Crise sanitaire : la communication des assureurs mise à mal par leur traitement juridique des sinistres.

Par Elodie Lachambre et Georges Sauveur, Avocats.

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Explorer : # assurance # crise sanitaire # indemnisation # communication

Défenses dilatoires,
Exceptions d’incompétence soulevées par les mutuelles qui interviennent in extremis aux côtés des compagnies,
Modification des clauses litigieuses par avenants imposés sous la menace d’une résiliation,
Règlement des indemnités en toute confidentialité dans les dossiers où la garantie n’est pas contestée,
Opacité sur l’impact financier des sinistres provisionnés …

Faut-il que le Ministre de l’Economie tape du poing sur la table pour qu’on ouvre enfin les yeux sur les incohérences flagrantes des discours simplistes et pas vraiment juridiques des assureurs ?

Article vérifié par les auteurs en janvier 2024.

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Les contentieux se multiplient depuis l’automne. Et la presse, comme les assurés, s’essouffle et se lasse.

Tout semblerait devenir acceptable, même une gestion paradoxale des sinistres par des assureurs… dont les actions contradictoires devraient interpeler plutôt que lasser.

Les assureurs communiquent. Et pas qu’un peu.

En façade, ils expliquent que le rôle de l’assureur consiste à accompagner ses clients quand ils traversent une tempête. Mais dès que leurs clients se trouvent dans la tempête, ces derniers passent derrière la façade et il leur est alors expliqué qu’ils ne seront aidés qu’à la condition qu’ils ne soient pas trop nombreux.

Selon les assureurs, quand un risque est généralisé, l’assurance ne sait pas faire, n’a pas vocation à savoir faire et leurs contrats le prévoiraient.

Leur discours est simple et séduisant. La simplicité peut être convaincante.

Mais elle procède d’un raccourci trompeur.

Il ne faut pas confondre la crise sanitaire et l’évènement garanti par le contrat : la crise affecte tout le monde, mais seuls certains assurés ont dans leur contrat une liste d’évènements garantis adéquate. Autrement dit, seuls certains assurés bénéficient d’une garantie financière susceptible d’être mobilisée à la suite des mesures d’urgence des autorités. Les assurés qui agissent aujourd’hui en justice restent une minorité, qui ne met pas à mal les grands principes de l’assurance.

Et surtout, au-delà des mots officiels trop simples, les actes des assureurs démontrent qu’ils ne sont pas eux-mêmes convaincus par leur discours.

Il suffit de comparer la communication de crise des grandes compagnies à leurs actions, pour relever des contradictions édifiantes.

Pourquoi marteler comme une évidence que les assureurs n’ont pas à indemniser, et dans le même temps :
1. Retarder l’issue des procès ?
2. Modifier en urgence la rédaction de tous les contrats par avenants supprimant toutes les clauses favorables invoquées en 2020, et ceci sous la menace de résilier l’assurance à l’échéance dans un contexte où certains métiers (restauration, évènementiel, etc) ne pourront raisonnablement plus s’assurer, et ne peuvent donc pas vraiment refuser ?
3. Indemniser de manière confidentielle [1] plusieurs dossiers sans permettre de savoir pourquoi certains assurés bénéficieraient d’un traitement plus favorable que d’autres ?
4. Prétendre que l’indemnisation, par exemple des restaurateurs dans les dossiers les plus médiatisés et pour lesquels plusieurs juges entrent en condamnation, mettrait à mal le monde des assurances, alors que les chiffres donnés aux actionnaires en cette fin d’année sont ceux de compagnies prospères nullement ébranlées ?
Finalement, on communique, mais on refuse la transparence, le débat, on change les règles du jeu et on fait durer, sinon le plaisir, du moins l’agonie.

Puissions-nous espérer que cette communication, que tous ne peuvent pas s’offrir, n’éclipsera pas les nombreuses incohérences des assureurs dans le traitement qu’ils réservent à leurs assurés, et surtout qu’elle ne préjudiciera pas à une pleine application du droit des assurances.

Puissions-nous espérer que la bataille de l’indemnisation des pertes d’exploitation ne se gagnera pas hors des prétoires [2].

1. Dernier acte en date, et premier à interpeler : depuis l’automne, une stratégie de défense dilatoire devant les juges.

