L’audience de règlement amiable et la césure du procès.

Par Jean-François Carlot, Avocat Honoraire.

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Explorer : # règlement amiable # audience de conciliation # césure du procès # modes alternatifs de résolution des conflits

Le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 a ajouté l’audience de règlement amiable (ARA) aux dispositifs de résolution amiable déjà existant (Conciliation, médiation, procédure participative…), notamment en matière familiale, laquelle est confiée à un juge distinct de celui chargé d’une affaire. Les contestations qui n’ont pas été réglées dans le cadre d’une procédure amiable peuvent l’objet de jugements partiels entraînant ainsi une « césure » du procès.

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Ces dispositions du décret sont applicables aux instances introduites à compter du 1er novembre 2023.

Il contient deux séries de dispositions :

  • L’audience de règlement amiable (A),
  • La césure du procès (B).

A. La procédure d’audience de règlement amiable.

1. La décision d’ audience de règlement amiable (CPC, art. 774-1 à 774-4).

L’audience de règlement amiable est introduite formellement dans le cadre de la procédure écrite ordinaire et de la procédure de référé devant le tribunal judiciaire.

Dans la procédure écrite ordinaire, le président de l’audience d’orientation, le juge de la mise en état, le juge du fond et le juge des référés peuvent décider, que les parties seront convoquées à une audience de règlement amiable tenue par un juge, lequel ne siège pas dans la formation de jugement (CPC, Art. 774-1).

A noter toutefois que le juge saisi d’un dossier conserve toujours la faculté de concilier lui-même les parties (CPC, art. 21) et de convoquer les parties dans les conditions prévues à l’article 825. Le juge de la Mise en Etat a même la faculté de révoquer l’ordonnance de clôture, après recueil de l’avis des parties, afin de de lui permettre décider de la convocation des parties à une audience de règlement amiable.

Cette mesure peut être ordonnée à la demande de l’une des parties ou d’office, le juge ayant seulement l’obligation d’avoir recueilli leur avis préalable. A noter que même si celui-ci était négatif, le juge pourrait ordonner cette convocation… Si, a priori, un mode amiable n’a de chance d’aboutir que si les parties ont manifesté leur plein accord pour y participer, le fait d’être convoqué d’office devant un juge pourrait être de nature à les éclairer et à les inciter à accepter le principe d’un rapprochement…

A noter que la décision de convocation est une mesure d’administration judiciaire, de sorte qu’elle n’est susceptible d’aucun recours, et ne dessaisit pas le juge.

Il est clair que si l’initiative du juge n’a aucune chance d’aboutir elle peut retarder inutilement l’aboutissement des procédures, sachant que celle-ci sont déjà très longues. Par ailleurs, cette mesure se heurte à la disponibilité et à la formation de magistrats en nombre suffisant pour assumer cette charge. Reste à savoir comme les Juridictions surchargées pourront trouver suffisamment de magistrats pour assurer les audiences amiables…

S’il aurait été envisageable de confier cette audience de règlement amiable à un Conciliateur de Justice ou à un Médiateur, le juge chargé de l’audience de règlement amiable joue, quant à lui, un rôle de juge de la Mise en Etat dans la mesure où il a le pouvoir de prononcer une clôture partielle.

Quoi qu’il en soit, cette décision de convocation des parties à une audience de règlement amiable constitue une nouvelle cause d’interruption de l’instance et du délai de péremption de l’instance (CPC, art. 369) et un nouveau délai de péremption court à compter de la première audience fixée postérieurement devant le juge saisi de l’affaire (CPC, art. 392).

Sachant que, contrairement aux exigences de l’article 776 du Code de procédure civile, beaucoup de juges de l’orientation ne demandant pas actuellement aux avocats des parties s’ils envisagent de conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état, il est douteux qu’ils prennent l’initiative d’ordonner un renvoi à une audience de règlement amiable…

Enfin, on peut s’interroger sur l’opportunité de cette procédure de règlement amiable alors que le juge a déjà parfaitement la possibilité d’organiser une médiation judiciaire dans les conditions prévues par les articles 131 et suivants du Code de Procédure Civile. Cette procédure pourrait être l’occasion d’inciter les parties à recourir à une Procédure Participative, dont on sait qu’elle ne rencontre actuellement que peu de succès auprès des avocats.

