Un changement de paradigme : la prison, la règle, l’aménagement de peine, l’exception.

Par Simon Takoudju, Avocat et Célia Doerr, Elève-avocate.

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Explorer : # aménagement de peine # surpopulation carcérale # réinsertion sociale # peines alternatives

Ce que vous allez lire ici :

En 2019, une loi a instauré un système individuel d'aménagement de peine, favorisant les alternatives à l'incarcération pour les courtes peines. Cependant, une nouvelle proposition de loi adoptée en 2025 vise à inverser ce principe, rendant possible l'imposition de peines fermes pour les courtes durées.
Description rédigée par l'IA du Village

Le 3 avril 2025, l’Assemblée Nationale a adopté à contresens des avancées législatives précédentes, un projet de loi visant à placer l’incarcération comme principe pour les courtes peines, au détriment de l’aménagement de peine ab initio qui deviendrait alors l’exception.

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En 2013, le jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive concluait dans son rapport final que « le consensus sur l’efficacité des mesures d’aménagement de peine doit emporter une orientation ferme en faveur de leur développement ».

C’est dans cet objectif que la loi du 23 mars 2019 a instauré un régime de l’aménagement de peine tourné vers l’individualisation de la peine :

  • Interdiction de prononcer une peine ferme pour les peines inférieures ou égales à 1 mois d’emprisonnement ;
  • Obligation d’aménager les peines d’emprisonnement entre 1 mois et 6 mois ;
  • Faculté d’aménager les peines entre 6 mois et 1 an d’emprisonnement.

Toutefois, si le tribunal l’estime nécessaire au vu de la personnalité ou de la situation du condamné, il peut tout de même décider de ne pas prononcer d’aménagement de peine, à condition que sa décision soit justifiée.

En effet, l’article 132-19 du Code pénal dispose que « Lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut prononcer une peine d’emprisonnement ferme ou assortie en partie ou en totalité du sursis pour une durée inférieure à celle qui est encourue. Elle ne peut toutefois prononcer une peine d’emprisonnement ferme d’une durée inférieure ou égale à un mois.
Toute peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate.
Dans ce cas, si la peine est inférieure ou égale à six mois, elle doit, sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné, faire l’objet d’une des mesures d’aménagement prévues à l’article 132-25. Dans les autres cas prévus au même article 132-25, elle doit également être aménagée si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle.
Le tribunal doit spécialement motiver sa décision, au regard des faits de l’espèce et de la personnalité de leur auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale conformément aux dispositions de l’article 464-2 du Code de procédure pénale ».

Cette loi a alors mis en place des peines alternatives à la détention qui permettent de conjuguer deux objectifs primordiaux, la répression et le reclassement de l’auteur.

C’est ainsi qu’en 2019, a été créée la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) qui est devenue une peine autonome.

Désormais, la majorité des aménagements sont prononcés directement à l’audience par le tribunal. Ainsi, avant 2019, seuls 8% des aménagements étaient prononcés ab initio contre 57% en 2023.

Depuis 2019 et jusqu’à aujourd’hui, le principe est donc l’aménagement des peines courtes et l’incarcération en est l’exception.

Pourtant et à l’heure où les centres pénitentiaires n’ont jamais été aussi surpeuplés, les députés qui siègent à l’Assemblée Nationale ont adoptés, le 3 avril 2025, un texte qui inverse cette règle [1].

Cette proposition de loi examinée dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Horizons supprime les principes d’interdiction de prononcer une peine d’emprisonnement ferme inférieure à 1 mois et d’aménagement obligatoire des peines inférieures ou égales à six mois de prison.

Cette proposition de loi fait donc du principe d’aménagement des peines courtes de prison ferme, une exception.

En effet, l’article 1er de la proposition de loi rétablit la possibilité pour le juge de prononcer des peines d’emprisonnement inférieures à un mois et abroge la quasi obligation d’aménager les peines de moins d’un an. Il prévoit également la possibilité pour le juge d’aménager, ab initio, une peine inférieure ou égale à deux ans d’emprisonnement, par décision spécialement motivée, et si le condamné présente des garanties de réinsertion fortes.

Si cette loi est définitivement adoptée, l’article 132-19 du Code pénal susmentionné, sera donc supprimé et modifié en partie.