Depuis quelques temps, certains assureurs soulèvent l’incompétence des juges qui jusqu’à présent s’étaient prononcés.

Pourquoi Axa fait-elle intervenir sa mutuelle, Axa Assurances Mutuelle Iard, aux côtés d’Axa France Iard ? Pour revendiquer la compétence exclusive du tribunal judiciaire.

Il est vrai que les tribunaux de commerce qui ont condamné cet assureur, ont récemment fait l’objet de vives critiques, pas toujours juridiques, encore moins modérées, et à lire la « volée de bois vert » stigmatisant une « faillite judiciaire », « un amoncellement d’énormités en seulement huit lignes », « un rare et authentique exemplaire de boussole qui indique le sud », bref, à lire ce plaidoyer pas très objectif contre les juges consulaires, l’on comprend que l’assureur Axa, tout comme M. le Professeur Kullmann, laissé « pantois, estomaqué, médusé ou abasourdi », préfère désormais fuir ces tribunaux plutôt que tenter de les convaincre de suivre ce modeste « nouveau petit guide-âne destiné à combattre l’ignorance de la langue française et la méconnaissance de principes juridiques élémentaires » [3].

Il s’agit donc d’instrumentaliser la présence de la mutuelle que personne ne connaît, pour faire renvoyer les dossiers du tribunal de commerce vers le tribunal judiciaire, malgré l’urgence, et y développer ensuite strictement la même défense.

Trois fois rien. Juste une manière de faire perdre trois mois au justiciable, sinon plus selon les juridictions. Et d’espérer aussi qu’un magistrat du tribunal judiciaire, juriste de formation, sera moins enclin à reconnaître aux clauses litigieuses le sens qu’un assuré, non professionnel du droit, pouvait logiquement leur donner au moment où il signait le contrat [4].

Quel fondement à une telle intervention, là où Axa France Iard restait jusqu’à présent et sans exprimer la moindre réserve, le seul interlocuteur des assurés ?

Certains contrats mentionnent une « coassurance » entre ces deux entités mais sans préciser la répartition entre chacune, ni l’organisation de cette prétendue coassurance. D’autres ne font même pas apparaître le terme « coassurance », mais simplement le nom de la mutuelle en fin de contrat.

L’évocation d’un partage de risques au sein d’un même groupe, sans en préciser la répartition exacte, semble répondre à un souci d’organisation interne, peut-être pour des raisons réglementaires (afin de gérer avec plus de flexibilité l’impact de la souscription de risques sur le calcul du ratio de solvabilité), peut-être pour des raisons fiscales, mais certainement pas à la volonté d’influer sur le fonctionnement du contrat d’assurance à l’égard de l’assuré.

Pourtant, certains juges finissent par renvoyer le dossier à d’autres juges… étaient-ils convaincus par la stratégie d’Axa ou seulement surchargés ? …

Une telle défense, qui tend à se multiplier, n’est pas très cohérente avec la certitude que cet assureur exprime dans les médias ou ses procès, selon laquelle aucune garantie ne serait mobilisable.

Pourquoi alors retarder des issues contentieuses qui, si elles devaient être avec tant d’évidence, défavorables aux assurés, mériteraient d’être rapidement diffusées pour dissuader d’autres assurés d’encombrer inutilement les juridictions ?

Cette stratégie de défense est peut-être en lien avec les chiffres catastrophiques des organisations professionnelles, qui annoncent que plusieurs exploitants mettront la clé sous la porte avant la fin de l’année (2 restaurants sur 3 selon le GNI [5]) ? A moins que …

Les assureurs ne fassent peser sur les finances publiques leurs propres obligations.
Au printemps dernier [6], les assureurs ont attendu que l’Etat verse les aides complémentaires promises, puis ont revendiqué qu’elles viennent réduire d’autant le montant des indemnités d’assurance qu’ils devaient. Se pourrait-il qu’il en soit de même aujourd’hui ? Etrange conception de la solidarité nationale.

En réalité, depuis l’origine, les assurés sont confrontés à une stratégie de gestion dilatoire de leurs dossiers qui a pour effet automatique de réduire les chances que prospère leur exploitation et donc de réduire le nombre de réclamations qu’ils pourront maintenir jusqu’à l’issue prévisible du procès.

Mais pour autant, les assureurs se prémunissent pour l’avenir.

