Vous l’avez compris, même si la future loi sur la réforme du dialogue social initiée par Manuel Valls (loi Rebsamen) ne sera pas exactement ce que le gouvernement appelle de ses vœux, tout est là.
En effet, la généralisation de la délégation unique du personnel aux entreprises de plus de 200 salariés (et au-delà de 300 si un accord d’entreprise le prévoit), ce serait un coup dur porté à l’endroit du comité d’entreprise. Notons que la DUP (sigle couramment employé pour désigner cette structuration des instances du comité d’entreprise – C.E et des délégués du personnel – DP) existe dans les textes depuis 1993, mais force est de constater que son recours dans les entreprises de 50 à 199 salariés, ne fait pas l’unanimité. En effet, selon une étude publiée en 2013 par la Dares sur les instances du personnel et portant sur les chiffres de 2011, la DUP a connu une forte progression entre 1999 et 2005 avant de se maintenir à environ 28% au cours de la seconde moitié des années 2000. Ainsi, on observe que moins d’un tiers des entreprises concernées compte une DUP.
Aussi, quel avenir pour cette délégation qui pourrait en outre être complétée par l’arrivée du CHSCT, consensus que souhaiterait trouver le gouvernement ?
L’hypocrisie d’une délégation unique qui n’a rien d’unique
Il est important de souligner son fonctionnement afin de comprendre ce qu’est la DUP ; peut-être le gouvernement a-t-il l’intention d’en changer le format actuel, ce qui n’est pas certain compte tenu qu’il a déjà indiqué au moins pour le CHSCT, que cette instance bien qu’intégrée à la DUP conserverait ses propres missions et prérogatives.
À ce jour, la DUP offre comme avantage du point de vue des employeurs, l’organisation d’une unique élection contre deux dans les entreprises de plus de 200 salariés [1]. C’est aussi, un gain portant sur le nombre de membres élus et sur le niveau des heures de délégation.
Séparément, une entreprise de 80 salariés par exemple, compterait pour son comité d’entreprise (obligatoire à partir de 50 salariés - article L2322-1 du code du travail), 8 membres (4 titulaires et 4 suppléants) et 6 membres (3 titulaires et 3 suppléants) pour l’instance des délégués du personnel (obligatoire à partir de 11 salariés - article L2312-1 du code du travail), soit 14 élus au total. La DUP ne serait constituée que de 8 membres (4 titulaires et 4 suppléants) et devra assurer les missions propres à ces deux instances C.E et DP.
S’agissant des heures de délégation, la DUP permet à ses membres titulaires de disposer de 20 heures par mois [2]. La notion de « cumul de mandat » disparaissant du fait d’une unique élection pour deux missions distinctes et abordées comme telles, l’addition des heures de délégation pour les membres assumant les deux rôles (C.E et DP) est supprimée. Ainsi, le bénéfice des 15 heures de délégation dont peuvent jouir les délégués du personnel dans les entreprises d’au moins 50 salariés [3] disparait.
Pour le reste, la délégation unique c’est une coquille vide, dépourvue de règles qui lui seraient propres ; ainsi, il est inscrit dans le code du travail, l’obligation pour l’employeur de respecter les règles propres au fonctionnement des instances C.E et DP [4].
Conclusion, l’intérêt que revêt sincèrement une telle organisation est assez minime et les risques de confusion des rôles, des prérogatives et des missions est légion dans beaucoup d’entreprises où même les salariés, ont des difficultés à identifier ce qui ressort réellement des obligations inhérents au C.E de celles afférentes aux délégués du personnel.
Le C.E, menacé par la limitation de son rôle de consultation
Autre partie du projet de loi qui ne laissera personne insensible et certainement pas les syndicats de salariés, la révision du nombre de consultations obligatoires qu’impose à ce jour le code du travail. Le projet de loi semble plaider pour un regroupement des obligations d’information et de consultation autour de 3 grandes négociations annuelles.
L’une porterait sur la situation économique et financière de l’entreprise, l’autre sur sa situation sociale et la troisième sur les orientations stratégiques de l’entreprise (et ses conséquences sur les salariés). Cette dernière est déjà issue de la loi de sécurisation de l’emploi [5] et son articulation autour de la base de données économique et sociale reste pour l’heure, une énigme tant pour de nombreux employeurs que pour les membres élus qui ne sont que peu formés à cette nouvelle prérogative.
Certainement que la recherche de simplification conduira du fait de la DUP à la disparition des quelques rares consultations concomitantes qui à ce jour obligent les employeurs à recueillir un double avis dans le cadre de certains projets. C’est le cas notamment, à défaut de convention ou d’accord collectif de travail, de la fixation de la période de prise des congés payés ; l’employeur doit tour à tour consulter le C.E et les DP [6]. Autre exemple, le C.E et le CHSCT sont consultés sur les programmes de formation et veillent à leur mise en œuvre effective [7].
Les syndicats seront-ils intégrés dans cet ensemble ?
La grande question qui va se poser, c’est l’intégration ou non des organisations syndicales au sein de cette délégation unique du personnel qui risquerait fort de se rapprocher de ce que certains appellent déjà, le conseil unique.
