1. Le principe et les raisons de l’audition du mineur
Un jugement récemment rendu par le Tribunal de grande instance de Créteil en matière familiale (JAF Créteil, 6 mars 2012, RG : 11/12901) écarte des débats la retranscription faite par un huissier du contenu d’une vidéo où l’on peut voir une jeune enfant expliquant à son père sa volonté de rester auprès de lui. Cette vidéo réalisée à l’aide d’un téléphone portable « non à l’insu de l’enfant » était produite par le père dans le cadre d’une instance fixant des mesures concernant une enfant de cinq ans.
Le juge considère en l’espèce que le document n’est pas conforme à la nécessaire protection des intérêts du mineur et fait observer qu’il laisse perplexe au regard de l’âge de l’enfant et de sa capacité à donner un consentement valable.
Cette décision rappelle aux parties à l’instance que l’audition du mineur et donc la voix et les sentiments exprimés par lui sont encadrés et qu’on ne peut pas produire tout et n’importe quoi en la matière. A cet égard, l’article 388-1 du Code civil énonce les règles procédurales qui sont destinées à protéger le mineur qui serait appelé à s’exprimer dans une procédure.
C’est ainsi qu’il ne saurait être question de détourner ces règles en produisant, soit en l’espèce une vidéo prise par un téléphone portable, soit des e-mails que l’enfant adresserait à des tiers, ou encore des courriers d’un mineur adressés à l’un de ses parents et qui évoqueraient ses sentiments.
L’article 388-1 du Code civil inséré dans le Code civil au titre de la Minorité et de l’Emancipation par une loi du 8 janvier 1993 dispose que « dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet.
« Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul ou avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne.
L’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.
Le juge s’assure que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat. »
On comprend à la lecture de ces dispositions très denses pourquoi le juge aux affaires familiales de Créteil a rejeté la production de la vidéo litigieuse.
En effet, cet article soulève plusieurs points de droit destinés à protéger le mineur. Celui-ci doit être consentant à son audition, assisté s’il le souhaite, protégé dans son intégrité psychique. Il ne doit pas penser qu’il va trancher le débat par son audition. Surtout, il ne doit pas être manipulé par qui que ce soit à la procédure.
On rappellera bien sûr que le principe de l’audition du mineur est le pendant législatif et concrétisé sur le plan judiciaire de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfants signée à New York le 26 janvier 1990 qui dispose la chose suivante : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale »
2. Les modalités de l’audition du mineur
-* Le mineur doit capable de discernement pour être entendu.
Le législateur n’a pas précisé ce qu’il entendait par « capacité de discernement ».
S’agit-il d’un âge objectif, d’une maturité subjective par rapport à telle ou telle situation donnée ? Peut-on cerner la capacité de discernement d’un enfant lorsqu’il n’a pas encore été auditionné ? Ce flou volontaire laisse au juge saisi le pouvoir d’apprécier souverainement la situation et d’entendre ou non l’enfant. Dans la pratique, l’enfant adresse une lettre directement au juge pour être entendu. Cela signifie qu’il doit au moins être en âge d’écrire et de formuler une demande. Le plus souvent, le juge rejettera une demande formulée par un tiers, ou même par les parents parties à la procédure.
-* L’enfant « peut » être entendu.
Cela signifie que si l’enfant ne fait pas de demande le juge appréciera souverainement, si son intérêt le commande, qu’il soit entendu. C’est encore le juge qui déterminera les meilleures modalités de cette audition : il décidera soit de l’entendre lui-même, ou s’il souhaite le faire entendre par un professionnel spécialisé, tel un psychologue. La vidéo soumise dans le jugement du 6 mars dernier ne permet aucunement au juge de choisir les meilleures modalités de son audition puisqu’elle lui est d’emblée imposée.
-* Cette audition est de droit.
Pour l’enfant « capable de discernement » bien entendu. Afin que l’enfant ait bien connaissance de ce droit, il est prévu que le juge s’assure de ce que le mineur a bien été informé de son droit d’être entendu et d’être assisté par un avocat. C’est pourquoi toute assignation ou convocation dans une procédure dans laquelle un enfant pourrait être susceptible d’être entendu doit contenir les dispositions de l’article 388-1 du Code civil.
-* L’enfant s’il le souhaite, peut être assisté de la personne de son choix ou d’un avocat.
Mais le juge pourra récuser cette personne choisie par l’enfant s’il considère que sa présence à ses côtés n’est pas conforme à son intérêt. C’est pourquoi les avocats choisis par les parents l’enfant sont généralement refusés par le juge qui désignera lui-même, via l’antenne des mineurs du barreau, un avocat d’enfants indépendant de toute relation avec les parents.
-* L’enfant peut être entendu dans « toute procédure » qui le concerne.
L’article 388-1 du Code civil évoque « toute procédure ». Ce pourra être une contestation de reconnaissance de paternité ou toute instance en matière de filiation, la fixation de la contribution à l’entretien et éducation de l’enfant, la fixation de résidence habituelle de l’enfant, les jugements en assistance éducative, ect.. Le Juge saisi appréciera donc souverainement si tel mineur est concerné dans telle procédure soit d’office soit sur la demande du mineur, étant précisé que le mineur lui-même n’est pas partie à la procédure. Les parties en revanche intéressées à l’audition du mineur pourront faire appel en cas de refus d’audition si le juge considère que le mineur en cause n’est pas concerné par la procédure.
Cette audition de l’enfant est souvent utilisée en matière familiale par le juge puisque l’article 373-2-11 du Code civil dispose que le juge lorsqu’il se prononce sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale peut prendre en considération les sentiments exprimés par l’enfant mineur. Il faudra donc bien qu’il ait entendu préalablement l’enfant. Cette prise en compte des sentiments exprimés par l’enfant mineur n’est qu’une faculté et le juge appréciera souverainement le récit de l’audition.
On rappellera en effet que le juge des affaires familiales doit « se prononcer en stricte considération de l’intérêt de l’enfant » en vertu de l’article 375-1 alinéa de du Code civil. Le juge devra donc apprécier les sentiments exprimés par l’enfant en considération de son intérêt exclusivement, de sa maturité et du conflit dans lequel il se trouve éventuellement pris.
Discussion en cours :
bonjour,
l’avocat choisi par l’enfant assiste t il à l’audition ?