2. Depuis la fin de l’été et l’audit minutieux de leurs contrats par les assureurs, une vaste campagne de modification des rédactions.

Une vaste opération de nettoyage des contrats est lancée depuis la fin de l’été.

Les assureurs imposent un avenant modificatif à chaque contrat litigieux sous la menace de résilier l’assurance à l’échéance et en laissant un délai très réduit aux assurés pour se prononcer, ceci pour sécuriser définitivement l’année 2021 de deux manières :
- Réduire à portion congrue la liste des évènements garantis d’une part, et
- Ajouter l’exclusion de toutes conséquences d’une épidémie ou crise sanitaire d’autre part.

Par contraste, ces nouveaux avenants mettent en évidence que les dispositions qui disparaissent :
- Soit pouvaient bien mobiliser la garantie perte d’exploitation,
- Soit n’étaient pas claires et devaient donner matière à interprétation, laquelle, compte tenu du fait que l’assureur est le correcteur de ce qu’il a mal rédigé, aurait dû se faire en faveur de l’assuré.

N’est-il pas contradictoire de revendiquer la clarté de ce qu’on se dépêche tout de même de clarifier ?

Axa s’est défendue en indiquant se conformer à une recommandation du gendarme du secteur de l’assurance [7].

Mais les recommandations de l’ACPR étaient nuancées [8].

Après avoir fait l’important constat que sur les 1,13 millions d’assurés au titre des contrats contenant une garantie « perte d’exploitation » transmis par les 20 assureurs interrogés, 2,6% disposaient d’une couverture certaine dans le contexte Covid-19, et 4,1% disposaient d’une couverture incertaine mais où tout juge lèverait le doute dans une matière où l’interprétation en faveur de l’assuré doit prévaloir, l’ACPR invitait les assureurs :
- D’une part à « vérifier la bonne adéquation du niveau de provisions relatives à ces contrats couvrant explicitement ou possiblement le risque de pandémie »,
- D’autre part à « revoir pour l’avenir la rédaction de toutes les clauses contractuelles ambiguës et préciser l’architecture générale des contrats afin d’informer clairement les assurés de l’étendue exacte de leurs garanties ».

Force est alors d’en déduire que les avenants proposés en fin d’année pour « se conformer à une recommandation du gendarme de l’assurance » concernent nécessairement les contrats dont les clauses contractuelles sont ambiguës et avaient conduit l’ACPR non seulement à relever une incertitude donnant matière à une interprétation en faveur de l’assuré, mais aussi à alerter les assureurs sur la nécessité de provisionner les risques liés.

3. Depuis le début de l’été et l’état des lieux de l’ACPR, une absence de lisibilité sur ce qui doit être indemnisé.

Reprenons les enseignements de l’état des lieux du 23 juin 2020.

Après la revue des contrats que les assureurs français ont bien voulu lui transmettre au printemps, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution ACPR relève que « près de 3% des assurés couverts par les contrats analysés peuvent prétendre à une indemnisation » et que « l’ACPR a également identifié des clauses contractuelles ne permettant pas de conclure avec certitude à une absence de garantie », situation qui « concerne environ 4% des assurés » étant ajouté que

« dans ces cas, seule une interprétation du juge serait de nature à lever toute incertitude si les assureurs concernés, en cas de doute, n’interprètent pas le contrat en faveur de l’assuré » [9].

Mais ce constat n’est pas aisément exploitable, faute de savoir quels contrats ont été transmis et quelles rédactions exactes ont été visées.

En tout état de cause, nous avons constaté que les assureurs avaient indemnisé certains assurés.

C’est bien la raison pour laquelle fin juin, Axa par exemple, esquissait de minuscules concessions, noyées dans une vague de flou, propres à une « petite minorité de contrats […] pas 100% claire dans leur formulation » [10]. L’euphémisme est travaillé, mais on comprend bien qu’il était devenu impossible de maintenir ne rien devoir quand l’ACPR disait aussi clairement le contraire.

Plus récemment, dans une interview diffusée le 13 novembre 2020, alors qu’il était interrogé sur la couverture des dommages des restaurateurs, le Directeur général délégué d’Axa France expliquait « la réponse ne peut pas être oui ou non, ça dépend du contrat », « l’assurance est incapable de faire face à un tel évènement mais lorsque notre contrat ne le dit pas clairement, bien sûr nous devons prendre notre responsabilité car dans ce cas-là le doute profite à l’assuré » [11].

