L’action directe de la victime assurée : l’affirmation du libre exercice de ses droits personnels.

Par Brahim Lafoui, Étudiant.

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Explorer : # action directe # assurance de responsabilité civile # droits de la victime # indemnisation

Par un arrêt du 16 décembre 2021 (publié au Bulletin), la Cour de cassation a utilement affirmé que la recevabilité de l’action directe contre l’assureur du tiers responsable n’est pas conditionnée à la déclaration préalable du sinistre par la victime auprès de son propre assureur.
Si elle permet d’établir une évidence tirée du principe du libre exercice par la victime de ses droits personnels, la lecture de cet arrêt révèle pourtant l’intérêt d’une déclaration de sinistre par la victime à son propre assureur qui, à défaut d’être rendue obligatoire, présente un intérêt économique indéniable dans la compensation de son préjudice.

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Lorsque ses dommages sont consécutifs au fait d’un tiers responsable, la victime est fondée à agir contre l’assureur de responsabilité civile de ce dernier par voie d’action directe [1]. Toutefois, lorsqu’elle dispose d’une assurance de choses susceptible de l’indemniser, il est possible de s’interroger quant à la pertinence d’emprunter la voie de l’action directe, qui suppose pour elle de s’encombrer des difficultés que sa mise en œuvre peut générer pour le recouvrement de sa créance.

Parmi ces difficultés figure la pratique de certains assureurs de responsabilité, qui exigent de la victime qu’elle déclare le sinistre à son propre assureur préalablement à toute intervention. Si cette exigence évite qu’il y ait cumul entre l’indemnisation par son propre assureur et la réparation par l’assureur du tiers responsable (car donnant lieu si nécessaire à une attestation de non-intervention), cette démarche n’est pas innocente puisqu’elle permet à ce dernier de n’agir qu’au stade du recours subrogatoire initié par l’assureur de la victime.

Or, grâce à certaines conventions entre assureurs [2], l’assureur de choses (qui en est très probablement adhérent) sera contraint de ne pouvoir exiger dans son recours qu’une indemnisation des dommages estimés en valeur vétusté déduite : l’engagement de l’assureur du responsable sera donc d’autant réduit que s’il subissait directement l’action de la victime, qui l’aurait contraint à une indemnisation de ses dommages en valeur de remplacement [3].

Cependant, en plus de générer de facto un retard injustifié pour la victime dans le recouvrement de sa créance, cette pratique exigeant de la victime qu’elle privilégie une déclaration à son propre assureur ne s’appuie sur aucun fondement juridique clair. Ainsi, c’est à raison que la Cour de cassation affirme utilement que l’article L113-2 4° du Code des assurances n’interdit pas la victime assurée au titre d’une assurance de choses d’obtenir la réparation de ses dommages par le biais de l’action directe de l’article L124-3 du Code des assurances initiée à l’encontre de l’assureur du tiers responsable [4].

1. La recevabilité de l’action directe initiée par la victime assurée par une assurance de choses.

Saisie du pourvoi d’une victime reprochant l’abstention fautive de l’assureur de responsabilité de l’auteur des dommages, la Cour de cassation est venue préciser la portée de l’obligation de déclaration de sinistre prévue à l’article L113-2 4° du Code des assurances, notamment au regard du droit d’action dont elle dispose. En l’occurrence, en présence de dommages consécutifs à l’implication d’un tiers responsable, devait être déterminé si l’action directe revêt pour la victime assurée par une assurance de choses un caractère subsidiaire au regard de l’obligation de déclaration prévue à l’article L113-2 4° du Code des assurances.

Pour se positionner, la Cour de cassation s’en est tenue à une lecture fidèle de l’article L124-3 du Code des assurances, dont les termes clairs ne font apparaître aucune condition préalable de recevabilité tenant à la déclaration préalable du sinistre par la victime à son propre assureur. En effet, l’action directe prévue à l’article L124-3 du Code des assurances est ouverte à la victime contre l’assureur du tiers civilement responsable peu important qu’elle ait ou non souscrit une assurance de choses susceptible de l’indemniser de ses mêmes dommages.

