Ce principe appelé « préjudices par ricochet » ou « préjudices en cascade », s’est vu appliquer au contentieux de la rupture brutale des relations commerciales prévu à l’article L 442-6 I 5e du Code de commerce, à partir de 2011 [2] : « un tiers peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la rupture brutale d’une relation commerciale dès lors que ce manquement lui a causé un préjudice »
Par un arrêt rendu le 27 février 2014, la Cour d’appel de Paris, disposant d’une compétence spécifique en matière de rupture des relations commerciales, est venue renforcer la possibilité pour le tiers victime, d’obtenir l’indemnisation des préjudices qu’il a subi.
En l’espèce, une relation commerciale était établie depuis 7 ans entre un éditeur de journaux et un imprimeur. L’éditeur a informé son partenaire commercial de l’arrêt immédiat, sans préavis, des commandes.
L’imprimeur ainsi que son sous traitant, ont agi devant le Tribunal de commerce de Lille Metropole, aux fins d’obtenir l’indemnisation des préjudices subis, ayant pour origine la rupture brutale des relations commerciales initiée par l’éditeur.
La juridiction de première instance a condamné l’auteur de la rupture (éditeur) à indemniser son partenaire commercial (l’imprimeur), mais a jugé à tort, irrecevables les demandes du sous traitant, aux motifs que n’étaient pas caractérisées l’existence de relations d’affaires entre l’auteur de la rupture et le sous traitant, ni même la connaissance par l’éditeur de l’existence de ce sous traitant.
La Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement sur ce point, en considérant que le sous traitant, dès lors qu’il a subi un préjudice, ayant pour origine la rupture brutale des relations commerciales, dispose d’un intérêt à agir et est fondé à obtenir l’indemnisation de son préjudice, sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence de relations d’affaires, ni même la connaissance par l’auteur de la rupture de l’existence d’un sous traitant.
Dès lors, le tiers en l’occurrence le sous traitant, inconnu de l’auteur de la rupture a obtenu l’indemnisation de son préjudice, sur la base des critères habituels retenus en la matière, à savoir : la durée et l’intensité des relations commerciales, le chiffre d’affaires généré par l’auteur de la rupture et le taux de marge brute de la victime.
Cette décision, s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle de protection des PME, face à des comportements abusifs, pouvant remettre en cause la viabilité économique de sociétés, victimes de ruptures brutales, ce qui apparait louable, particulièrement en période de crise économique.
Toutefois, en ouvrant le droit à indemnisation aux tiers victimes « par ricochet », même inconnus, la jurisprudence ne va-t-elle pas trop loin ?
Il est légitime de se poser cette question, dans la mesure où les dispositions contractuelles convenues entre les partenaires commerciaux, notamment s’agissant du respect d’un préavis en cas de rupture, ne lient pas les juges qui peuvent caractériser l’existence d’une rupture brutale de relations commerciales, alors même que le partenaire souhaitant mettre fin à la relation, a parfaitement respecté les dispositions contractuelles.
Cette tendance jurisprudentielle, crée une incertitude juridique quant à l’existence d’une rupture brutale, mais surtout quant aux conséquences économiques de celle-ci, puisque désormais tout tiers victime est fondé à obtenir l’indemnisation de son préjudice.
L’évolution jurisprudentielle en la matière, source d’incertitudes et de risques, ne doit pas être perçue comme un frein économique, mais il convient pour toute société quelque soit sa taille, d’être particulièrement vigilante et donc conseillée dans la gestion de ses contrats commerciaux, afin d’éviter un risque de contentieux et financier, dont les conséquences indemnitaires sont plus que jamais incertaines et peuvent s’avérer très lourdes.