Pourtant, les assureurs entretiennent une opacité totale sur les seules informations utiles qui permettraient d’avancer intelligemment : comment sont rédigés les contrats dans lesquels, alternativement :
- Les assurés peuvent prétendre à une indemnisation, ou
- Les assureurs assument la responsabilité d’une mauvaise rédaction.
Et quelles indemnités sont alors réglées ?

Par exemple, Axa dit indemniser, mais l’on ne sait toujours rien de ces indemnisations, et il est toujours perturbant que ce qu’on ne conteste pas devoir régler, soit soumis à une clause de confidentialité.

L’on en vient à suspecter un traitement discriminatoire des assurés. Pourquoi certains grands groupes semblent-ils avoir été indemnisés, là où les plus petits semblent laissés sur le bas-côté ?

L’on en vient aussi à craindre que les aides de l’Etat, dans les dossiers où les assurances ont bien vocation à indemniser, ne finissent par bénéficier avant tout aux assureurs, conduisant certains syndicats à exiger la création d’une commission d’enquête parlementaire afin de connaître la réalité des engagements pris et tenus par les assureurs [12].

Car malgré les effets d’annonce, les cachoteries se multiplient…

4. Depuis le printemps et le début de la crise sanitaire, c’est le règne de l’opacité concernant l’impact réel des sinistres sur l’équilibre des compagnies.

Très tôt, il a été avancé que compte tenu de l’enjeu économique de l’indemnisation des pertes d’exploitation dans le contexte pandémique, le monde de l’assurance ne pourrait pas s’en sortir, sa survie dépendant de la solidarité nationale.

Rien de très nouveau. Les assureurs avaient déjà inventé, par exemple, la « pseudo-bombe » du risque médical en 2002 - démentie depuis par les statistiques qu’enregistre l’Observatoire des risques médicaux - pour « récolter davantage de primes à l’avenir et laisser à la solidarité nationale la prise en charge du risque le plus lourd » [13].

En l’espèce, Axa s’est très rapidement justement positionnée en faveur de la création d’un nouveau régime d’assurance lié aux pandémies. Thomas Buberl expliquait que les assureurs « paieraient jusqu’à deux à trois fois le montant des primes, l’Etat prenant le relais au-delà » [14].

Mais cette posture pour l’avenir, qui du reste n’a plus rien à voir avec le droit des assurances et le principe indemnitaire, ne doit pas non plus faire oublier les chiffres du présent.

Axa laisse toujours entendre que la mobilisation de ses garanties sur tous les contrats aujourd’hui litigieux pourrait conduire à sa disparition, l’assurance n’étant pas en mesure de couvrir un évènement généralisé plutôt qu’individuel [15].

Il ne s’agit que d’affirmations.

A l’inverse, les règles de solvabilité imposent aux compagnies d’assurance de provisionner les risques d’indemnisation en temps réel.

Et c’est précisément ce que l’ACPR a fermement rappelé avec son état des lieux du 23 juin dernier, demandant fermement aux assureurs de « vérifier la bonne adéquation du niveau de provisions relatives [aux] contrats, couvrant explicitement ou possiblement le risque de pandémie ».

A fortiori en présence de nombreuses condamnations d’ores et déjà prononcées par plusieurs juridictions [16] AXA a donc impérativement chiffré son exposition et enregistré les provisions liées.

Manifestement, compte tenu des chiffres communiqués le 3 novembre 202017, l’impact reste limité et ne met absolument pas en péril la survie de cet assureur [17].

Et cela n’a rien à voir avec l’épargne que certains clients d’AXA voudraient bien lui confier, car cette activité ne concerne absolument pas AXA France IARD [18]

5. Depuis toujours, le perpétuel martellement de l’inassurabilité simplement déclinée sous toutes ses formes de la part de l’assureur le plus exposé.

Pourquoi la compagnie Axa fait-elle tant parler d’elle ?

Cet assureur n’est pas forcément plus intransigeant qu’un autre, mais il est en revanche le plus exposé : du fait tout à la fois de la nature des mesures d’urgence prises en France et de la rédaction des contrats avec une identification fine d’évènements garantis adaptés à certaines professions.

En premier lieu, Axa garantit les dommages immatériels non consécutifs, ce qui reste rare sur le marché français de l’assurance, et encore plus rare avec ses récents avenants.

