Ce débat n’est pas nouveau puisque, l’article 266 de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avait instauré un barème dont les montants variaient en fonction notamment de la taille de l’entreprise. Le Conseil constitutionnel a jugé cette disposition contraire à la Constitution par décision DC n° 2015-715 du 5 août 2015. Tout en reconnaissant la constitutionnalité d’un principe de plafonds obligatoires de dommages et intérêts, destinés à poursuivre l’objectif d’intérêt général qu’est l’emploi, il a considéré que ce dispositif méconnaissait le principe d’égalité devant la loi, dans la mesure où le montant de l’indemnité allouée reposait sur un critère sans lien avec le préjudice subi, à savoir la taille de l’entreprise (loi 2015-990 loi du 6 Août 2015 dit loi Macron).
Le barème de dommages et intérêts forfaitaire applicable lors de la phase de conciliation a été créé, sous l’impulsion des partenaires sociaux, par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi et codifié aux articles L. 1235-1 et D. 1235-21 du Code du travail. L’objectif de ce barème, qui n’a qu’un caractère indicatif et ne lie pas le juge, est de favoriser les conciliations, dont le taux est très faible (moins de 10 % des litiges), plutôt que le jugement contentieux.
Cette disposition incitative à la conciliation étant très peu utilisée, ce barème d’indemnité forfaitaire conciliation a fait l’objet d’une augmentation de ses montants avec le décret du n° 2016-1582 du 23 novembre 2016 modifiant à la hausse ce barème indicatif avait été prévu par l’article 258 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (disposition codifiée à l’article L. 1235-1 du code du travail). Un référentiel indicatif a été fixé par le décret n° 2016-1581 du 23 novembre 2016. Les montants s’échelonnent, hors majoration, entre 1 et 21,5 mois de salaire selon l’ancienneté du salarié dans l’entreprise. Ils sont majorés si le salarié est âgé d’au moins 50 ans. En outre, si la situation du demandeur par rapport à l’emploi le justifie, tenant à sa situation personnelle et à son niveau de qualifications au regard de la situation du marché du travail au niveau local ou dans le secteur d’activité considéré, le juge peut tenir compte de cette situation. Ces montants, qui n’ont qu’un caractère indicatif, ne sont pas modulés selon la taille de l’entreprise. Il semble que ce barème indicatif est très peu utilisé.
L’état du droit applicable à ce jour avant la publication des ordonnances Macron en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est la suivant : en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le Code du travail prévoit que le montant des dommages et intérêts, que le juge peut allouer, est au minimum égal à un plancher de six mois de salaire, pour tout salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté dans une entreprise d’au moins 11 salariés (article L1235-3 du Code du travail).
En revanche, pour les salariés des entreprises de moins de 11 salariés, quelle que soit leur ancienneté, et pour les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté, il n’existe aucun encadrement ou montant minimal. Le juge fixe le montant des dommages et intérêts librement « en fonction du préjudice subi » (article L1235-5 du Code du travail).
L’article 3 du projet de loi d’habilitation du gouvernement à prendre des ordonnances en instance de promulgation et de publication dispose « de renforcer la prévisibilité et ainsi de sécuriser la relation de travail ou les effets de sa rupture pour les employeurs et pour les salariés mentionnés à l’article L. 2211-1 du Code du travail, en modifiant les dispositions relatives à la réparation financière des irrégularités de licenciement, d’une part, en fixant un référentiel obligatoire établi notamment en fonction de l’ancienneté, pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l’exclusion des licenciements entachés par une faute de l’employeur d’une exceptionnelle gravité, notamment par des actes de harcèlement ou de discrimination et, d’autre part, en supprimant en conséquence, le cas échéant, les dispositions relatives au référentiel indicatif mentionné à l’article L. 1235-1 du Code du travail et en modifiant les planchers et les plafonds des dommages et intérêts fixés par le même code pour sanctionner les autres irrégularités liées à la rupture du contrat de travail ; »
Le Conseil constitutionnel n’a pas censuré cette habilitation (décision du conseil Constitutionnel en date du 7 septembre 2017 (DC 2017-751).