Également, en matière d’aménagement de peine et depuis la loi du 20 Novembre 2023 (cf article : "La loi n°2023-1059 du 20 Novembre 2023 : un accroissement des pouvoirs du juge des libertés et de la détention->51319]), l’article 132-25 du Code pénal dispose que :

« Lorsque la juridiction de jugement prononce une peine inférieure ou égale à six mois d’emprisonnement, un emprisonnement partiellement assorti du sursis ou du sursis probatoire et lorsque la partie ferme de la peine est inférieure ou égale à six mois, ou lorsque la juridiction prononce une peine pour laquelle la durée de l’emprisonnement restant à exécuter à la suite d’une détention provisoire est inférieure ou égale à six mois, elle doit, sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné, ordonner que la peine sera exécutée en totalité sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur.
Si la peine prononcée ou la partie ferme de la peine prononcée est supérieure à six mois et inférieure ou égale à un an d’emprisonnement, elle doit décider, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, que la peine sera exécutée en tout ou partie sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur.
Dans les cas prévus aux deux premiers alinéas, la juridiction de jugement peut ordonner le placement ou le maintien en détention du condamné dans les conditions prévues aux articles 397-4 et 465-1 du Code de procédure pénale dès lors qu’elle assortit sa décision de l’exécution provisoire. Le juge de l’application des peines fixe les modalités d’exécution de la mesure dans un délai de cinq jours ouvrables, dans les conditions prévues à l’article 723-7-1 du même code ».

L’article 2 de ladite proposition a donc pour vocation de modifier cet article en encadrant par des conditions précises et, par conséquent, en réduisant les possibilités d’aménagements des courtes peines.

Il détaille en effet les conditions dans lesquelles le condamné pourrait bénéficier d’un tel aménagement.

Le condamné devra désormais justifier de l’exercice d’une activité professionnelle, de sa participation à la vie de sa famille, de la nécessité de suivre un traitement médical, ou encore de l’existence d’efforts sérieux de réadaptation sociale résultant de son implication durable dans tout autre projet caractérisé d’insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive.

Enfin, depuis la loi du 20 novembre 2023, l’article 464-2 du Code de procédure pénale dispose que :

« I.-Lorsque la durée totale de l’emprisonnement ferme prononcé, y compris en tenant compte le cas échéant de la révocation de sursis, est inférieure ou égale à un an, le tribunal correctionnel doit :
1° Soit ordonner que l’emprisonnement sera exécuté sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur, selon des modalités déterminées par le juge de l’application des peines ;
2° Soit, s’il ne dispose pas des éléments lui permettant de déterminer la mesure d’aménagement adaptée, ordonner que le condamné soit convoqué devant le juge de l’application des peines et le service pénitentiaire d’insertion et de probation conformément aux dispositions de l’article 474, afin que puisse être prononcé une mesure mentionnée au 1° du présent I conformément à l’article 723-15, sans préjudice de la possibilité pour le juge de l’application des peines de décider d’une libération conditionnelle ou d’une conversion, d’un fractionnement ou d’une suspension de la peine ;
3° Soit, si l’emprisonnement est d’au moins six mois, décerner un mandat de dépôt à effet différé, en ordonnant que le condamné soit convoqué dans un délai qui ne saurait excéder un mois devant le procureur de la République afin que ce dernier fixe la date à laquelle il sera incarcéré dans un établissement pénitentiaire ; le procureur de la République peut également donner connaissance au condamné de la date d’incarcération à l’issue de l’audience. Dans ce cas, il n’est pas fait application des articles 723-15 et suivants ».

Là encore, l’aménagement de peine est le principe s’agissant des peines inférieures ou égales à 1 an.

Toutefois, l’article 3 du projet de loi supprime l’article 464 2 du Code de procédure pénale qui imposait au juge de prononcer de tels aménagements de peine.

Pourtant, de nombreux élus ont attaqué l’inefficacité des courtes peines de prison jugées de « coûteuses et désocialisantes ».

En effet, outre les conséquences non négligeables en termes de surpopulation carcérale et de manque de personnel, les courtes peines d’emprisonnement désocialisent et, plus encore, désinsèrent.

La personne condamnée à une courte peine d’emprisonnement aura plus de difficultés à construire un projet cohérent et de qualité car les délais sont trop courts. Il n’a pas le temps d’entreprendre efficacement les démarches de réinsertion, ni encore de poursuivre des soins.

S’agissant des activités réalisées en prison, les offres sont inférieures aux demandes et les détenus condamnés à des quantums plus élevés sont prioritaires.

Ces derniers commentaires sont d’autant plus vrais et problématiques au regard de la surpopulation carcérale actuelle.

L’Observatoire International des Prisons affirme également que les aménagements de peines tels que le bracelet électronique, la semi-liberté ou encore la libération conditionnelle « visent à organiser une réintégration progressive dans la société en fin de peine ou à éviter l’effet désocialisant de la prison pour les personnes condamnées à des courtes peines d’incarcération ».

Si le projet de loi a été adopté par l’Assemblée nationale, celui-ci doit encore faire l’objet d’un examen au Sénat conformément à la procédure de « navette parlementaire ».

Affaire à suivre…

Simon Takoudju, Avocat
Célia Doerr, Élève-avocate
Barreau de Bordeaux
Canopia Avocats
mail : st chez canopia-avocats.com
site web : https://www.stakoudju-avocat.fr

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