L’absentéisme soudain et répétitif des salariés fragilise les entreprises.

Par Fabrice Allegoet, Juriste.

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Explorer : # absentéisme # présentéisme # conditions de travail # bien-être au travail

Les employeurs le savent mieux que quiconque ; organiser les plannings n’est pas chose aisée mais lorsqu’il faut en permanence revoir les cadences, les emplois postés ou l’organisation d’une équipe à cause d’absences chroniques de certains salariés, rien n’est moins simple. En 2013, selon le baromètre DEKRA Industrial, en France, les accidents, maladies et l’absentéisme au travail coûtent 60 milliards aux entreprises. L’absentéisme est particulièrement mal vu en France, où le culte de la présence au travail prédomine.

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Dans ces conditions, quel est le bon dosage ?

La France a une culture un peu hystérique de la responsabilité individuelle. Face à un problème, quel qu’il soit, on n’essaie pas de déterminer les éventuelles responsabilités corolaires, on se contente de pointer du doigt l’individu en le qualifiant d’incompétent.

L’absentéiste en fera autant les frais. Cette manière de voir les choses suspend toute recherche de causes, tout raisonnement. L’an dernier, le taux d’absentéisme en entreprise privé a bondi de 18% à 16,6 jours d’absence pour un salarié en moyenne. Le secteur des services est le plus touché (5e baromètre de l’absentéisme réalisé par l’institut CSA pour la société de conseil Alma CG.).

Pour les DRH interrogés, ces absences s’expliquent principalement par l’état de santé des salariés, la charge et les conditions de travail. C’est d’ailleurs sur ce dernier point que les entreprises accentuent leurs efforts. Elles font également le pari du bien-être personnel de leurs employés (crèche, sport, assistance sociale…). « Les entreprises les plus matures en matière de prévention de l’absentéisme ont compris que la place des facteurs internes, propres à l’organisation et aux conditions de travail n’est pas à négliger. La qualité de vie au travail devient un enjeu de performance », explique Yannick Jarlaud, Directeur Santé, Sécurité et Environnement de travail, ALMA Consulting Group (extrait de l’entretien donné au Figaro le 05/09/2013).

Comme nous le soulignions également dans une précédente chronique [1], après un parcours de négociation chaotique, émaillé de multiples rebondissements, un accord national interprofessionnel (ANI) sur la qualité de vie au travail a été signé le 19 juin 2013. Ce sujet est largement d’actualité si on le rapproche au fléau de l’absentéisme.

Tout comme l’absentéisme, le présentéisme est significatif de dysfonctionnements dans l’entreprise et envoie un message sur l’organisation du travail : des difficultés dont les germes se trouvent dans le contenu même du travail. Dans un cas, pour faire face, le salarié s’absente ; dans l’autre, il surinvestit dans le travail. Comment identifier, décrypter et mieux prévenir ce phénomène ?

De la complaisance des arrêts à leur falsification

Les spécialistes de « l’arrêt du lundi », des « congés payés prolongés d’une maladie » ou « de l’arrêt de complaisance » sont souvent très habiles pour tomber malade sur une période couvrant exactement celle du complément maladie versé par l’entreprise. Aux spécialistes « des absences chroniques », la réplique doit être exemplaire sous peine de voir le phénomène s’amplifier.

D’autres collaborateurs tentent d’escroquer leur employeur, tel est le cas lorsqu’un salarié perçoit simultanément l’indemnisation d’un arrêt de travail pour maladie par une complémentaire santé alors que son salaire a été maintenu par l’employeur. Sur ce point la jurisprudence a toujours estimé que la falsification destinée à tromper l’employeur et les organismes sociaux est grave et justifie un licenciement. Tel est le cas d’un salarié qui, pour justifier une absence, produit un certificat médical d’arrêt maladie dont il a antidaté la délivrance. Il en est de même pour salarié licencié pour faute grave, pour avoir, d’une part, fait déposer un avis d’arrêt de travail pour enfant malade avec un jour de retard et, d’autre part, avoir falsifié cet avis.