Les nouvelles dispositions résultant du projet d’ordonnance numéro 3 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail sont les suivantes selon l’article 2 (sous réserve des modifications qu’il pourrait être apporter dans le texte publié au journal officiel et adopté en conseil des ministres le 22 septembre et publié au journal officiel le 25 septembre 2017 selon le calendrier prévisionnel) :
Le chapitre V du titre III du livre II de la première partie du Code du travail est ainsi modifié :
I- Les cinquième, sixième et septième alinéas de l’article L. 1235-1 sont supprimés.
II- Le second alinéa de l’article L. 1235-3 est remplacé par six alinéas ainsi rédigés :
« Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous. »
Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture.
« Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L.1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au présent article.
« En cas de licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les montants minimaux fixés ci-dessous sont applicables, par dérogation à ceux fixés au troisième alinéa :
L’article L. 1235-3-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 1235-3-1.- L’article L. 1235-3 n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est nul en application d’une disposition législative en vigueur ou qu’il est intervenu en violation d’une liberté fondamentale. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
« Les nullités mentionnées à l’alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d’une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues à l’article L. 1134-4 ou consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3 ou en matière de dénonciation de crimes et délits dans les conditions prévues à l’article L. 1232-3-3, ou de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre premier du titre premier du livre IV de la deuxième partie, ainsi que des protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L 1225-71 et L 1226-13. »
Il y a désormais un plancher et un plafond et il y a la suppression du minimum de 6 mois de salaires de dommages et intérêts en cas de deux années d’ancienneté et il y a aussi désormais un plancher pour les entreprises de moins de 11 salariés et l’indemnisation ne se fera plus en fonction du préjudice subi. Le plafond est fixé à 20 mois de salaires pour les salariés ayant plus de 30 ans d’ancienneté. L’objectif affiché par le Gouvernement de ce barème d’indemnité prud’homale en cas de condamnation d’un employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est de rendre plus prévisible le coût d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et « de réduire ainsi les freins à l’embauche ».
Toutefois, ce plafonnement des indemnités prud’homales n’est pas applicable en cas de licenciement nul en en application d’une disposition législative en vigueur ou qu’il est intervenu en violation d’une liberté fondamentale. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
« Les nullités mentionnées à l’alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d’une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues à l’article L. 1134-4 ou consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre hommes et femmes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3 ou en matière de dénonciation de crimes et délits dans les conditions prévues à l’article L. 1232-3-3, ou de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre premier du titre premier du livre IV de la deuxième partie, ainsi que des protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L 1225-71 et L 1226-13 ».
Pour les adversaires de ces ordonnances ce texte vise à réduire le coût d’un licenciement abusif et va favoriser les licenciements. Pour les partisans de ce barème d’indemnité prud’homale, cela va permettre une plus grande prévisibilité pour les employeurs des coûts des licenciements et limiter « les freins à l’embauche ».
Toutefois, certains s’interrogent sur le fait que ce barème obligatoire va inciter les salariés à solliciter la nullité de leur licenciement et ils estiment que ce barème d’indemnité prud’homale pourrait provoquer une plus grande insécurité juridique pour les entreprises avec une augmentation très importante des demandes en nullité de licenciement.
Par ailleurs, l’article 24b) de la charte des droits sociaux européens dispose « le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
De plus, l’article 10 de la convention de l’Organisation internationale du travail numéro 158 sur le licenciement en date du 22 juin 1982 dont la France est signataire dispose « si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »
Il est donc vraisemblable qu’il sera invoqué par un certain nombre de salariés devant les juridictions que le barème d’indemnité prud’homale serait contraire à la charte des droits sociaux européens et la convention de l’organisation internationale du travail numéro 158 relative au licenciement eu égard au fait qu’elle contreviendrait au principe de réparation intégrale du préjudice et d’écarter ce barème eu égard à l’interprétation de ces règles de droit international du travail. Un tel contentieux ne risque t-elle pas de provoquer une plus grande insécurité juridique pour les employeurs et pour les salariés ?
Ainsi, il ne faut pas avoir peur de ce barème d’indemnité prud’homale mais se préparer à un nouveaux contentieux qui pourrait être très abondant.
Discussion en cours :
Bravo Eric pour cet éclairage sur les nouveaux enjeux en contentieux prud’homal.
Gageons que les plaideurs avocats de salariés choisiront sans moins de scrupules de s’engager dans la voie du licenciement nul.