants nés de mères porteuses ne servirait pas l’intérêt de l’enfant car la modification de l’état civil ne concernerait seulement que les enfants nés à l’étranger.

La prohibition française de la maternité pour autrui n’est pas un choix arbitraire, elle est prise pour protéger les intéressés notamment la mère porteuse et l’enfant. La sanction prise par la Cour de cassation est donc nécessaire afin de rendre la prohibition efficace et dissuasive.

III. La légalisation des conventions de mères porteuses ne résout pas les difficultés.

Légaliser la maternité pour autrui permettrait de donner aux enfants nés dans le cadre légal un état civil complet mais cela n’empêche pas tous les inconvénients liés à cette pratique. La légalisation n’aurait aucun effet en l’absence de sanction.
De plus, les enfants nés hors-cadre légal ne se verraient pas doter d’un état civil portant le nom de la mère demandeuse car instaurer une sanction est nécessaire pour permettre à la législation d’être efficace.

Légaliser les mères porteuses permettrait d’attribuer une filiation maternelle à l’enfant mais la situation restera confuse jusqu’à la décision de la mère porteuse, la gestatrice pouvant toujours décider d’arrêter la grossesse ou de garder l’enfant.

Il ressort de cette solution une incohérence en admettant que porter l’enfant donne le droit à la mère de le considérer comme le sien tout en considérant que le recours à la gestation pour autrui est accessoire dans la maternité.

Question d’ordre public, elle divise l’opinion publique : admettre la légalisation conduirait à la multiplication de la pratique et la prohibition est une règle protectrice de l’enfant.

Cette pratique, admise dans de nombreux pays, doit être envisagée sous un angle plus généraliste : à l’aune du droit international privé.

IV. Les mères porteuses en droit international privé.

Si en droit français les mères porteuses ne sont pas admises, se rendre à l’étranger afin de faire établir une convention de mère porteuse constitue un détournement de la loi.

Cette convention en droit français sera nulle ; il en de même en droit international car les parents sont rattachés à la France. La nationalité française constitue un rattachement inaltérable du statut personnel aux règles impératives du droit français, la volonté personnelle ne suffit pas.

Dès lors, la légalisation constitue un signal pour ceux qui envisagent d’aller à l’étranger pour une adoption sauvage ou la conclusion d’une union de forme originale.

Sur le plan de la technique de droit international, le lien en l’espèce avec le droit américain est caractérisé par la naissance sur le sol américain. Le conflit de lois a été résolu au profit de la règle impérative française interdisant la maternité pour autrui. La Cour de cassation avait précisé que le juge de l’exequatur n’a pas à vérifier que la loi appliquée par le juge étranger est celle désignée par la règle des conflits de loi française.

Dès lors, il est impossible de refuser de reconnaître une décision américaine. Le seul moyen de remettre en cause cette décision se fait par le contrôle de l’ordre public et de la fraude, sous la condition d’une motivation expresse.

Elise Pionica, Juriste

Source :

*Note d’Adeline Gouttenoire du 07 Janvier 2009 « Mère porteuse : la Cour de cassation soutient l’action du ministère public ». Lexbase Hebdo - Edition Affaires.

*Note d’Aude Mirkovic du 04 février 2009 « Mères porteuses : analyse de droit de la famille ». JCP G Semaine Juridique (édition générale).

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