Reprenons pour mieux comprendre.

Les contrats multirisques entreprise couvrent classiquement, d’un côté les dommages matériels aux biens assurés, et de l’autre la responsabilité civile. Dans ce cadre strict, les pertes financières ne sont garanties que si elles sont la conséquence d’un dommage matériel lui-même garanti par ailleurs. C’est le cas d’école de l’incendie qui détruit le bâtiment d’exploitation, conduisant à une perte d’exploitation pendant toute la durée de la reconstruction mais aussi les mois qui suivent jusqu’à retour à la normale.

Ce sont en majorité ces contrats [19] que l’ACPR visait comme insusceptibles de garantir les pertes liées à la crise sanitaire à 93%.

Mais il reste 7% d’assurés, pouvant prétendre certainement ou « possiblement » à une indemnisation, car leur contrat non seulement ne se limite pas à la couverture des dommages strictement matériels et à leurs seules conséquences, mais de surcroit énumère des évènements garantis caractérisés au regard des circonstances factuelles de la crise sanitaire.

Et justement, Axa, comme d’autres compagnies mais dans une moindre mesure, a proposé très tôt des contrats plus complets, couvrant plusieurs évènements identifiés qui suffisent à mobiliser la garantie des pertes d’exploitation même sans dommage matériel préalable aux biens assurés.

Il s’agissait d’ailleurs d’un très bon argument de vente au moment de la souscription : Axa jusqu’à présent offrait clairement dans ses contrats la garantie des dommages immatériels non consécutifs.

C’est bien la raison pour laquelle l’actualité donne tant d’exemples de recours contre Axa dans le contexte de la crise sanitaire.

Pour autant, Axa continue de marteler que l’assurance n’a pas vocation à couvrir les conséquences de la crise sanitaire, car le fait que cette crise affecte tout le monde ne permet pas aux grands principes de l’assurance, au premier chef desquels la mutualisation des risques, de fonctionner. C’est l’idée selon laquelle une majorité non sinistrée permet via ses cotisations l’indemnisation d’une minorité sinistrée.

Cette communication avait commencé dès le printemps avec plusieurs professionnels du réseau d’Axa. Ce qui avait d’ailleurs fait réagir avec talent un autre spécialiste de la matière qui n’hésitait pas à titrer fin mai 2020, « caractère inassurable du risque pandémique, une allégation fantaisiste d’Axa » [20], tout en introduisant son propos avec quelques mots d’une perspicacité redoutable :

« A peine les premières réclamations formulées par des entreprises pour leurs pertes d’exploitation, en pleine crise sanitaire, que d’importants assureurs ont tenté de créer la diversion. Avec un tapage médiatique qui véhicule la peur et inhibe la pensée, l’épouvantail du risque de faillite sériel des compagnies a été agité. On est loin d’une entrée en négociation sincère et loyale ».

Depuis lors, l’ACPR a clairement tranché. Il n’y a pas de principe général d’inassurabilité, puisque certains contrats contiennent bien une garantie mobilisable.

La reprise récente de cet argument par Guillaume BORIE n’est qu’une énième tentative de martellement d’une même idée fausse, bien que sa simplicité la rende séduisante. La variante lors de cette interview du 13 novembre, est seulement de tenter de trouver une logique dans ce qui en manque singulièrement, de prétendre que tout en garantissant les maladies contagieuses et les épidémies, l’exclusion dite des fermetures collectives [21] ne serait que l’expression de cette impossibilité de couvrir un risque qui touche tout le monde, donc de cette prétendue inassurabilité.

Cet argument n’est toujours pas convaincant. Pour aller au bout de la logique d’Axa, si la crise sanitaire impacte tous les assurés, en revanche, seul un petit nombre de contrats identifie des évènements garantis susceptibles d’être caractérisés dans le contexte de la crise, et donc susceptibles de mobiliser les garanties.

Ainsi, ce ne sont pas tous les assurés qui peuvent réclamer des indemnités, mais seulement ceux qui disposent de garanties mobilisables, lesquels restent en nombre restreint à en croire les statistiques de l’ACPR, mais aussi le discours d’Axa. Nous sommes donc loin du « caractère inassurable ».

