Circulaire du 17 octobre 2023 d’application de la politique de l’amiable : ARA et césure.

Par Jean-François Carlot, Avocat.

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Explorer : # résolution amiable # audience de règlement amiable # césure du procès # confidentialité

Une circulaire du 17 octobre 2023 [1] vient apporter des précisions sur la mise en application du décret n°2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire, en ce qui concerne l’Audience de Règlement Amiable (ARA) et la césure du procès.

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L’esprit de ce texte rappelle celui de la procédure participative, également nécessairement assistée par avocat, mais qui n’a pas encore rencontré le succès escompté.

L’injonction qui peut être faite à des parties de participer à une telle audience, même après avoir recueilli leur avis, est-elle de nature à favoriser une issue amiable ?

Les juridictions totalement encombrées ont-elles les moyens de mettre à la disposition des parties un magistrat entièrement dédié à leur rapprochement ?

Enfin, ces nouvelles règles de procédure ne prennent-elles pas le risque d’alourdir une procédure judiciaire déjà bien longue et bien complexe au détriment de la souplesse de la médiation conventionnelle ou judiciaire ?

I. L’audience de règlement amiable (ARA).

Article 2 du décret no 2023-686 du 29 juillet 2023.

1. Champ d’application.

Le champ d’application de l’audience de règlement amiable (ci-après ARA) est circonscrit :

  • d’une part, aux affaires relevant de la procédure écrite ordinaire
  • d’autre part, aux référés relevant de la compétence du président du tribunal judiciaire ou du juge des contentieux de la protection.

Le JAF ou le président du tribunal de commerce, statuant en référé, ne peuvent donc pas orienter une affaire en ARA.

2. Orientation en ARA.

a. La décision d’orientation.

Le juge saisi du litige peut décider à la demande de l’une des parties ou d’office, mais après avoir recueilli leur avis, qu’elles seront convoquées à une audience de règlement amiable (ARA) tenue par un juge qui ne siège pas dans la formation de jugement.

Il s’agit d’une mesure d’administration judiciaire qui peut être prise à tout moment par le président de l’audience d’orientation, le juge de la mise en état, le juge du fond, ou le juge des référés.

Elle ne dessaisit pas la Juridiction et interrompt l’instance, et peut entraîner la révocation de l’ordonnance de clôture.

Dans sa décision le juge peut d’ores et déjà prévoir une convocation à une audience ultérieure à l’ARA pour reprise d’instance ou radiation de l’affaire.

b. Choix du Magistrat chargé de l’ARA.

L’ARA est tenue par un juge préalablement désigné par ordonnance du tribunal judiciaire, lequel ne peut en aucun cas être le JME ou faire partie de la formation de jugement saisie de l’affaire.

B. Le déroulement de l’ARA.

1. Convocation des parties.

Les parties dont convoquées par le Greffe à une audience « en chambre du conseil », hors la présence du Greffier, sauf pour constater un éventuel accord, ce qui suppose qu’il reste disponible à cette fin tout au long de cette audience…

2. Le rôle du juge de l’ARA.

La Circulaire prévoit que le juge de l’ARA doit consacrer un temps plus long que celui consacré à une plaidoirie, sans toutefois dépasser une journée, afin de tenter de « concilier les parties » dans le cadre d’un « ilot amiable » (Sic !).

Le juge dispose d’un certain nombre de pouvoirs :

  • mêler les techniques de conciliation et de médiation
  • « aménager » le principe du contradictoire en entendant les parties séparément assistées au non de leur avocat
  • rappeler les grands principes de droit applicables à la matière en raison de la technicité des affaires et de l’enjeu des litiges, « ce qui constitue une différence importante avec la médiation ou la conciliation »
  • prendre connaissance des éléments du dossier de procédure
  • se rendre sur les lieux
  • Inciter les parties à recourir à une mesure d’instruction.

3. Le rôle des parties.

Les parties doivent comparaître personnellement et être assistées de leur avocat respectif lorsque la saisine du tribunal judiciaire relève d’une procédure avec représentation obligatoire.

