Suite à ce rapport, le régulateur français a tout de même procédé à deux avancées majeures : la modification des règles d’imposition applicables aux actifs numériques par la Loi de finances pour 2019 et la définition de ces actifs numériques par la loi Pacte dans son article 86.
Dans ces textes, le législateur français a pris position, en dehors de toute harmonie européenne, en proposant une qualification sui generis, désormais consacrée par l’article L 54-10-1 du Code Monétaire et Financier.
Cet article distingue deux types d’actifs numériques ; d’une part les jetons, définis aux termes d’un autre article du même code, et d’autre part les crypto-monnaies.
Il sera ici plus particulièrement traité des bitcoins, ces derniers étant devenus au cours des dernières années la figure de proue de ce nouvel anti-système.
La règlementation fiscale française a également tiré les conséquences du rapport Landau en faisant évoluer d’une part les règles relatives à l’imposition des actifs numériques (I) et d’autre part les obligations déclaratives des détenteurs de ces actifs (II).
Pour rappel, le bitcoin est une unité de compte créée en nombre limité selon un algorithme et stockée sur la blockchain. Les bitcoins peuvent être émis et échangés via un réseau. La particularité du réseau est de se passer d’un tiers de confiance, traditionnellement incarné dans les réseaux monétaires traditionnels par les établissements bancaires et financiers.
Si diverses opérations peuvent faire intervenir des crypto-monnaies (apports en entreprises, legs, donations, prises de garantie), la simple détention par des particuliers peut donner lieu à des problématiques fiscales nouvelles et qui méritent ainsi d’être éclaircies.
I – L’imposition relative aux bitcoins détenus par des particuliers.
Avec le remplacement de l’ISF par l’IFI, les bitcoins échappent désormais à toute imposition du seul fait de leur détention par leurs propriétaires.
Concernant l’imposition des revenus qu’ils suscitent, c’est la doctrine administrative et le Conseil d’État qui avaient dans un premier temps dessiné les contours des règles fiscales applicables.
La doctrine administrative avait tranché, dans une instruction fiscale en date du 11 juillet 2014, décidant d’imposer les cessions occasionnelles comme des bénéfices non commerciaux (ci-après « BNC »), et les cessions habituelles comme des bénéfices industriels et commerciaux (ci-après « BIC »), qu’elle que soit l’origine des bitcoins.
Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 26 avril 2018, n° 417809, avait partiellement annulé cette doctrine en qualifiant les bitcoins de biens meubles incorporels, relevant ainsi du régime des plus-values de cessions de biens meubles. Le Conseil d’État réservait l’application du régime des BIC aux cessions habituelles, et celui des BNC aux gains de cessions d’actifs numériques reçus en contrepartie de la participation du contribuable à la création ou au fonctionnement du système d’unité de compte virtuelle (activité dite de « minage »).
L’article 41 de la loi de finances pour 2019 a fini de clarifier la règlementation en créant un article 150 VH bis au Code Général des Impôts, instaurant de fait un régime sui generis d’imposition des plus-values de cessions d’actifs numériques réalisées à compter du 1er janvier 2019. La spécificité des actifs numériques justifiait la création d’un régime fiscal propre à ces derniers.
L’article distingue, tout comme la loi Pacte, deux types d’actifs numériques relevant du régime, les jetons d’une part et les crypto-monnaies d’autre part. L’article ne pose pas de définition générale des actifs numériques, la liste aura donc l’avantage de pouvoir être évolutive.
Le dispositif s’applique aux cessions réalisées à titre onéreux directement, ou par personnes interposées, par des personnes physiques domiciliées en France. Le régime exclut donc de fait les échanges entre actifs numériques qui, présentant un caractère intercalaire, bénéficient d’un sursis d’imposition. Une franchise annuelle de 305 euros est également prévue et s’applique à la totalité des cessions réalisées au cours d’une année.
L’article 150 VH bis du CGI instaure un régime ad hoc taxant les plus-values de cession d’actifs numériques par des particuliers à un taux global de 30%. Ce régime est appliqué sous réserve des dispositions propres aux bénéfices professionnels qui s’y substitueront, comme prévu par la jurisprudence du Conseil d’État : le régime des BIC s’appliquera si la cession est réalisée à titre habituel, et le régime des BNC s’appliquera lorsque les gains constitueront la contrepartie de la participation du contribuable à la création ou au fonctionnement du système.
II – Les obligations déclaratives des détenteurs de bitcoins.
L’apparition des crypto-monnaies pourrait être détournée afin de commettre de la fraude fiscale. En effet, non seulement le système de la blockchain sur lequel reposent les crypto-monnaies se caractérise par l’absence d’un tiers centralisé à l’échange mais de plus, le caractère anonyme des transactions écarte à ce jour toute possibilité de réaliser un contrôle fiscal efficient.
Le rapport Landau soulignait d’ailleurs que nombre de transactions ayant recours aux crypto-monnaies sont souvent réalisées sur des plateformes non régulées et situées dans des juridictions non coopératives.
Au vu de ces constats, la loi de finances pour 2019 a donc créé une obligation déclarative propre à la détention d’actifs numériques par les résidents fiscaux français. Les redevables doivent donc déclarer annuellement les références des comptes d’actifs numériques qui seraient ouverts, détenus, utilisés, ou clos auprès d’entreprises, personnes morales, institutions ou organismes établis à l’étranger.
Il faudra toutefois ici relever que l’honnêteté du contribuable est aujourd’hui le seul garant de ce dispositif. En effet, l’article L81 du Livre des Procédures Fiscales, qui permet à l’administration fiscale d’avoir recours à un droit de communication, ne peut s’exercer à l’encontre d’entités établies à l’étranger. De fait, en l’absence de coopération internationale sur ce point, l’effectivité de l’obligation déclarative semble limitée.
Le budget 2019 et la loi Pacte ont indéniablement contribué à la clarification des règles applicables aux actifs numériques.
Un rapport, déposé devant l’Assemblée Nationale en date du 30 janvier 2019, se félicite de ces avancées, mais ne manque pas de souligner que ces textes ne constituent qu’une "première étape, qu’il faudra compléter par des mesures indispensables au développement de l’éco-système, si nous souhaitons faire de la France une "crypto-nation".
Le rapport énonce toute une série de propositions visant à ajouter de nouvelles clarifications fiscales et juridiques afin de répondre aux besoins actuels de l’écosystème et pour créer un cadre attractif en France. Le rapporteur souligne, tout comme dans le rapport Landau, la nécessité d’une approche clairvoyante et équilibrée, étape par étape.
Parmi les différentes propositions présentées, on pourra citer la nécessité de regrouper les régimes d’imposition applicables aux personnes réalisant des opérations à titre habituel et les activités de minage, ou encore l’élévation de l’abattement annuel sur les opérations de cessions de 305 à 3 000 euros (pour s’aligner sur la doctrine du Conseil d’État précitée qui prévoyait un seuil de 5 000 euros).