En effet, Guillaume Borie admet expressément [22] que « la garantie fermeture administrative » n’était pas souscrite par « la très grande majorité des clients » car « c’est un risque lié à l’activité de restauration » donc en bénéficient seulement « un tout petit nombre de clients », à savoir 20 000 assurés sur les 4 000 000 d’assurés que compte Axa. Leur indemnisation est parfaitement compatible avec le fonctionnement des assurances.

Et à supposer qu’un plus grand nombre d’assurés prétende à une indemnisation, n’est-ce pas l’essence même de l’assurance que d’y répondre ?

Le 18 avril 1906, après un tremblement de terre, San Francisco s’embrasait [23]. Un tiers de la ville disparaissait dans les flammes. Cette catastrophe est restée marquante dans l’histoire de l’assurance. Elle a transformé les pratiques, clarifié les règles d’interprétation, permis de mieux distinguer les risques, conduit au développement de la réassurance…

Mais l’évènement a aussi forgé la réputation des grands assureurs, ceux qui étaient présents aux côtés de leurs assurés, qui ont indemnisé au plus vite pour permettre les reconstructions et qui ont pu, ensuite et durant des décennies, tirer les fruits de cette relance.

Finalement, la communication répétitive de nombre d’assureurs n’est plus l’expression des grands principes de l’assurance, mais une stratégie bien rodée de diversion pour optimisation.

Elle ne doit pas dérouter.

Toute la gestion des sinistres savamment orchestrée depuis le printemps, et notamment l’opacité dans l’indemnisation, le nettoyage des contrats pour l’avenir et la stratégie de défense dilatoire… sont en contradiction flagrante avec la simplicité pourtant séduisante des explications d’Axa dans la presse.

Pour résumer :
- Il n’y a pas d’inassurabilité des conséquences de la crise sanitaire,
- Les assurés dont les contrats listent des évènements garantis caractérisés par les mesures sanitaires restent en nombre limité, sans mettre le monde de l’assurance en danger,
- Il est stupéfiant de revendiquer la clarté de clauses qu’on s’empresse de corriger,
- Indemniser avec opacité est suspect faute de savoir pourquoi certains assurés seraient privilégiés et d’autre laissés de côté,
- Le traitement dilatoire d’un contentieux est une stratégie de défense utilisée par une partie qui sait qu’elle peut être condamnée,
- La fluctuation de la jurisprudence sur une même rédaction contractuelle démontre de facto, à en croire la diversité des avis plus éclairés de juges que l’assureur a tenté de persuader, que cette rédaction manquait forcément de clarté pour l’assuré, seul, au moment où il signait,
- Et même si cela reste indifférent d’un strict point de vue contractuel, Axa ne démontre pas que l’application de ses garanties dans ces derniers contrats la mettrait en péril.

A l’inverse, les assurés sont à l’évidence en péril au regard du traitement actuel de leurs dossiers par leur assureur.

Le passé l’a enseigné : si les assureurs refusent trop souvent de rembourser leurs clients, ils prennent le risque de voir disparaître leur marché [24].

On ne peut raisonnablement pas croire qu’il puisse s’agir aujourd’hui de l’effet recherché.

Elodie Lachambre et Georges Sauveur
Avocats
Cabinet Radier Associés
7, avenue Gourgaud 75017 PARIS
http://www.radier-associes.fr

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Notes de l'article:

[1Tandis que l’état des lieux de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) relève que 2,6% des assurés au titre des contrats qui lui ont été communiqués seraient garantis et 4,1% pourraient bénéficier d’une couverture alors que la rédaction soulève un doute et devrait donc être interprétée en faveur de l’assuré https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/20200623_communique_presse_pertes_exploitation.pdf. AXA affirme, comme pour respecter les statistiques de l’ACPR, que certains dossiers sont indemnisés sans qu’il soit possible d’en savoir plus.

[2En référence à un article cité ci-après sur le caractère fantaisiste de l’allégation d’inassurabilité, dans lequel en début de crise, l’auteur exprimait déjà une telle crainte.

[3Article publié dans la Revue générale du droit des assurances n°10 page 5 le 1er octobre 2020.

[4Rappelons en effet la particularité des tribunaux de commerce : les juges consulaires sont des commerçants ou des chefs d’entreprise élus par leurs pairs. Nombre parmi eux sont ceux qui ont un jour signé un contrat d’assurance pour leur entreprise et qui reconnaissent donc ce que, indépendamment des belles constructions juridiques proposées après sinistre, un assuré pouvait réellement comprendre en lisant son contrat au moment où il le signait.

