Notion de réserves motivées.

Par Anicet Agboton, Juriste.

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Explorer : # réserves motivées # accident du travail # procédure d'instruction # obligations de l'employeur

En matière de législation professionnelle, émettre des réserves motivées consiste à expressément mettre en doute la survenance d’un fait accidentel au temps et au lieu du travail.

S’il est acquis que les réserves motivées de l’employeur, au sens des dispositions de l’article R.411-11 du Code de la sécurité sociale (CSS) ne peuvent porter que sur les circonstances de temps et de lieu du fait accidentel, ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail, se pose la question de connaître les éléments conférant à ces réserves le caractère motivé.

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Tout à débuté en l’espèce, lorsqu’une société a déclaré à une caisse primaire le 29/01/2010, un fait accidentel subit par un de ses salariés le 27/01/2010, et porté à sa connaissance le 28/01/2010. Le 02/02/2010, l’employeur a adressé une lettre de réserves à la Caisse Primaire qui a d’emblée reconnu le caractère professionnel du sinistre le 17/02/2010, sans diligenter des mesures d’instruction.

Les juges du fond ont déclaré la décision de prise en charge de la caisse primaire inopposable à l’employeur, faute pour l’organisme de sécurité sociale de n’avoir mis en œuvre aucune mesure d’instruction, alors que les réserves de l’employeur étaient de nature à en appeler.

Cette interprétation est confirmée par la Cour de cassation qui rejetant le pourvoi de la caisse primaire, rappelle et surtout illustre les éléments sur lesquels peuvent porter les réserves motivées (I). Elle précise ensuite les conséquences de l’existence de ces réserves motivées, ôtant à ce stade de la procédure, toute exigence probatoire à la charge de l’employeur (II).

I- Les éléments constitutifs des réserves motivées

La notion de réserves motivées a été légalement consacrée par le décret n°2009-938 du 29 juillet 2009 modifiant l’article R.411.11 du CSS, entré en vigueur le 1er janvier 2010. Précédemment, cet article faisait mention de simples réserves, tandis que la jurisprudence en exigeait une motivation [1]. En tout état de cause, les réserves motivées ne peuvent porter que sur les circonstances de temps et de lieu ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.

La décision rapportée nous apprend qu’émettre des réserves motivées, c’est mettre expressément en doute le fait qu’un accident ait pu se produire au temps et au lieu du travail. Cette précision répond à l’argumentation de la caisse qui soutenait que la déclaration d’accident du travail avait été établie le lendemain du fait accidentel par l’employeur, en y mentionnant que l’accident avait eu lieu à 10h30, pendant les horaires et sur le lieu de travail de l’assuré.

Pour l’organisme social, les réserves de l’employeur équivalant au final à revenir sur ses propres déclarations, il appartenait à ce dernier d’établir en quoi ses propres mentions étaient inexactes. En lieu et place, la lettre de réserves de l’employeur relevait l’absence de témoins, ainsi qu’une connaissance des faits accidentels le lendemain de leur survenance.

La Caisse Primaire méconnaissant alors le fait que l’employeur lorsqu’il remplit une déclaration d’accident du travail, ne fait en général que consigner les propos portés à sa connaissance par le salarié.

Il faut rappeler que les dispositions légales obligent certes l’employeur à remplir une déclaration d’accident du travail (DAT), mais que le contenu de cette DAT n’engage pas l’employeur et ne s’impose pas à la caisse. Il ne constitue qu’un faisceau d’indices, avec le certificat médical initial, permettant ou non de retenir le caractère professionnel du sinistre. Ce faisceau est éventuellement complété par les données issues de l’instruction dont la caisse a la charge et la direction.

Approuvant la Cour d’appel, la Cour de cassation estime dans le cas d’espèce que sont de nature à mettre en doute la survenance du fait accidentel au temps et au lieu du travail, l’absence de témoins, et l’information portée à la connaissance de l’employeur seulement le lendemain. Pourtant la victime d’un accident du travail doit en principe en informer l’employeur dans les 24h ( [2]).