2. Le déroulement de l’audience de règlement amiable.

a. La tenue de l’audience.

Les parties sont convoquées à l’audience de règlement amiable, à la diligence du greffe, par tout moyen, et sont tenues de comparaître en personne, éventuellement assistées de leur avocat en cas de procédure avec représentation obligatoire, ou par leur conjoint, leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité, leurs parents ou alliés, ou les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise.

« L’audience se tient en chambre du conseil, hors la présence du greffe, selon les modalités fixées par le juge chargé de l’audience de règlement amiable ». « Sauf accord contraire des parties, tout ce qui est dit, écrit ou fait au cours de l’audience de règlement amiable, par le juge et par les parties, est confidentiel », comme en matière de médiation conventionnelle ou judiciaire.

Toutefois,

« Il est fait exception à l’alinéa précédent dans les deux cas suivants (existants déjà devant les juridictions administratives (CJA, art. L213.2)) : a) En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique de la personne ;
b) Lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord qui en est issu est nécessaire pour sa mise en œuvre ou son exécution
 ».

A tout moment, le juge chargé de l’audience de règlement amiable peut y mettre fin.

Cette décision est une mesure d’administration judiciaire. A l’issue de l’audience, les parties peuvent demander au juge chargé de l’audience de règlement amiable, assisté du greffier, de constater leur accord, total ou partiel. « Le juge informe le juge saisi du litige qu’il est mis fin à l’audience de règlement amiable et lui transmet, le cas échéant, le procès-verbal d’accord », exactement comme dans la médiation.

b. Le rôle du juge.

L’audience de règlement amiable est un « mélange » de conciliation et de médiation.
Comme la conciliation, elle a pour finalité la résolution amiable du différend entre les parties, alors que la médiation traditionnelle a d’abord l’ambition de restaurer des relations rompues entre des parties afin de leur permettre de résoudre elles-mêmes leur différend, ce qui nécessite du temps, de la patience et du savoir-faire…

A la différence d’un médiateur, et à l’instar d’une conciliateur, le juge pourra formuler des avis, y compris juridiques, sur le différend des parties et donc prendre parti sur leur litige...

Le texte définit cependant un processus structuré

« confrontation équilibrée des points de vue des parties, évaluation de leurs besoins, mise en évidence de leurs positions et intérêts respectifs, ainsi que compréhension des principes juridiques applicables au litige » (CPC., art. 774-2).

« Le juge chargé de l’audience de règlement amiable peut prendre connaissance des conclusions et des pièces échangées par les parties », ce qui est parfois déconseillé dans le processus de médiation, afin de permettre au médiateur de conserver une impartialité totale et de ne pas adopter d’opinion ou de pré-jugement sur le différend qui influerait sur la conduite de sa mission.

Enfin, le juge « peut procéder aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions qu’il estime nécessaires, en se transportant si besoin sur les lieux », jouant ainsi pleinement le rôle de conciliation qui lui est dévolu par l’article 21 du CPC.

« Il détermine les conditions dans lesquelles l’audience se tient. Le juge peut donc décider d’entendre les parties séparément », comme le fait habituellement un médiateur, sans avoir à respecter le principe du contradictoire (ce qui risque de le mettre mal à l’aise alors que les magistrats y sont très attachés).

A l’issue de l’audience, les parties peuvent demander au juge chargé de l’audience de règlement amiable, assisté du greffier, de constater leur accord, total ou partiel, dans les conditions de l’article 130 et du premier alinéa de l’article 131.

Le juge informe alors le juge saisi du litige qu’il est mis fin à l’audience de règlement amiable et lui transmet, le cas échéant, le procès-verbal d’accord (CPC, art.774-4).