Ainsi, faute de hiérarchie normative priorisant l’exécution du contrat d’assurance de choses par rapport à l’exercice de l’action directe, la Cour de cassation affirme la liberté dont jouit la victime assurée dans l’exercice de son droit personnel, qui peut opter à sa guise entre l’exercice de son droit à indemnisation auprès de son propre assureur (selon un fondement contractuel), ou de son droit à réparation auprès de l’assureur du tiers responsable (selon un fondement extracontractuel).

Il convient toutefois de rappeler que l’action directe de la victime assurée ne sera recevable que pour autant que cette dernière n’ait pas d’ores et déjà été indemnisée par son propre assureur. En effet, l’indemnité versée en vertu de l’exécution du contrat d’assurance implique son désintéressement à la créance qu’elle détenait contre le tiers responsable, en raison de l’effet subrogatoire de son paiement au profit de l’assureur [5]. En pareil cas, la victime assurée ne sera recevable à exercer l’action directe qu’à concurrence de la part de la créance restée à sa charge (en pratique, il s’agit de la franchise).

2. La liberté de la victime assurée dans l’exercice de ses droits personnels.

L’intérêt principal de l’arrêt réside dans l’affirmation de l’évidente liberté dont jouit la victime pour définir les modalités de réparation du préjudice qu’elle subit du fait d’un tiers responsable. La créance qui naît des dommages subis par la victime trouve son corollaire à la fois dans la dette contractuelle grevant le patrimoine de son assureur, et dans la dette extracontractuelle grevant le patrimoine du tiers responsable (garantie alors par son assureur de responsabilité).

Dès lors, la victime est libre d’exercer son droit à l’encontre de son assureur par la mobilisation de sa propre garantie d’assurance, ou directement contre l’assureur du responsable en initiant à son encontre une action directe. C’est donc au nom de la liberté dont elle jouit dans l’exercice de ses droits personnels que la victime effectuera son choix librement et optera pour la voie lui permettant de maximiser son intérêt.

A cet égard, la lecture du motif de la Cour de cassation incite à une réflexion quant à la portée de l’obligation prévue à l’article L113-2 4° du Code des assurances. Le libre choix pour la victime dans l’exercice de son droit de créance fait apparaître avec évidence que la survenance d’un sinistre garanti ne la contraint pas à le porter à la connaissance de son propre assureur si elle ne souhaite pas que sa garantie soit mobilisée. C’est d’ailleurs à raison que la Cour de cassation reproche à la cour d’appel une « fausse application » de l’article L113-2 4° du Code des assurances dès lors qu’elle contraindrait la victime à déclarer son sinistre à son assureur alors qu’elle avait manifesté son intention non-équivoque d’en obtenir l’indemnisation par voie d’action directe contre l’assureur du tiers responsable.

En réalité, la disposition précitée n’a de caractère contraignant qu’au regard du délai à la charge de l’assuré pour procéder à la déclaration de son sinistre. Ainsi, en substance, l’article L113-2 4° du Code des assurances n’exige de l’assuré la déclaration de son sinistre que si ce dernier a la volonté de mobiliser sa garantie, et ne trouve un intérêt normatif que dans la mesure où il met en place un délai restreint à sa charge pour le porter à la connaissance de l’assureur.

Partant de ces considérations, la victime peut trouver un intérêt particulier à l’action directe.

En l’occurrence, la voie extracontractuelle peut être préférée pour éviter de se confronter aux désagréments pouvant dériver de l’exécution de son contrat d’assurance. Ces derniers peuvent tenir entre autres à l’application d’une franchise, à un mode d’évaluation des dommages plus restrictif, ou encore à d’éventuelles exclusions de garantie.

