Village de la Justice : Quelles sont les raisons de votre engagement à faire évoluer le statut juridique des arbres ? Pourquoi un tel engagement ?
Benoît Hartenstein : « Cela fait maintenant plus de 20 ans que je suis notaire [1]. J’ai toujours été intéressé et attentif à la famille, à la transmission au sens large (connaissances, histoires, biens...) et que cela se fasse dans la paix. Nous ne sommes que de passage sur Terre, donc une transmission sereine et protectrice des biens et du vivant m’importe beaucoup.
Pourquoi cet engagement pour la protection des arbres ? C’est du bon sens. Les arbres sont partout autour de nous, ils font partie de notre environnement, de notre vie et sont sources de bienfaits pour notre quotidien et la biodiversité. En résumé, ils réalisent des bienfaits d’intérêt général.
Avec le temps, j’ai été amené à faire des rencontres, dont celles de scientifiques qui m’ont enseigné ces bienfaits et l’importance des arbres, et je me suis rendu compte que notre droit n’était pas à la hauteur des enjeux liés à la protection des arbres.
Comme je ne suis pas que notaire, il me fallait agir en tant que citoyen. Je suis donc sorti de mon espace professionnel pour me former auprès de scientifiques pour mieux comprendre le fonctionnement des arbres et leur rôle dans notre écosystème. Ces nouvelles connaissances acquises alliées à mon expertise juridique me permettent d’agir concrètement à la protection des arbres, notamment ceux situés sur des terrains privés lors de la vente ou de la transmission des biens immobiliers et terrains sur lesquels ils se trouvent ».
Comment en tant que professionnel du droit œuvrez-vous à cette évolution, avec quelles armes juridiques ? Avec quelle force humaine ?
« Le droit est un outil de protection fabuleux, mais comme déjà exprimé plus haut, il n’est pas encore suffisamment adapté à la protection du vivant autre que l’Homme, et cela est plus particulièrement vrai pour les arbres.
Voici quelques exemples des outils juridiques pouvant être utilisés pour protéger les arbres d’ores-et-déjà applicables : les Obligations Réelles Environnementales [2] les testaments, ou encore le fait de citer les arbres (et autres vivants) présents sur un terrain dans la clause de désignation d’un acte de transfert de propriété, avec engagement de les conserver [3].
Tout n’est qu’une question de volontés.
De nombreux juristes s’allient pour faire évoluer le droit, c’est ainsi que lors du 120e Congrès des Notaires de France de 2024 à Bordeaux, a été adoptée la proposition pour que figure dans le Code civil le principe que "les arbres soient reconnus comme des êtres vivants aux bienfaits d’intérêt général". C’est une avancée importante, dont le passage en texte de loi prendra du temps, mais elle est définitive [4].
Un autre exemple de l’usage du droit comme outil d’évolution, la QPC déposée devant le Conseil constitutionnel lui demandant de se prononcer sur l’article 673 du Code civil qui enfreint la Charte de l’environnement de valeur constitutionnelle en ce qu’il donne le droit de couper, sans prouver d’un préjudice, toute branche ou racine de l’arbre du propriétaire voisin, si elles se trouvent sur son terrain [5] ».
Vous donnez un cours sur la protection juridique de l’arbre en terrain privé auprès d’étudiants futurs notaires, comment accueillent-ils votre cours ? Faudrait-il le généraliser ?
« En effet, j’interviens depuis 2 ans à l’Université de Lorraine et depuis 1 au sein de l’Institut national des formations notariales (INFN) à Strasbourg et Nancy. Et bientôt à l’INFN à Montpellier.
Cette formation de 3 heures alliant droit et science, je la présente plutôt comme une sensibilisation à l’intégration et la préservation juridique des arbres en terrain privé.
Elle est bien accueillie par les étudiants qui sont sensibles à sa dimension multidisciplinaire. Également, ils apprécient que le droit soit vivant, agile et qu’il œuvre pour le Vivant.
Cette formation est essentielle et devrait être généralisée, car nous devons changer le regard qu’ont les juristes par le prisme du droit et qui fait souvent de l’arbre (et de la nature) un objet contraignant.
Mais, je suis confiant sur une évolution possible du droit en la matière face à l’intérêt que suscite cette formation et la prise de conscience sur ce sujet par ces jeunes qui ne sont pas encore totalement "formatés" par le Droit ».
Comment vos confrères accueillent-ils votre démarche et la possibilité pour eux de sensibiliser à leur tour leurs clients propriétaires sur la protection des arbres en terrains privés ?
« Dire que l’arbre apporte des bienfaits d’intérêt général, qu’il est utile à notre bon fonctionnement, qu’il participe à la biodiversité et donc qu’il doit être protéger, c’est du bon sens. Aussi, dès lors que l’objectif est louable, on ne peut pas ne pas agir, les confrères en ont conscience (comme on a pu le voir plus haut avec la proposition de modifier le Code civil lors du Congrès des Notaires). Ils sont donc interpellés positivement, mais l’évolution prendra du temps. Et les arbres nous enseignent la patience.
Les notaires sont des professionnels prudents qui suivent la règle et il existe de leur part une crainte de futurs contentieux, la matière n’étant pas encore règlementée.
Une telle évolution demande de sortir du droit pour acquérir de nouvelles connaissances, cela demande du temps et du courage.
Il faut oser innover et ce n’est pas toujours facile ».
Que pensez-vous de ce courant (porté par de nombreux juristes) qui souhaite faire de la Nature un sujet de Droit et non plus un simple objet du Droit ?
« Mon raisonnement et mon action s’inscrivent dans ce mouvement mondial. Pour expliquer cette démarche, je souhaite citer le Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres : "Les droits de l’Homme n’ont aucun sens si les écosystèmes desquels il dépend n’ont pas le droit légal d’exister". Reconnaître des droits à la Nature, ce n’est pas en retirer à l’Homme ; bien au contraire. Il n’y aura pas d’humanité en bonne santé sur une terre malade. Le Droit est le reflet d’une société, donc il peut évoluer vers moins d’anthropocentrisme en mettant l’Homme dans un tout et non pas au-dessus de tout.
Reconnaître des droits à la Nature, nous remettrait à notre juste place, dans notre intérêt.
Aujourd’hui, nous nous comportons encore comme maître et possesseur de la Nature, mais comble du paradoxe, cela se retourne contre nous.
Je terminerai par une citation d’Hubert Reeves, célèbre astrophysicien, qui nous a quitté : “Actuellement, l’Homme mène une guerre contre la Nature ; s’il gagne, il est perdu !”... »