Anonymat des agents des finances publiques et droits de la défense en matière de procédure fiscale. Par Mehdi-Emmanuel Jouini, Avocat.

Anonymat des agents des finances publiques et droits de la défense en matière de procédure fiscale.

Par Mehdi-Emmanuel Jouini, Avocat.

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Explorer : # anonymisation # procédure fiscale # droits de la défense # fraude fiscale

Les droits de la défense sont au cœur des litiges fiscaux entre l’administration fiscale et le vérifié. Obsession continue et perpétuelle de l’avocat, ce dernier s’attachera à leurs respects stricto sensu et ce, tout au long de la procédure fiscale.

Toutefois, la consécration de l’anonymisation des agents des finances publiques à travers la loi de finances pour 2020 semble bousculer les fondements établis permettant de protéger les vérifiés dans le cadre d’une procédure fiscale.

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Afin de protéger les agents des finances publiques dans les dossiers les plus sensibles tels que ceux portant sur des affaires de fraude fiscale, le législateur se devait d’intervenir.
C’est ainsi que les dispositions de l’article 174 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, reprises à l’article L286 B du Livres des procédures fiscales, autorisent, depuis le 30 décembre 2019, les agents des finances publiques à taire leur identité (1).

Or, les dispositions du Livre des procédures fiscales contraignent l’administration des impôts à faire figurer sur l’ensemble des pièces procédurales du contrôle ou de recouvrement qu’elle communique au vérifié, des mentions permettant d’identifier le ou les auteurs de l’acte.

Cette situation interroge quant aux conséquences relatives à l’anonymat des agents des finances publiques en matière procédurale (2).

1. La consécration de l’anonymisation des agents des finances publiques à travers loi de finances pour 2020.

Le rapport d’information sur les aviseurs fiscaux [1] recommandait une protection accrue pour les agents de l’administration fiscale, et plus particulièrement, pour ceux en charge de dossiers qualifiés de « complexes » tels que des affaires de fraudes fiscales ou encore de lutte contre le terrorisme. Il était ainsi fait état du fait que « La question plus spécifique de l’éventuelle protection légale de l’anonymat des agents du SIE devrait toutefois être replacée dans une réflexion plus large, portant sur l’anonymat des agents de l’administration fiscale intervenant dans des situations complexes.

Le service du contrôle fiscal a ainsi fait état d’opérations particulières, menées conjointement avec les services de police ou de gendarmerie en matière de lutte contre le terrorisme notamment, au cours desquelles les agents de l’administration fiscale étaient les seuls agents dont l’anonymat n’était pas protégé ». [2]

C’est donc à travers les dispositions de l’article 174 de la loi de finances pour 2020, reprises à l’article L286 B du Livre des procédures fiscales, que le législateur a tenu compte de ces recommandations en autorisant, à compter du 30 décembre 2019, une telle protection visant à préserver l’anonymat des agents des finances publiques et, lorsque les circonstances particulières de la procédure le justifient, le recours à un numéro d’immatriculation administrative :

L’article L286 B du Livre des procédures fiscales est ainsi rédigé en ces termes :
« Dans le cadre des procédures de contrôle, de recouvrement et de contentieux prévues au présent livre, tout agent des finances publiques peut être autorisé à ne pas être identifié par ses nom et prénom lorsque, compte tenu des conditions d’exercice de sa mission et des circonstances particulières de la procédure, la révélation de son identité à une personne déterminée est susceptible de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches ». [3]

Le recours à un numéro d’immatriculation en lieu et place des nom et prénom de l’agent vérificateur, s’inspire des dispositions de l’article 15-4 du Code de procédure pénale applicable aux agents de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des douanes et des officiers fiscaux judiciaires.

Au cas d’espèce, l’anonymat des agents de l’administration fiscale s’étend désormais aux procédures pénales de flagrance visées à l’article 60 du Code de procédure pénale, aux enquêtes préliminaires prévues à l’article 77-1 du Code de procédure pénale ou encore à l’instruction pénale visée à l’article 81 du Code de procédure pénale.

