Agents sportifs : 2, avocats mandataires sportifs : 0. Par Philippe Lefevre, Avocat.

Agents sportifs : 2, avocats mandataires sportifs : 0.

Par Philippe Lefevre, Avocat.

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Explorer : # agents sportifs # avocats mandataires sportifs # conflit de réglementation # commissions sportives

Est-ce la fin des avocats mandataires sportifs ?
La première chambre de la Cour de Cassation aux termes d’un arrêt rendu en date du 28 mars 2023 a rejeté le pourvoi formé par les avocats représentés à l’occasion par le Conseil de l’Ordre des avocats au Barreau de Paris ainsi qu’une association d’avocats mandataires sportifs.

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De l’autre côté, outre le Parquet Général, défendeur au pourvoi, intervenaient, de façon encore incomprise par le soussigné, la Fédération Française de Football, le Comité National Olympique et Sportif Français, la Fédération Française de Rugby et de manière moins étonnante évidemment, l’Union des Agents Sportifs du Football.

L’impression est en tout cas donnée que cette affaire intéressait au premier chef le monde du football, sport de loin le plus représenté, le plus médiatique, et surtout celui donnant l’occasion aux commissions d’agent les plus importantes.

Pour mémoire, la FIFA (Fédération Internationale Football Association) a publié l’information selon laquelle le montant des commissions versées aux agents par les clubs de football au cours de l’année 2022 s’est élevé à 622,8 millions de dollars.

En France, au titre de la saison 2021-2022, qui s’est terminée au mois de mai 2022, le montant du chiffre d’affaires des commissions versées aux agents par les clubs de ligue 1 aura représenté un peu plus de 100 millions d’euros.

Et ce, sans compter le chiffre de la ligue 2, de la ligue nationale 1 des clubs amateurs.

C’est dire que l’enjeu est extrêmement important puisqu’assez peu d’opérateurs, en France tout au moins, sont concernés par ce marché monopolistiquement réservé à des agents dont le nombre n’excède pas quelques dizaines et encore.

Il y a donc pour s’exprimer en juriste, au deuxième degré, un intérêt du litige !

A la faveur de l’évolution de la réglementation, la profession d’avocat, dans un développement finalement nécessaire à l’intérêt général, s’est vue autorisée, sous certaines conditions, à représenter les parties à la conclusion de contrats notamment visés à l’article L122-7 du Code du Sport et ce en qualité de mandataire.

C’est ainsi qu’on a vu aussi se développer les avocats mandataires en transactions immobilières, les avocats mandataires d’artistes et d’auteurs.

La condition étant que ces nouveaux métiers ayant par essence un aspect commercial seraient autorisés à l’avocat pour autant que la commercialisation de biens de services connexe à l’exercice de la profession le soient à titre accessoire.

A ce que nous savons, les syndicats d’agents immobiliers, les représentations d’agents d’artistes, ne se sont émus de cette concurrence nouvelle.

Il n’en va pas de même apparemment pour les agents sportifs accompagnés en cela par les institutions du football français dont on se demande bien quel est, in fine, l’intérêt dans cette affaire.

Le Conseil de l’Ordre des Avocats au Barreau de Paris, souvent leader dans la profession, a donc mis à jour, son règlement intérieur pour autoriser les avocats mandataires sportifs à exercer l’activité désormais permise par la loi.

Cependant, cette décision a été déférée à la Cour d’Appel de Paris par le Parquet Général sous différents arguments repris à l’arrêt du 14 octobre 2021, considérant en substance le corps des textes applicables :

  • L’article 6 Ter de la loi du 31 décembre 1971 sur la profession d’avocat
  • L’article L222-7 du Code du Sport
  • Les articles 115 et 111 du décret du 27 novembre 1997
  • L’article 6.2 du règlement Intérieur National des Avocats.

Ce dernier article est celui qui prévoit précisément que

« les avocats peuvent, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre, représenter, en qualité de mandataire, l’une des parties intéressée à la conclusion de l’un des contrats mentionnés au premier alinéa de l’article L222.7 du Code du Sport… ».

Ce texte est clair et un lecteur normal en tire la conclusion que l’avocat mandataire peut agir par exception, donc au visa de l’article L222.7.

Dans ses réquisitions, le Parquet Général de la Cour d’Appel de Paris n’ont commis aucun autre développement que d’affirmer l’impossibilité pour l’avocat nonobstant la lettre claire des textes, d’exercer même à titre accessoire, une activité concurrente à celle des agents sportifs.

Par un attendu très elliptique, la Cour d’Appel de Paris rappelle les principes de manière spectaculaire : « L’activité commerciale exercée par un avocat ne peut qu’être une activité accessoire à son activité principale de conseil, d’assistance et de représentation »... c’est parfaitement exact.

Puis, elle poursuit : « Or, la mise en relation des joueurs des clubs constitue une mission principale… ».

On ne peut faire plus simple tout en étant extrêmement difficile à comprendre.

Autrement dit, la Cour d’Appel de Paris sans en expliquer les raisons, soutient que l’activité d’agent sportif et/ou d’avocat mandataire sportif serait une activité principale par définition.