[13C. Rodet et R. Bigot, « Les enjeux de la pandémie sur l’assurance », in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, 1re éd., Ellipses, 2020.

[15Interview précitée du 13 novembre 2020.

[16Que ce soit au fond (Tribunal de commerce d’Aix-en-Provence 30/11/2020 A la Bonne Franquette c. AXA, Tribunal de commerce de Marseille 5/10/2020 Le Phenix et 2 autres assurés c. AXA, Tribunal de commerce de Rennes 24/09/2020 Racines restaurant c. AXA, Tribunal de commerce de Paris 17/09/2020 Biscotte et 4 autres assurés c. AXA, Tribunal de commerce de Tarascon 24/08/2020 Alpilles Events c. AXA) voire même dès le référé (Tribunal de commerce de Paris dans trois décisions du 17/11/2020 RG 2020-38068, 2020-38071, 2020-38073, Tribunal de commerce de Marseille dans deux décisions du 13/10/2020 RG 2020R00244 et RG 2020R00237 et une décision du 23/07/2020 Zen Prado c. AXA, après un moment d’hésitation en renvoyant au fond dans une décision du 24/09/2020 L’Entrecôte Canebière c. AXA). Attention toutefois, la voie des référés reste plus risquée, car certains juges estiment parfois que les débats relèvent exclusivement du fond. Ainsi, le Tribunal de commerce de Paris dans une surprenante décision du 18/11/2020 RG 2020- 41130 a estimé que la question de savoir si les notions de fermeture administrative et d’interdiction d’accueillir du public sont identiques, n’entrait pas dans les pouvoirs du juge des référés. En outre, la Cour d’appel d’Aix dans un arrêt du 3/12/2020, vient d’infirmer l’ordonnance précitée du 23/07/2020 pour le restaurant Zen Prado, estimant successivement que (1) la question de savoir si une épidémie peut ou non entraîner la fermeture d’un seul établissement dans un département ou si elle a pour conséquence nécessaire d’en entraîner plusieurs, ne relève pas de l’évidence et donc des pouvoirs du juge des référés, (2) en conséquence l’inopposabilité de la clause au regard de l’article L. 113-1 du Code des assurances ne relève pas non plus de l’évidence, et (3) l’invocation de cette clause d’exclusion par l’assureur constitue alors une contestation sérieuse empêchant le versement d’une provision.
Prenons néanmoins garde aux raccourcis qu’AXA privilégie dans sa communication https://axalive.fr/article/axa-pertes- exploitation-decision-cour-appel : la Cour d’appel d’Aix n’a pas validé l’analyse de cette clause litigieuse par l’assureur, mais simplement estimé que c’était au juge du fond et non au juge des référés de se prononcer sur cette question et donc de déterminer si le contrat devait recevoir application et si des indemnités d’assurance devaient être versées.

[18Argument développé lors de l’interview du 13 novembre 2020.

[19Attention, « notamment » mais pas exclusivement puisque l’ACPR incluait aussi dans ces 93%, les contrats contenant une « exclusion explicite des effets de la pandémie ». Difficile de savoir avec certitude à quelles stipulations précises l’ACPR se réfère, mais notons tout de même que certains contrats excluaient bien expressément au printemps toutes les pertes consécutives à une épidémie ou à une pandémie, et c’est bien cette exclusion que l’on retrouve ainsi rédigée sans ambiguïté dans les nouveaux avenants pour l’année 2021.

[21Sens d’ailleurs qui est celui trouvé par Axa à une exclusion qui ne traite même pas de fermeture collective mais exclut seulement « les pertes d’exploitation lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative pour une cause identique ». Notons que dans d’autres contrats, Axa a expressément exclu soit « la fermeture collective », soit « la fermeture consécutive à une fermeture collective ». Parler ainsi de l’exclusion des fermetures collectives de manière aussi vague ne correspond donc ni à la rédaction du contrat, ni manifestement à l’intention du rédacteur qui, chez Axa, sait parfaitement utiliser des termes précis quand il souhaite exprimer une idée précise.

[24Voir article précité sur l’incendie de San Francisco.