L’anonymisation des agents des finances publiques doit faire l’objet d’une autorisation délivrée par le directeur du service déconcentré ou du service à compétence nationale dont relèvent les agents concernés. Cette autorité statue par une décision écrite et motivée qui précise les personnes à l’égard desquelles elle s’applique.

Au regard de ce qui précède, les dossiers, non pas « complexes » mais « sensibles », seront donc orchestrés par les agents du fisc et ce, dès la procédure de contrôle, sous couvert d’un anonymat.

Toutefois, cette situation inédite en matière fiscale interroge sur les éventuelles difficultés procédurales que les avocats fiscalistes pourraient rencontrer.

2. Les conséquences procédurales de l’anonymisation des agents des finances publiques.

Conformément aux dispositions de l’article L45 du Livre des procédures fiscales, les agents de l’administration des impôts peuvent assurer le contrôle et l’assiette de l’ensemble des impôts ou taxes dus par le contribuable qu’ils vérifient.

La compétence des agents chargés du contrôle étant définie à l’article 350 terdecies de l’annexe III du Code général des impôts, seuls les fonctionnaires titulaires de la direction générale des impôts appartenant à des corps de catégories A et B peuvent fixer les bases d’imposition et liquider les impôts, taxes et redevances ainsi que proposer des rectifications ou notifier des bases d’imposition. Ceux-ci peuvent se faire assister pour les opérations de contrôle par des stagiaires et par tout autre fonctionnaire des impôts affecté ou non dans le même service déconcentré ou le même service à compétence nationale. C’est ainsi qu’il a été jugé qu’un agent du cadre C qui assiste le vérificateur lors d’un contrôle sur place ne peut effectuer les tâches qui lui sont confiées qu’en présence dudit vérificateur [4].

En outre, un agent des finances publiques est habilité à exercer ses fonctions dès la décision lui conférant sa fonction, même si celle-ci n’a pas encore été publiée [5].

Les dispositions de l’article 350 terdecies de l’annexe III du Code général des impôts posent également le principe de la compétence territoriale en prévoyant que « Les fonctionnaires mentionnés au premier alinéa du I (corps de catégories A et B) et compétents territorialement pour procéder aux contrôles visés à l’article L. 47 du livre des procédures fiscales d’une personne physique ou morale ou d’un groupement peuvent exercer les attributions définies à cet alinéa pour l’ensemble des impositions, taxes et redevances, dues par ce contribuable, quel que soit le lieu d’imposition ou de dépôt des déclarations ou actes relatifs à ces impositions, taxes et redevances ». [6]

La compétence territoriale s’appréciant par rapport à la direction dont dépend l’agent des finances publiques, les agents des finances publiques appartenant au service des impôts compétent pour recevoir les déclarations du contribuable ont qualité pour procéder aux vérifications [7].

En outre, la jurisprudence étend la compétence territoriale des agents des finances publiques dans des situations procédurales particulières [8] ou encore lors d’une erreur du contribuable sur le lieu de dépôt de sa déclaration [9].

La compétence des agents des finances publiques est une règle relative à la procédure d’imposition et doit donc s’apprécier à la date de chacun des actes accomplis [10].

S’agissant d’un vice substantiel, l’incompétence d’un agent pour assurer un contrôle et le rehaussement qui en découle entraine automatiquement la nullité de la procédure d’imposition. Dès lors, ce vice substantiel ne peut être couvert par une procédure non contradictoire telle qu’une procédure de taxation d’office en raison du caractère d’ordre public qui s’attache à la compétence du vérificateur [11].

Partant, l’anonymat des agents des finances publiques peut constituer une véritable problématique en matière procédurale. En pareille circonstance, le vérifié et son conseil s’interrogeront automatiquement sur l’existence d’un éventuel vice substantiel de procédure en rapport avec les règles de compétence susvisées.

