Pouvoir disciplinaire de l’employeur ou rappel à l’ordre ?

Par Nadine Regnier Rouet, Avocat

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Explorer : # pouvoir disciplinaire # rappel à l'ordre # sanction # consignes de travail

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Dans un précédent article publié sur ce site le 26 octobre 2010 (« exercice du pouvoir disciplinaire par l’employeur : deux rappels de règles et une avancée technologique »), j’ai analysé l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur dans le prononcé d’un « avertissement » qui constitue le premier échelon de l’échelle des sanctions qui sont à la disposition de l’employeur.

Une décision plus récente de la Cour de cassation du 14 septembre 2010 (n° 09-66180) me donne l’occasion de distinguer l’avertissement du « rappel à l’ordre » qui, comme son nom l’indique, rappelle au salarié les instructions de travail ou ordres de l’employeur qu’il doit respecter dans l’accomplissement de sa tâche.

Pourquoi faire cette distinction ?

1) Parce que, comme indiqué dans mon précédent article, la sanction prise par l’employeur (avertissement) épuise le pouvoir disciplinaire de ce dernier pour ce qui concerne les faits qui ont motivé l’avertissement. Une seconde sanction ne pourra concerner les mêmes faits.

Dans l’arrêt du 26 mai 2010 (n° 08-42893) examiné dans mon article du 24 septembre 2010, l’employeur se voyait condamné pour licenciement abusif en ayant licencié la salariée pour les mêmes faits qui avaient au préalable donné lieu à son courriel qualifié d’avertissement par les juges.

2) Parce que, en second lieu, toute sanction peut être contestée en justice par le salarié qui la reçoit, s’il s’avère qu’elle est injustifiée. Il n’en va pas de même pour le rappel à l’ordre.

L’avertissement concerne l’exercice du pouvoir disciplinaire par l’employeur alors que le rappel à l’ordre concerne l’exercice du pouvoir de direction par l’employeur.

Dans les deux hypothèses, l’employeur exerce ses droits et prérogatives. Il doit clairement se positionner car les règles juridiques associées à chaque situation diffèrent.

L’exercice du pouvoir disciplinaire est un acte grave qui peut porter atteinte, immédiatement ou à terme, à une situation établie ou à des droits appartenant au salarié. Au contraire, l’exercice du pouvoir de direction est l’essence même de la fonction d’employeur et il s’effectue en permanence ; il constitue un pilier indissociable du contrat de travail puisqu’il fonde le lien de subordination accepté par le salarié dans le contrat de travail.

3) Parce qu’enfin, il apparaît à la lecture des deux arrêts que les écrits de l’employeur ne sont pas assez précis et amènent le ou la salarié(e) à les contester en justice. Dans ce cadre, ce sont les juges qui interprètent « souverainement » les termes de ces écrits et leur font produire les effets, soit d’un avertissement, soit d’un simple rappel à l’ordre.

Illustration avec nos deux arrêts :

La décision du 26 mai 2010 détaillait le contenu juridique d’un avertissement : l’écrit de l’employeur contenait « divers reproches à la salariée et l’invitait de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure au mois d’août. »

Soit : énonciation des faits reprochés, délai laissé à la salariée pour corriger son attitude.

Dans cette affaire, les faits reprochés concernaient pour partie le non respect des consignes de travail édictées par l’employeur et pour partie la constatation de négligences et de laisser aller.

La décision du 14 septembre 2010 détaille le contenu juridique du rappel à l’ordre : les écrits de l’employeur, qui « se bornaient à demander au salarié de modifier son comportement ne constituaient pas une sanction disciplinaire mais un simple rappel à l’ordre. »

La lecture de cette décision permet de préciser que « l’employeur reprochait (au salarié) un manquement bien identifié à savoir un comportement intolérable et le mettait en demeure d’en cesser la pratique en rappelant que cette conduite ne saurait perdurer. »

Soit : énonciation des faits reprochés, délai laissé au salarié pour corriger son attitude.

Nous constatons que les faits sont extrêmement proches et les écrits des deux employeurs aussi. Nous constatons surtout que ce sont des tiers, les juges, qui ont qualifié juridiquement les écrits des employeurs et qu’ils ont substitué cette qualification à celle des employeurs pour en tirer les conséquences en termes de respect du droit et de responsabilité de chacun.

Il y a donc danger pour l’employeur à ne pas s’exprimer clairement.
Dans la plupart des situations de flou juridique, la juridiction prud’homale, si elle est saisie, aura tendance à faire triompher la thèse du salarié. L’employeur n’a pas droit au flou, à l’imprécision.

De plus, comme indiqué, les règles de droit sont différentes lorsqu’il s’agit pour l’employeur de rappeler des consignes de travail non respectées ou de sanctionner une faute professionnelle. Dans ces conditions, le flou juridique des écrits de l’employeur se retourne immanquablement contre lui quand la qualification adoptée par les juges n’est pas conforme à la volonté - mal affichée - de ce dernier dans ses écrits.

Mon conseil RH :
Employeurs, comment allez-vous distinguer vos courriers d’avertissement (sanction disciplinaire) et de rappel à l’ordre (absence de sanction ; fixation des consignes de travail) ?

En étant clairs et précis dans vos écrits

En vous positionnant ouvertement dans l’une des deux hypothèses et en écartant la seconde

Enfin en utilisant les termes juridiques à bon escient :

-  Appliquez-vous à souligner laquelle de vos prérogatives vous exercez et quelle procédure vous mettez en œuvre : utilisez des mots au sens juridique précis comme « procédure disciplinaire », « sanction » ou au contraire « pouvoir de direction », « consignes de travail »
-  Bannissez les formules insuffisamment claires
-  Dans le cas du prononcé d’un avertissement : intitulez le courrier « avertissement » et mentionnez « veuillez considérer la présente lettre comme un avertissement ».
-  Au contraire, dans le cas d’un rappel à l’ordre : mentionnez dans l’écrit que « le présent email consiste à vous rappeler les consignes de travail que vous avez omises » ou encore « veuillez considérer cet email comme un rappel à l’ordre solennel ». Ajoutez que « si le rappel à l’ordre reste sans effet, une procédure disciplinaire pouvant aboutir au prononcé d’une sanction pourra être déclenchée ».

La similitude des écrits des employeurs dans les deux décisions examinées et la similitude des caractéristiques dégagées par les juges pour retenir, dans un cas, un avertissement et, dans l’autre, un rappel à l’ordre, imposent une telle précaution dans la rédaction des écrits des employeurs pour les protéger de contentieux intempestifs qui peuvent se révéler très coûteux.

Nadine Regnier Rouet

Avocat à la Cour spécialisé en droit social

www.n2r-avocats.com

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