1/ L’AGS : un dispositif de protection contre le non-paiement des créances salariales.
Selon l’article L. 3253-6 du Code du travail, les employeurs soumis à une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) doivent garantir le paiement des créances salariales dues.
Cette garantie, assurée par l’AGS, couvre notamment les créances résultant de la rupture du contrat de travail si celle-ci intervient pendant des périodes précises, énumérées à l’article L. 3253-8, 2° du Code du travail :
Pendant la période d’observation ;
Dans le mois suivant le jugement arrêtant le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;
Dans les 15 ou 21 jours suivant le jugement de liquidation judiciaire ou la fin de l’activité autorisée par ce jugement.
Jusqu’à présent, cette garantie était limitée aux ruptures engagées par l’administrateur judiciaire, le liquidateur ou l’employeur, excluant ainsi les créances nées de la prise d’acte de la rupture ou de la résiliation judiciaire à l’initiative du salarié.
2/ L’évolution jurisprudentielle et le rôle de la CJUE.
Antérieurement, la jurisprudence de la Cour de cassation excluait les créances issues de ruptures initiées par le salarié.
Elle considérait que la garantie AGS ne concernait que les licenciements prononcés dans l’intérêt de la poursuite de l’activité de l’entreprise ou de l’apurement du passif [1].
Cette position reposait sur une interprétation restrictive des articles L. 3253-6 et L. 3253-8 du Code du travail.
Toutefois, la CJUE, dans un arrêt du 22 février 2024 [2], a jugé que la directive 2008/94/CE relative à la protection des travailleurs en cas d’insolvabilité de l’employeur s’oppose à une distinction fondée sur l’auteur de la rupture du contrat de travail.
Selon la CJUE, les créances salariales dues en cas de prise d’acte ou de résiliation judiciaire doivent bénéficier de la même protection que celles résultant d’un licenciement économique.
3/ La Cour de cassation s’aligne sur la position de la CJUE.
Dans deux arrêts du 8 janvier 2025, la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence en reconnaissant que l’AGS couvre désormais les créances issues :
De la prise d’acte de la rupture d’un contrat de travail par le salarié en raison de manquements graves de l’employeur [3] ;
De la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur prononcée par le juge prud’homal [4].
Dans ces deux décisions, la Cour souligne que les créances doivent remplir deux conditions pour bénéficier de la garantie AGS :
La rupture doit être justifiée par des manquements suffisamment graves de l’employeur, rendant impossible la poursuite du contrat de travail ;
La rupture doit intervenir pendant l’une des périodes visées à l’article L. 3253-8, 2° du Code du travail.
4/ Les conséquences pratiques de ce revirement.
Cette évolution jurisprudentielle renforce la protection des salariés confrontés à des manquements graves de leur employeur.
Elle garantit une égalité de traitement entre les salariés, quelle que soit l’origine de la rupture du contrat de travail.
En pratique, les salariés qui prennent acte de la rupture ou sollicitent une résiliation judiciaire peuvent désormais espérer une meilleure prise en charge de leurs créances par l’AGS, notamment en cas d’insolvabilité de l’employeur.
Ce revirement constitue également une avancée en matière de conformité au droit européen, évitant ainsi des sanctions potentielles pour la France en cas de manquement aux obligations issues de la directive 2008/94/CE.