Dans la mesure où les parties conviennent de recourir à un technicien, sa désignation et sa mission devra faire l’objet d’un acte contresigné par avocats.

Le rapport du technicien n’aura pas de caractère confidentiel et pourra être produit en justice en cas d’échec de la conciliation.

4. La confidentialité.

L’audience de règlement amiable se tient dans un cadre confidentiel, qui interdit l’utilisation des données recueillies lors de l’audience dans le cadre d’une instance contentieuse, sauf accord contraire des parties.

La circulaire précise que « Le périmètre du principe de confidentialité est plus large que celui prévu par l’article 21-3 de la loi du 8 février 1995 en matière de médiation (dès lors que ce dernier ne vise que les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation) »…

Il existe deux exceptions au principe de confidentialité, reprises des dispositions applicables en matière de médiation, et en particulier de l’article 21-3 de la loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative :

« a) En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique de la personne, le juge a l’obligation de saisir le Ministère public.
b) Lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord qui en est issu est nécessaire pour sa mise en œuvre ou son exécution
 ».

La violation de la confidentialité peut faire l’objet de sanctions :

  • Pièces couvertes par la confidentialité écartées des débats [2]
  • Nullité d’un acte de procédure méconnaissant le principe de confidentialité
  • Responsabilité disciplinaire des avocats.

A noter que l’accord auquel les parties sont parvenues dans le cadre de l’ARA est confidentiel, sous réserve de la transmission au juge saisi du litige du procès-verbal établi par le juge chargé de cet ARA.

C. L’issue de l’ARA.

1. En cas d’accord

L’accord peut prendre la forme d’un procès­ verbal signé par le juge de l’ARA, le greffier et les parties dont l’extrait du procès-verbal, délivré par le greffe, vaut titre exécutoire.

Si cet accord est trouvé après la fin de l’ARA, les parties (seules, le cas échéant assistées de leurs avocats, ou dans le cadre d’une médiation ou d’une conciliation) peuvent le soumettre dans un acte contresigné par avocat à l’homologation du juge saisi.

2. En cas d’échec.

Le juge peut mettre fin à l’ARA à tout moment s’il estime que les conditions d’une négociation ne sont plus réunies, notamment :

  • lorsque que la solution envisagée par les parties à leur litige porte atteinte à l’ordre public, aux droits fondamentaux, méconnaît gravement les intérêts de l’une des parties ou des enfants ou en ce qu’il porte sur des droits non disponibles
  • en cas de déséquilibre manifeste entre les parties, ou encore lorsque les éléments révélés au cours de l’ARA font apparaître l’existence de violences
  • en cas de manœuvres dilatoires, lorsqu’une partie s’engage dans une ARA sans véritable intention de résoudre amiablement un différend mais dans le but de retarder l’issue du procès.

D. La fin de l’instance principale.

Les parties doivent préalablement accomplir un acte de reprise d’instance par dépôt de conclusions en ce sens ou par citation [3].

A défaut, le juge, informé par le juge chargé de l’ARA de la fin de l’audience de règlement amiable, convoquera les parties à une audience spéciale (de mise en état, d’orientation ou de jugement) dont l’objet sera le suivant :

  • inviter les parties à accomplir un acte de reprise d’instance, le cas échéant avec désistement, par dépôt de conclusions en ce sens, ou citation (article 373 du CPC)
  • radier l’affaire à défaut de diligences dans le délai imparti par le juge.

Cette convocation fera courir un nouveau délai de péremption d’instance.

Lors de cette audience le juge pourra :

  • Soit constater le désistement des parties, si leur accord a été formalisé à l’issue de l’ARA
  • Soit prendre acte qu’il est mis fin à l’ARA, et renvoyer le dossier à une nouvelle audience pour :
    • constater le désistement des parties ou radier l’affaire si les parties ne se présentent pas ou si les parties le lui demandent
    • faire reprendre au dossier son circuit normal devant la Juridiction, au stade où elle avait été interrompue. En cas d’accord partiel, le juge n’aura à statuer que sur le différend résiduel formalisées en principe par de nouvelles conclusions.