D’autres salariés vont jusqu’à demander au médecin du travail de les déclarer inaptes à leur poste, voire à tout poste dans l’entreprise, pour être licenciés pour inaptitude et bénéficier d’une indemnisation et de l’assurance chômage. Sans compter le fait que la procédure de licenciement pour inaptitude étant particulièrement compliquée, tout licenciement de ce type est risqué pour les entreprises et génère un risque de contentieux, voire de condamnation par le Conseil de Prud’hommes.

En cas de doute sur le bien-fondé d’un congé maladie, vous êtes en droit d’organiser une contre-visite au domicile du salarié, afin de déterminer si l’arrêt de travail dont il bénéficie, est justifié.

L’absentéisme est un indicateur des relations sociales

Être absent, ce n’est pas un problème. L’être même occasionnellement pour se soigner de maux divers et coutumiers de notre ère, n’est pas suspicieux.

Ce qui doit alerter en revanche, c’est la montée de l’absentéisme général au sein de l’entreprise, l’accélération des arrêts durant certaines périodes de l’année, les raccourcissements des délais entre plusieurs arrêts et les allongements de durées de ces absences. Les DRH tout comme les chefs d’entreprise, savent qu’il y a toujours une raison qui peux expliquer ce phénomène qui doit être rapidement endiguer avant qu’il ne soit dévastateur du climat social et des résultats économiques.

Traditionnellement, les entreprises scrutent leur taux d’absentéisme : il serait, paraît-il, un bon indicateur de la qualité des conditions et de la vie au travail. Un absentéisme élevé révèle souvent un dysfonctionnement profond de l’organisation.

Pour lutter contre l’absentéisme, il est important d’en cerner les causes. Du congé maladie à l’absence injustifiée en passant par l’accident du travail, elles sont multiples et diversifiées. Cerner la cause d’une absence, n’est pas en trouver la raison. Le classement des absences selon leurs natures, ne suffit pas.

Pour identifier l’origine de l’absence, il faut mener une analyse sectorielle au niveau des services ou des équipes. Les écarts entre les différents secteurs de l’entreprise établissent le symptôme d’un absentéisme anormal. Il reste à mener l’enquête pour mettre à jour l’origine exacte de ces absences. Selon une étude de l’association Référentiel de l’absentéisme, les entreprises peinent à définir les causes du phénomène. D’où la difficulté d’établir des plans d’action efficient.

Contrairement à une idée reçue, et très répandue dans les années 80, la lutte contre l’absentéisme ne passe pas exclusivement par la répression. La réduction de l’absentéisme vers un chiffre incompressible permet souvent de dépasser le seuil constitué par la somme des absences légitimes. Une approche disciplinaire de l’absence est, de ce fait, réductrice, voire risquée. Comme dans bien d’autres domaines, la lutte contre l’absentéisme passe d’abord par la prévention.

Le présentéisme coûte de l’argent à l’entreprise

Sociologues, psychologues, spécialistes du travail… ils sont peu nombreux à traiter du présentéisme, le sujet ne fait encore qu’émerger : on le définit, on cherche à établir des indicateurs, à le mesurer. Bref, en France, ce sont les premières études. Autant dire que les entreprises sont encore loin de s’être emparées du sujet.

Par présentéisme, entendez une personne qui vient travailler mais qui ne parvient pas à se concentrer avec efficacité. Conséquences : elle fait plus d’erreurs, la qualité de sa production baisse tout comme son rendement. Aussi, un salarié présent tous les jours à son bureau malgré un réel désengagement ne rapporte rien à l’entreprise. La baisse de productivité du salarié peut avoir de multiples raisons soit personnelles (maladie aiguë ou chronique, problèmes personnels extérieurs à l’entreprise), soit en relation avec le travail (démotivation ou fatigue due à une surcharge de travail, un manque de reconnaissance, des relations conflictuelles dans le travail…).