Plus subsidiairement, l’action directe initiée par la victime évite à cette dernière le fardeau de la déclaration d’un sinistre à son propre assureur, qui pourrait être reçue par ce dernier comme un signal négatif quant à l’état de sa sinistralité. Elle peut alors être de nature à altérer son opinion du risque et, par l’effet d’un malus, à augmenter le montant de sa prime au stade du renouvellement de son contrat. L’assureur du tiers responsable ne peut donc interférer dans le libre exercice par la victime de ses droits personnels en lui exigeant la mobilisation de ses propres garanties, qui peut trouver un meilleur intérêt à l’exercice d’une action directe.

3. L’opportunité incontestable d’une déclaration de sinistre préalable par la victime à son propre assureur.

Au-delà de ces commentaires inspirés d’une perception civiliste de la réparation du dommage, il demeure que la déclaration de sinistre par la victime à son propre assureur se révèle plus opportune dès lors que le sinistre est garanti. En effet, celle-ci participe à un système d’indemnisation à double détente, préfinançant le dommage subi par la victime grâce à son assurance de choses d’une part, puis sanctionnant le manquement du tiers grâce au recours contre son assureur de responsabilité d’autre part.

Au stade du préfinancement du dommage, la mobilisation de sa propre garantie d’assurance lui épargne les aléas dérivant de l’initiation d’une action directe. En effet, son indemnisation procédera de son contrat d’assurance, qui fait abstraction de toute considération tenant à la responsabilité du tiers impliqué. La victime assurée ne sera donc pas tenue d’apporter la preuve de la réunion des conditions établissant la responsabilité du tiers, et n’aura pas à subir les conséquences des exceptions qui pourraient lui être opposées par ce dernier (tenant par exemple à l’existence d’une cause exonératoire).

Ainsi, la voie contractuelle constituée par la simple mobilisation de sa propre garantie assure à la victime d’être indemnisée des conséquences dommageables de l’implication du tiers tout en s’épargnant des contraintes posées par les règles générales du droit de la responsabilité civile.

Au stade de la sanction des manquements du tiers, la victime assurée bénéficie de l’appui de son propre assureur qui, dans l’initiation de son action subrogatoire, participe au recouvrement de la franchise qu’elle aurait dû récupérer seule dans le cadre d’une action directe autonome. Or, à ce stade, l’intervention de son assureur peut se révéler de très bon augure pour la victime puisqu’elle lui permet de bénéficier d’un accompagnement fort utile pour l’aboutissement du recours, qu’elle n’aurait pu obtenir si elle dût l’initier elle-même.

Evoqué dans le motif de la cour d’appel, le principal soutien apporté tient notamment à la mise en place sans frais pour la victime d’une expertise contradictoire entre son propre assureur et l’assureur de responsabilité du tiers impliqué. Au cœur du fonctionnement du système d’indemnisation à double détente, l’expertise contradictoire se révèle particulièrement opportune pour garantir une représentation égale des parties par un expert au cours des opérations de constatation et d’évaluation des dommages, et minimiser ainsi les risques de contestation pouvant altérer l’efficacité du recours.

En somme, la victime assurée reste évidemment libre d’exercer son droit de créance tel qu’elle l’entend (notamment par voie d’action directe). Cependant, en tout état de cause, elle trouvera un meilleur intérêt à porter son sinistre à la connaissance de son propre assureur pour bénéficier du système à double détente, qui optimisera indéniablement les conditions de réparation de son préjudice.

Brahim Lafoui, Etudiant
Doctorant en droit privé,
Université Paris-Dauphine PSL.

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Notes de l'article:

[1C. assur., art. L124-3.

[2Conventions conclues entre assureurs adhérents à la Fédération Française de l’Assurance (FFA) stipulant une renonciation par les signataires entre eux à une indemnisation en valeur à neuf et au remboursement des frais d’expertise dans le cadre de recours subrogatoires.

[3Cass., Civ. 2e, 5 février 2015, n° 13-22.087 (cassation d’un arrêt de cour d’appel qui admet l’application d’un coefficient de vétusté sur le montant des dommages initialement estimés en valeur de remplacement à dire d’expert).

[4Cass., Civ. 2e, 16 décembre 2021, n° 20-16.340.

[5C. assur., art. L121-12.

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