II. La césure du procès civil.

Article 4 du décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023.

La césure du procès permet aux parties de solliciter un jugement tranchant les points nodaux du litige afin de leur permettre ensuite de résoudre les points subséquents en recourant aux modes amiables de résolution des différends de droit commun et, à défaut, de limiter de façon optimale le champ du débat judiciaire.

Elle est applicable aux instances introduites à compter du 1er novembre 2023.

A. Les conditions d’ouverture d’une césure du procès.

1. L’initiative de la césure

La césure du procès est à l’initiative des parties et ce, à tout moment de la mise en état, le JME ne pouvant que « l’impulser ».

2. La forme de la demande (CPC, 807-1).

L’ensemble des parties constituées doivent être d’accord pour demander au JME de trancher une partie de leurs prétentions, qui devront donc être individualisées et séparées, par :

  • des conclusions qui lui sont spécialement adressées
  • soutenues par un acte de procédure contresigné par avocats.

Elles doivent donc s’accorder sur les prétentions dont elles sollicitent un jugement partiel, dans un acte de procédure contresigné par avocats, ce qui implique que ces derniers aient discuté et négocié entre eux…

3. La clôture partielle aux fins de césure (CPC, art. 807-1).

Il s’agit d’une nouvelle catégorie d’ordonnance de clôture : la clôture partielle aux fins de césure, qui est une mesure d’administration judiciaire, insusceptible de recours.

  • S’il fait droit à la demande de césure, le JME ordonne la clôture partielle de l’instruction.
  • Son ordonnance de clôture partielle est alors limitée à la liste des prétentions déterminées par les parties
  • L’ordonnance de clôture partielle aux fins de césure peut faire l’objet d’une révocation conformément à l’article 803 du CPC
  • En cas d’ordonnance de clôture partielle aux fins de césure,la mise en état est poursuivie quant aux prétentions qui sont hors du champ de la clôture partielle
  • Mais le JME peut rejeter la demande d’ouverture d’une césure du procès, et le dossier reprend alors son cours devant lui.

4. Le jugement partiel (CPC, art. 807-1).

a. Le prononcé du jugement partiel.

Le jugement partiel est une nouvelle catégorie de jugement, par lequel la formation de jugement statue sur la ou les prétentions déterminées par les parties dans l’acte de procédure contresigné par avocats.

Il est rendu à l’issue d’une audience de plaidoirie, sauf à ce qu’il soit recouru à une procédure sans audience.

L’exécution provisoire n’est pas de droit, mais elle peut être ordonnée par le tribunal dans les conditions du droit commun.

b. Voies de recours contre le jugement partiel (CPC, 544).

  • Le jugement partiel est susceptibles d’appel immédiat
  • L’appel sera traité selon la procédure à bref délai au sens de l’article 905 du CPC
  • L’appel du jugement partiel n’est pas un motif d’interruption du délai de péremption de l’instance, afin de permettre la poursuite de la mise en état sur des prétentions subséquentes.

5. La poursuite de la mise en l’état et l’issue de l’instance.

La mise en état se poursuit relativement aux prétentions des parties qui n’entrent pas dans le périmètre de la césure, les parties pouvant continuer de conclure et éventuellement former de nouvelles demandes.

Si elles parviennent à un accord formalisé selon les règles du droit commun, sur le « reste » des prétentions, elles pourront notamment présenter au JME (article 785 al 3 du CPC) ou au juge du fond (articles 131-12 et 1565 du CPC) une demande d’homologation de leur accord, accompagnée d’une demande de désistement d’instance.

L’article 807-3 du CPC prévoit que la mise en état ne peut être totalement close (sur les prétentions non concernées par la clôture partielle puis le jugement partiel) que lorsque le jugement partiel ne peut plus faire l’objet d’un appel, soit parce que le délai d’appel est expiré, soit parce qu’un appel a été interjeté sur lequel la cour a statué.

Jean-François Carlot
Avocat Honoraire - Médiateur
www.jurilis.fr

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Notes de l'article:

[2Civ. 2ème, 9 juin 2022. n°19-21.798.

[3Article 373 du CPC.

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