Les symptômes du présentéisme sont faciles à reconnaître.

Les salariés restent tard au travail le soir, ils regardent leurs mails professionnels le week-end, ou ils répondent aux sollicitations de l’employeur en dehors des heures de travail... Si c’est le cas, c’est normal : les Français sont champions dans le domaine. Par souci d’être bien vu de leur direction, ou par peur de perdre leur place, ils sont en effet très nombreux à privilégier leur travail au détriment de leur vie privée.

Souvent, le présentéisme au travail revient plus cher que l’absentéisme car il est moins exposé à la critique et il est moins audité pour son efficacité. en France, contrairement à beaucoup de pays étrangers, être encore à son poste à 19 ou 20 heures est perçu comme un signe de forte implication dans sa mission.

Dans la plupart des entreprises, la principale rémunération est jugée au temps passé. Comme si rester tard le soir était un gage de qualité. Ce schéma si répandu est rempli de préjugés qui n’ont pas lieu d’être. 8h-20h = résultats ? Si l’on suit la logique de la rémunération au temps de travail plus on reste à son bureau plus le travail accompli sera conséquent. En toute logique l’employé modèle sera celui qui reste tous les soirs jusqu’à 20h. Ainsi, avec un modèle basé sur la valorisation du temps de travail plus vous êtes présent à votre bureau plus vous êtes récompensé.

Est-ce la solution économique qui fera gagner l’entreprise ?

Nous pouvons le penser comme nous pouvons également, considérer que cela devient contre-productif. En effet, un salarié se fatigue, s’use et finit par être sincèrement diminué, et donc moins productif. Il finit par coûter plus cher à l’entreprise par son insuffisance professionnelle.

Surtout, c’est une machine abîmée qui finira par craquer »... et battre ainsi des records d’absentéisme. Finalement, le présentéisme peut conduire à l’absentéisme.

Il faut savoir déconnecter pour mieux se reconnecter

En 2010, les syndicats de France Télécom ont signé un accord avec la direction, qui stipule qu’« il n’y a pas d’obligation de répondre à la messagerie professionnelle les soirs, les week-ends et pendant les congés  ». L’envoi de messages différés est ainsi « recommandé pendant ces périodes ». Thalès Avionics, leader européen des équipements électroniques pour avions a donc décidé de relâcher la pression en appelant les managers à surveiller strictement les heures auxquelles le salarié se connecte au réseau de l’entreprise. Des messages d’alertes apparaissent sur les PC lorsque le salarié se connecte hors de l’enceinte de l’entreprise et en dehors des heures de travail (avant 7h20, après 19h30, le week-end, pendant les congés, etc.) En Allemagne, ce sont les syndicats qui ont poussé Volkswagen à couper le cordon. Et pas seulement un soir par semaine. Début 2012, l’entreprise a signé un accord pour bloquer l’accès aux BlackBerry professionnels de 18h15 à 7 heures du matin.

Les Anglais appellent le présentéisme le « competitive presenteism » pour montrer qu’il y a une concurrence mise en place dans certaines entreprises à celui qui reste le plus tard le soir pour être le mieux vu. On entre alors dans une spirale infernale où il faut rester plus tard que les autres pour se faire bien voir. Une étude, conduite au Royaume-Uni (The Sainsbury Centre for Mental Health, Mickael Personage), en 2009, estime que les « jours perdus » attribués au présentéisme seraient 1,5 fois plus conséquents que ceux attribués à l’absentéisme ! Cette même étude estime le coût moyen quotidien s’élève à 145 £ (soit environ 170 €) par employé touché par ce phénomène alors que le coût engendré par une journée d’absence serait de l’ordre de 80 £ (soit environ 95 €).

Régulièrement cités comme des modèles d’organisation du travail, les pays scandinaves allient à la fois autonomie et flexibilité. Peut-être plus qu’ailleurs, faire des journées à rallonge est mal perçu par des employés réputés rigoureux et soucieux de l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. En Norvège, il est limite interdit de rester après 16 heures. Cela veut dire que l’on a mal organisé son temps, que l’on est inefficace.