À ce jour, il est bien de souligner que les syndicats ne siègent pas directement au sein du comité d’entreprise ou de l’instance des délégués du personnel. En réalité, ces représentations du personnel sont par nature apolitiques pour réellement s’adresser et représenter tous les salariés de l’entreprise. En cela, la loi les distingue des sections syndicales également implantées dans certaines entreprises. Particularité cependant du droit français, lors des élections du C.E et des DP, les salariés sont appelés à élire leurs futurs membres en les choisissant soit sur des listes syndicales soit sur des listes neutres.
Ainsi, le 1er tour des élections professionnelles est réservé aux sections syndicales souhaitant présenter des candidats [8]. S’il reste des sièges, alors, les salariés seront appelés lors d’un 2nd tour à voter pour les candidats pouvant aussi présenter des candidatures libres.
Dans la réalité, nous observons souvent une confusion des genres.
Certains élus issus du C.E ou des DP sont si marqués par leur orientation syndicale qu’ils militent au sein même de ces organisations ; leur prise de parole est colorée de leurs convictions syndicales.
Le lieu des réunions C.E et DP se transforment alors en une tribune syndicale où les élus divisés en autant de groupes que de syndicats représentés, s’adonnent à un piètre spectacle face à un employeur souvent désemparé et ne sachant plus à qui s’adresser en définitive ?
La Cour de cassation quant à elle, avait rappelé en 2006 s’agissant de l’avis consultatif qu’il devait être exprimé par les membres du comité d’entreprise et non par les organisations syndicales auxquelles ils appartiennent [9]. En 2012, cette même Cour a souligné l’importance de ne pas utiliser le budget de fonctionnement destiné aux affaires courantes du C.E à des fins syndicales [10]. Ainsi, si le comité d’entreprise par le biais des syndicats dont sont issus leurs membres votait une dépense en rapport avec un objectif syndical (une formation syndicale par exemple), le comité ainsi que leurs membres pourraient écoper de condamnations pénales pour abus de confiance [11].
Le lobbying autour du C.E a-t-il encore un avenir ?
Qu’on se le dise, avec environ 40 000 comités d’entreprise en France, c’est autant d’opportunités commerciales pour les entreprises qui en vivent au travers des budgets de fonctionnement et des œuvres sociales. Certains employeurs voient d’un mauvais œil de devoir verser ne serait-ce que le budget de fonctionnement qui représente 0.2% de leur masse salariale annuelle brute [12]. Pouvons-nous cependant ignorer les milliers d’emplois que génère un tel business et les risques sur l’économie si cette charge financière devait être soit abaissée soit supprimée ?
Les salariés sont aussi bénéficiaires de nombreuses actions récréatives, sociales et fédératrices par le biais de leur C.E, lorsque ce dernier dispose d’un budget propres à ses dépenses sociales. Là aussi, nombreuses sont les entreprises à vivre des commandes passées par ces clients réguliers et très prisés. Pour exemple, les millions d’euros de chiffre d’affaires réalisé chaque année par l’agence nationale des chèques vacances (ANCV) auprès du segment que représente les C.E.
La DUP élargie sera-t-elle l’occasion de reparler du financement du C.E ?
La disparition des C.E, serait-elle finalement pour bientôt ?
Au lendemain de discussions apparemment devenues stériles sur le relèvement des seuils sociaux, la DUP semble faire des émules et risque d’être étendue aux entreprises de plus de 200 salariés ; pour autant, il s’agirait seulement d’une option à laquelle l’employeur pourrait souscrire (comme c’est déjà le cas à ce jour). La composition reste à définir comme le nombre de membres qui pourrait être abaissé encore un peu plus. Quels vont être cependant les leviers des allègements promis au patronat (MEDEF) ? Est-ce la diminution du nombre de consultations du C.E ?
« Ce serait un recul sonnant comme un désaveu de la récente loi de sécurisation de l’emploi qui a intronisé la base de données économique et sociale [13] et avec elle de nouvelles consultations comme celle sur le CICE [[article L2323-26-1 du code du travail.]). »
Si la DUP reste à l’état de structure d’accueil, on voit mal comment la révolution du dialogue social pourrait s’enclencher. En effet, regrouper les 3 instances (C.E, DP et CHSCT) tout en conservant leur autonomie et leur fonctionnement propre, n’offre que peu de pistes conduisant vers la convoitée simplification du dialogue social. Si ce sont les moyens de ces instances qui seront revus à la baisse, pas sûr que cela soit du gout des syndicats de salariés.
Et la question que se posent les observateurs ; comment cette prochaine grande réforme accouchera-t-elle ? Certainement par césarienne compte tenu que le recours au 49.3 est exclu à la vue de la déroute dont a déjà souffert le gouvernement lors de l’adoption controversée de la loi Macron.
Discussions en cours :
Texte à la fois très enrichissant et inquiétant pour les salariés.
Merci à son auteur de nous ouvrir ainsi les yeux.
Si vous êtes intéressés par ces articles, je vous conseille ceux accessibles également sur le blog de OSEZ VOS DROITS (blog.osezvosdroits.com). Ils traitent des sujets courants du droit social notamment. Je tenais à vous remercier de votre commentaire, encourageant et stimulant pour proposer de nouveaux articles de cette nature.
Bien à vous