Notons qu’il y a peu, l’indication par l’employeur d’une absence de témoins ne constituait pas à elle seule, une réserve motivée [3]. Il a ensuite été jugé que le fait de relater les circonstances de l’accident du travail au conditionnel, d’indiquer l’absence de témoin oculaire, la matérialité de l’accident du travail reposant sur les seules déclarations du salarié constituait l’expression de réserves motivées [4].
Il faut donc retenir que constituent des réserves motivées un ensemble d’indices permettant de douter : de la survenance au temps et au lieu du travail, d’un fait accidentel, ou de l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.
Quelles en sont les conséquences ?

II- Les conséquences de l’existence de réserves motivées

La Cour de cassation déduit de l’existence de réserves motivées, une conséquence pour l’employeur, en plus de celle mise à la charge de la Caisse par l’article R.441-11 III- du CSS.

Alors qu’un auteur relevait qu’en cas de réserves conservatoires non motivées, « l’employeur ne (pouvait) faire patienter la caisse qu’à ses risques et périls » [5], dès qu’il a valablement instillé le doute sur les circonstances de temps et de lieu d’un accident du travail, il n’a plus qu’à attendre la mise en œuvre d’une instruction et l’issue de cette dernière.

La Cour de cassation précise dans l’arrêt commenté que l’employeur n’a en aucune manière l’obligation de rapporter, à ce stade de la procédure, « la preuve de faits de nature à démontrer que l’accident n’a pu se produire au temps et au lieu du travail ».
L’interprétation faite par les Hauts magistrats de l’article R.441-11 du CSS exclut cette obligation qui n’y est d’ailleurs ni apparente, ni suggérée. Et pour cause, cela viderait de sens le schéma procédural imposant ensuite à la Caisse de diligenter une instruction en vue d’établir la matérialité du fait accidentel.

Elle doit alors soit adresser à l’employeur et/ou au salarié concerné un questionnaire, soit procéder à une enquête. Pour autant, elle demeure libre du choix des mesures d’instruction qu’elle diligente [6].
A défaut, comme en l’espèce, la décision de prise en charge du fait accidentel relevant de la législation professionnelle est inopposable à l’employeur.

Mais, le choix des mesures d’instructions n’est qu’un piètre réconfort pour les services instructeurs des Caisses Primaires car, de fait les DAT sont généralement remplies au conditionnel, ne font pas systématiquement mention de témoins, et il n’est pas exceptionnel que les faits soient connus de l’employeur le lendemain de leur survenance. A ce rythme, le temps où les Caisses devront quasi-systématiquement mener une instruction n’est alors plus très loin !

L’employeur n’aura à nouveau une réelle obligation probatoire que s’il entendait contester la décision de prise en charge de la Caisse intervenue à l’issue de l’instruction éventuellement provoquée par ses réserves motivées.

Au final, la Cour de cassation paraît équilibrer la portée des exigences de motivation qu’elle met à la charge de l’employeur, avec celles incombant aux Caisse Primaires, lors de la notification de leurs décisions de prise en charge des accidents du travail et maladies professionnelles [7].

L’on notera que la Cour de cassation a le même jour, fermé la porte de manière claire et précise, au contentieux sur la délégation de signature en matière de législation professionnelle, ouvrant la fenêtre d’un nouveau thème : la motivation des réserves de l’employeur.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 23 janvier 2014, 12-35.003, Publié au bulletin | Legifrance.

Anicet Agboton
Juriste en droit social

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Notes de l'article:

[1Cass. Civ.2, 17 février 2011, n° 10-15.276

[2articles L.441-1 et R.441-2 du CSS

[3Cass. Civ.2, 11 juillet 2013, n°12-24.674

[4Cass. Civ.2, 28 novembre 2013, n°12-26.945

[5Cass. Civ.2, 10 octobre 2013, n°12-25.782 ; JCP S 2013, 1493, note P. Baby

[6Cass. Civ.2, 11 juillet 2013, n° 12-22.152

[7Cass. Civ. 2, 19 septembre 2013, n° 12-23.338

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