De plus en plus d’études montrent que le temps passé au travail peut aboutir à une baisse de productivité. Tout le monde est perdant car les salariés restent plus longtemps au travail, ont un moins bon équilibre de vie, plus de difficultés à prendre du recul sur leur travail et moins de créativité. Récemment, un accord de branche signé récemment dans le secteur du numérique prévoit un « droit à la déconnexion » pour les cadres en forfait jour.

Pour respecter une durée de repos minimale, il innove en évoquant noir sur blanc une obligation de déconnexion des outils informatiques (mails, portables, etc.). Le texte note ainsi que l’employeur doit afficher le début et la fin d’une période quotidienne et d’une période hebdomadaire au cours desquelles les durées minimales de repos devront être respectées (11 heures consécutives quotidiennes et 35 heures hebdomadaires). Il précise que l’effectivité du respect par le salarié de ces durées minimales de repos implique pour ce dernier une obligation de déconnexion des outils de communication à distance.

Selon la DARES, 56% des salariés sont surchargés

Pas assez flexible l’organisation du travail en France ? Rien n’est moins certain, à la lecture de la dernière étude publiée par le service statistiques du ministère du Travail. Moins de la moitié des salariés travaille du lundi au vendredi de 8h30 à 17h30, constate la Dares. Cette étude démontre en revanche que 56% de salariés travailleraient selon un rythme plus soutenu et pour 24% d’entre eux, les journées sont longues du lundi au vendredi et le week-end très fréquemment travaillé.

La durée moyenne de travail hebdomadaire de ces salariés est de 52 heures.

Licencier les absentéistes est-il sans risques ?

Les salariés très souvent absents peuvent-ils être licenciés sans que cela ne se retourne contre l’employeur ? C’est plus généralement sous le registre de l’insuffisance professionnelle que ces collaborateurs indélicats sont les plus exposés à un licenciement. Même ramenée au prorata de leur temps de présence, leur efficacité professionnelle est souvent inférieure aux scores atteints par un collaborateur lambda. Dès lors, la mise en place d’une procédure de « mise en garde » encadrée par des objectifs précis s’avère possible. À terme leur départ devient faisable dans le cadre d’une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle.

Toutefois un tel licenciement ne peut être envisagé que si l’employeur prouve que les absences prolongées ou répétées du fait de la maladie de son collaborateur perturbent le bon fonctionnement de l’entreprise et rendent nécessaire son remplacement définitif par un salarié engagé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée [2].

En effet, par principe, l’article L1132-1 du Code du travail fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap. Tout licenciement justifié pour un tel motif est discriminatoire et par conséquent nul de plein droit. Aussi, les conditions ne sont pas réunies, le licenciement est reconnu sans cause réelle et sérieuse et vous vous exposez à devoir payer des dommages et intérêts au salarié.

Par ailleurs, le licenciement doit intervenir à une période où le salarié est indisponible. L’employeur ne peut pas licencier le salarié s’il a réintégré son poste ou si son retour dans l’entreprise est prévu. En effet, le caractère réel et sérieux du motif de licenciement s’apprécie au jour où ce licenciement est prononcé. Par conséquent, le licenciement d’un salarié prononcé en raison de ses absences répétées à un moment où celui-ci avait repris le travail est sans cause réelle et sérieuse [3].

Ainsi, s’il n’est interdit de penser qu’un licenciement d’une personne trop souvent absente est possible, la procédure qui s’en suivra devra être scrupuleuse afin d’éviter tout risque de condamnation de l’entreprise si cette dernière n’est pas claire et objective sur ses intentions.

FABRICE ALLEGOET - JURISTE

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Notes de l'article:

[1(Qualité de Vie au Travail ? - 14/04/2014)

[2Cass. soc. 2 mars 2005, no 03-42800

[3Cass. soc. 23 sept. 2003, no 01-43583

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