Dans un but de préserver les garanties offertes aux contribuables vérifiés, l’article L286 B du Livres des procédures fiscales prévoit que la qualité et la mention du service déconcentré ou du service à compétence nationale dans lequel il est affecté, continueront d’être communiquées. Il est en effet prévu que « L’agent qui bénéficie de l’autorisation prévue au troisième alinéa du présent I est identifié, au cours des procédures mentionnées aux premier et deuxième alinéas, par un numéro d’immatriculation administrative, sa qualité et la mention du service déconcentré ou du service à compétence nationale dans lequel il est affecté ». [12]

Ainsi, les dispositions de l’article L286 B du Livre des procédures fiscales précisent que les juridictions administratives et judiciaires ont accès aux noms et prénoms de la personne identifiée par un numéro d’immatriculation administrative dans un acte de procédure.

En théorie, ces indications fondamentales permettront donc de procéder à une vérification de la compétence de l’agent vérificateur.

En pratique, la juridiction saisie par requête écrite et motivée tendant à la communication des nom et prénom d’un fonctionnaire décide des suites à y donner en tenant compte, d’une part, de la menace que la révélation de l’identité de cette personne ferait peser sur sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches et, d’autre part, de la nécessité de communiquer cette identité pour l’exercice des droits de la défense de l’auteur de la demande.

Afin de respecter les droits de la défense et plus particulièrement en cas de demande d’annulation d’un acte de procédure fondée sur la violation des formes prescrites par la loi, à peine de nullité ou sur l’inobservation des formalités substantielles dont l’appréciation nécessite la révélation des nom et prénom de l’agent protégé, la juridiction administrative ou judiciaire saisie statuera sans verser ces éléments au débat contradictoire ni indiquer l’identité du bénéficiaire de cette autorisation dans sa décision.

Afin de faire respecter les droits de la défense, dans le cas d’une procédure fiscale dans laquelle les agents des finances publiques sont anonymes, l’avocat fiscaliste se verra contraint d’adresser une requête au juge administratif demandant l’annulation des actes de procédure motivée par les dispositions de l’article 350 terdecies de l’annexe III du Code général des impôt.

Hors du champ d’application de l’article L286 B du Livre des procédures fiscale, il est rappelé que la divulgation de l’identité ou d’éléments permettant d’identifier un agent des finances publiques est sanctionnée par les dispositions de l’article 15-4 du Code de procédure pénale, à savoir une peine d’emprisonnement comprise entre cinq et dix années ainsi que d’une amende comprise entre 75.000 euros et 150.000 euros.

La consécration de l’anonymisation des agents des finances publiques à travers loi de finances pour 2020 n’est pas de nature à remettre en cause les principes élémentaires de la procédure fiscale.
Toutefois, l’avocat fiscaliste se verra contraint, une nouvelle fois, d’agir avec prudence et fermeté afin d’assurer le respect des droits de la défense.

Mehdi-Emmanuel JOUINI
Avocat à la Cour de PARIS
Docteur en Droit Fiscal 
Master II Droit du Patrimoine
Master II Gestion du Patrimoine

www.mej-avocat.com
www.mej-avocat-penal-fiscal.com

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Notes de l'article:

[1Rapport d’information, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 juin 2019, présenté par Christine PIRES BEAUNE, Rapporteure.

[2Id.

[3Article L286 B du Livres des procédures fiscales.

[4TA Paris, 1er sect., 2ech., 8 février 2005, req. 98-26369.

[5CAA Bordeaux, 3e ch., 9 mars 1999, req. 95-1144.

[6Article 350 terdecies de l’annexe III du Code général des impôts.

[7CE., 7e et 8e s-s., 14 décembre 1988, req., 72093 ; CAA Lyon, 4e ch ., 30 avril 1997, req 95-962.

[8Cas d’une vérification de comptabilité et d’un ECSFP : Cass. Com., 19 janvier 2010, req. 09-65679
Cas de contrôle des droits d’enregistrement et de l’impôt de solidarité sur la fortune : Cass. Com., 23 septembre 2008, req. 07-16627.

[9CAA Paris, 2e ch., 9 novembre 2009, req. 08-162.

[10CE, 9e et 10e s-s., 12 mars 2014, req. 354812

[11CAA Nancy, 2e ch., 7 décembre 1995, req. 92-1036.

[12Article L286 B du Livres des procédures fiscales.

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