B. La césure du procès (CPC, art. 807-1 à 807-3).

1. La procédure de jugement partiel.

Les contestations qui n’ont pas été réglées dans le cadre d’une procédure amiable peuvent l’objet de jugements partiels qui peuvent être immédiatement frappés d’appel comme les jugements qui tranchent tout le principal (CPC., art. 544).

Beaucoup d’affaires peuvent se prêter à un jugement en deux temps, et notamment tout le contentieux de la responsabilité et de l’indemnisation qui en est la conséquence. Ainsi, si les parties se mettent d’accord sur le principe de la responsabilité, le juge n’aura à statuer que sur les modalités d’indemnisation qui posent problème, telle que l’évaluation de l’aide humaine qui est un des postes les plus importants du préjudice corporel.

2. Clôture partielle.

A tout moment, l’ensemble des parties constituées peut demander au juge de la mise en état la clôture partielle de l’instruction, afin qu’il soit statué sur le différend résiduel. Elles produisent alors à l’appui de leur demande un acte contresigné par avocats qui mentionne les prétentions à l’égard desquelles elles sollicitent un jugement partiel.

S’il fait droit à la demande, le juge ordonne la clôture partielle de l’instruction et renvoie l’affaire devant le tribunal pour qu’il statue au fond sur la ou les prétentions déterminées par les parties. La date de la clôture partielle doit être aussi proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries.

Le jugement partiel tranche dans son dispositif les seules prétentions faisant l’objet de la clôture partielle et le tribunal peut ordonner l’exécution provisoire. La clôture partielle ne portant que sur « les prétentions à l’égard desquelles les parties sollicitent un jugement partiel », elle ne s’applique donc pas aux autres points du litige principal restant en suspens et dont le juge reste saisi par ailleurs.

Dès lors, la clôture de l’instruction de l’affaire principale ne peut intervenir avant l’expiration du délai d’appel à l’encontre du jugement partiel ou, lorsqu’un appel a été interjeté, avant le prononcé de la décision statuant sur ce recours (CPC., Art. 807-3).

Enfin, aux termes de l’article 905 du CPC, la procédure d’appel à bref délai s’applique au jugement rendu sur le différend résiduel.

Conclusion.

Le développement des modes amiables ne peut être qu’encouragé, mais il a toujours été freiné par le manque de moyens et de temps, et s’inscrit dans une volonté de déjudiciarisation dont on peut craindre qu’il ne s’agisse que d’un simple mode de gestion des flux et des stocks.

Mais, il dépend essentiellement de la volonté des professionnels du droit de s’y associer et de les inclure dans leur pratique en faisant preuve de pédagogie à l’égard des justiciables. En leur qualité de prescripteurs, les avocats doivent avant tout se persuader de l’intérêt des modes amiables pour leurs clients permettant de restaurer leurs relations familiales et d’affaires, régler leurs différends et prévenir de nouveaux litiges.

La mise en œuvre de la procédure de règlement amiable est susceptible dans certains cas de retarder considérablement l’issue de procédures judiciaires, déjà très longues, alors que les Médiations judiciaires traditionnelles sont limitées à trois mois renouvelables… Mais rien n’empêche le magistrat de suggérer d’autres modes de résolution amiable plus adaptés aux spécificités d’un différend, telle que la Procédure Participative, ou la Médiation conventionnelle ou judiciaire…

L’expérience dira comment les justiciables réagiront dans le cadre d’une audience de règlement amiable, alors qu’ils sauront se trouver devant un magistrat professionnel dont ils risquent d’avoir du mal à distinguer le rôle par rapport à celui du tribunal saisi… Mais il vrai qu’une audience de conciliation mise parfois spontanément en œuvre par certains tribunaux de Commerce sous la conduite d’un juge consulaire conduit à des résultats favorables.

Sachant que le succès de tout mode amiable résulte avant tout de la volonté libre des parties d’y participer…

Jean-François Carlot
Docteur en Droit - Avocat Honoraire - Médiateur
www.jurilis.fr

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