C’est ce qui a fait dire au demandeur au pourvoi que la Cour d’Appel de Paris avait statué par arrêt de règlement, ce qui est tout à fait exact.

Comment expliquer et justifier une telle affirmation ?

Devons-nous y voir la volonté absolue du juge de donner tort aux avocats, le moyen fut-il abscons et difficilement compréhensible.

Bien entendu, la profession et une des associations des avocats mandataires sportifs, se sont pourvues en Cassation et ont repris devant la Cour Suprême une argumentation sur les plans juridique et technique qui devaient amener les hauts magistrats à censurer la Cour d’Appel de Paris.

La Cour de Cassation n’a évidemment pas fait sienne l’argumentation de la Cour d’Appel de Paris et elle a néanmoins développé une argumentation tout aussi surprenante.

En premier lieu, la Cour Suprême rappelle qu’aux termes de l’article L222.7 du Code du sport, l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement ne peut être exercée que par une personne physique détentrice d’une licence d’agent sportif.

C’est la loi, rien que la loi.

La cour poursuit en rappelant les dispositions de l’article 6 Ter créé par la loi du 28 mars 2011, rappelant que les avocats pouvaient, dans le cadre de la réglementation qui leur est propre représenter en qualité de mandataire l’une des parties intéressée à la conclusion d’un des contrats mentionnés à l’article L222.7.

Là encore, c’est la loi, rien que la loi.

Mais, la Cour en tire la conclusion étonnante : « Il en résulte que l’avocat ne peut, tant à titre principal qu’à titre accessoire, exercer l’activité d’agent sportif ».

Ah bon et pourquoi ?

Alors que la Cour de Cassation fait souvent dans ses décisions œuvre de pédagogie, tel n’est pas le cas en l’espèce où aucune explication, aucune justification n’est donnée à la solution qu’elle apporte au litige.

Devons-nous y voir un « fait du prince jurisprudentiel », la Cour de Cassation interdisant ce que la loi autorise ? La loi doit-elle être abrogée ?

Poursuivant et pour répondre à l’article sur l’arrêt de règlement, la Cour de Cassation estime que la Cour d’Appel de Paris aurait jugé à bon droit que l’avocat ne peut être rémunéré par un club, mais seulement par son client.

Force est de constater que la Cour de Cassation s’abstient de répondre à la question qui était posée.

Sur ce sujet du paiement des honoraires, il est bien entendu incontestable qu’un avocat ne peut être payé que par son client.

C’est un principe totalement acquis, pierre angulaire de la profession d’avocat dont les garanties en matière de déontologie et de maniement des fonds n’est plus à prouver et présente un avantage certain sur la profession d’agent sportif.

Ce qui est différent, c’est la possibilité pour l’avocat de se faire rémunérer par le club au nom et pour le compte du client qui a vocation à être un salarié dudit club.

Autrement dit, les honoraires sont payés par le client-joueur mais l’avance de trésorerie est effectuée par le club.

La motivation retenue est donc un bel exemple de jésuitisme puisque la profession unanime n’a jamais entendu déroger au principe du paiement des honoraires par le seul client.

Faisant bloc de ces arguments, aussi inopérants les uns que les autres, le pourvoi est rejeté.

Autrement dit, les avocats subissent une situation où la plus haute juridiction du pays refuse purement et simplement d’appliquer la loi, ce qui est forcément inquiétant et ce vraisemblablement, au profit d’enjeux qui échappent finalement au domaine du Droit.

On peut s’amuser d’ailleurs et s’interroger sur l’intérêt encore une fois de la Fédération Française de Football, celle de Rugby, Le Comité National Olympique et Français à se joindre avec d’autant d’ardeur aux réquisitions du Parquet Général, préférant sans doute, la fréquentation des agents sportifs à celle des avocats, profession il est vrai un peu moins commerçante.

L’actualité s’invite dans le débat, en quelque sorte, puisque dans une volonté de moralisation de la profession d’agents, la FIFA (Fédération Internationale de Football Association) a décidé d’une nouvelle réglementation en ce qui concerne les agents, en restreignant l’accès ainsi qu’en imposant une réduction des taux de commissions.

Les agents français sont immédiatement montés au créneau pour rappeler que la réglementation applicable en France serait très rigoureuse et l’examen d’accès très sélectif.

On peut voir cette sélectivité aussi comme une volonté de cartellisation du marché.

Quoi qu’il en soit, les avocats peuvent affirmer bénéficier d’une formation au moins équivalente à celle des agents, une longue tradition, un code de déontologie rigoureux et éprouvé par l’expérience, d’instances disciplinaires et qui plus est, d’un système de CARPA garantissant la transparence des échanges ainsi que la sécurité.

L’avocat mandataire sportif n’en a que plus d’arguments à faire valoir.

Et pourtant…

Puissent les avocats, agents d’artistes, agents immobiliers, et autres continuer normalement et légalement les nouvelles activités ouvertes et tant pis dans l’immédiat pour les avocats mandataires sportifs.

Philippe Lefevre, avocat
Barreau de Lille
Société 25ruegounod avocats

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