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Discussions en cours :

  • par Philippe Bazin , Le 18 décembre 2020 à 16:41

    Il est réconfortant de voir un cabinet d’avocats démonter (une argumentation) et démontrer (un déni contractuel) de manière rigoureuse, efficace, et ... documentée.
    Bravo, mille fois bravo et merci.
    Philippe Bazin, Avocat

  • Dernière réponse : 15 décembre 2020 à 12:11
    par D’Agrosa Claude René , Le 8 décembre 2020 à 20:49

    Bravo tout est dit et de fort belle manière.
    Les assureurs sont avant tout des financiers
    et ils réagissent en tant que tels
    J’ai travaillé dans une grande compagnie d’assurance - la plus grande- et j’ai toujours
    constaté que le règlement de l’indemnité sinistre
    ne se faisait pas sur l’évaluation de l’entier dommage mais plutôt sur le montant minimum. Pouvant donner satisfaction au client et tant pis pour la moralité, très souvent absente du monde de la finance.

    • par JEAN PIERRE RAY , Le 9 décembre 2020 à 18:50

      Je vous remercie pour la qualité remarquable de votre article.
      Restaurateur et ancien directeur d’hôpital, l’approche droit de la santé publique, permet de porter un éclairage particulier, sur le litige.
      Pour les jugements rendus, la décision est favorable/défavorable au restaurateur, sur la base d’arguments identiques.
      Axa a eu l’habileté de centrer le débat, sur l’étendue assurable d’une épidémie, en affirmant que sa garantie ne serait mobilisable, qu’au cas, d’une épidémie cantonnée, à un seul établissement, sans pouvoir, et pour cause, apporter le moindre exemple de fermeture individuelle indemnisable.
      Les parties admettent cependant, que l’objet de la garantie est l’indemnisation des pertes d’exploitation, pour fermeture administrative... liée à une épidémie.
      Le Droit public distingue deux sortes de fermeture :
      - La fermeture administrative collective prévue aux articles L 3131-1 du Code de la santé publique (menace d’épidémie) et 3131-12 à 3131-20 (lutte contre l’épidémie avérée)
      C’est aux visas de cet arsenal juridique que l’ensemble des mesures contraignantes, collectives et individuelles, ont été prises pour lutter contre l’épidémie.
      - La fermeture administrative individuelle.
      De fréquence relativement importante (700/800 restaurants par an), elle est prise par le Préfet , au visa de l’article L 3332-15 du CSP, pour prévenir, la continuation ou le retour, de manquements graves aux obligations professionnelles.
      S’agissant d’une atteinte sévère à la liberté d’entreprendre, la mesure de fermeture, précédée d’un avertissement, doit être proportionnée à la gravité des manquements constatés par les services de controles, et ceci, dans le respect du contadictoire.
      On ne peut que déplorer la mauvaise foi absolue d’axa qui refuse d’indemniser pour fermeture collective prévue par les textes précités, alors que la fermeture individuelle pour épidémie, est un non sens, au plan juridique.
      Manquements graves à une obligation de résultat qui dispenserait de surcroit, l’assureur de la mobilisation de sa garantie, pour faute intentionnelle de l’assuré. Le contrat Satec (affaire Manigold) avait opportunément prévu, au profit des intêrets de l’assureur "La garantie est exclue lorsque la fermeture est la conséquence d’une violation volontaire de la réglementation"
      Or la fermeture administrative d’un débit de boisson ou d’un restaurant, est toujours la conséquence d’un double manquement : la violation de la réglementation, puis le refus ou l’insuffisance de mise en conformité de l’établissement, conformément aux prescriptions ordonnées par l’ Administration.
      Si vous partagez mon analyse, je vous remercie de bien vouloir en assurer la diffusion, pour renforcer la défense de mes confrères restaurateurs.

    • par Jean Valjean , Le 15 décembre 2020 à 12:11

      Encore un article à charge contre les assureurs : on tire des généralités de la stratégie judiciaire d’un seul assureur et d’une seule police.
      on critique le moyen d’incompétence soulevé, qui serait dilatoire : certes, mais outre qu’il est prévu par les textes, il n’est pas plus dilatoire que n’importe quel autre moyen de même nature opposé dans d’autres procédures.
      Faudrait-il imposer aux assureurs (conseillés par des avocats) de renoncer à ce type de moyen ? A quel titre ? on fait du droit, pas de la morale.

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