Conciliation prud’homale = médiation ?

Par Francine Summa, Avocate.

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Explorer : # médiation # conciliation # justice prud'homale # contrat de travail

Saisie par la Cour d’Appel de Colmar (Arrêt du 22 février 2022 n°21/02253) d’une demande d’avis sur la recevabilité d’une demande formée devant le Conseil de Prud’hommes sans que la procédure de médiation ait été mise en œuvre, la Chambre Sociale a été d’avis que la demande était recevable en raison de la procédure de conciliation préliminaire obligatoire.
Cet avis est critiquable à plusieurs points de vue (1) et surtout contraire aux intérêts des salariés (2).

-

1- Posture contestable de la chambre sociale : médiation = conciliation.

L’avis du 14 juin 2022 reprend la position de la Chambre sociale dans un Arrêt du 5 décembre 2012 (n° 11-20004).

La motivation de cet Arrêt montre que la Cour interprète la clause de médiation préalable comme une restriction à l’accès à la juridiction prud’homale :

« Alors que la compétence de la juridiction prud’homale pour connaître des litiges s’élevant, à l’occasion de tout contrat de travail, entre employeur et salarié est exclusive et d’ordre public ; qu’est par conséquent nulle toute clause ayant pour effet d’empêcher ou de restreindre l’accès à la juridiction prud’homale ; qu’il y va ainsi de la clause subordonnant la saisine du conseil de prud’hommes à une conciliation préalable obligatoire ».

La Cour de Cassation fait un mélange des genres dans cette motivation, en prenant le terme conciliation au lieu du terme médiation, deux concepts et deux modes de procédés totalement différents, tant dans la mise en œuvre que dans l’esprit qu’est l’audience de conciliation prud’homale.

La médiation n’a jamais été restrictive de droit à l’accès à la justice, elle est une voie de droit en tant que telle, expressément prévue dans le code de procédure civile. Elle est un autre mode de règlement d’un litige mais elle a toute sa place dans l’accès à la Justice. Elle est plus que le droit stricto sensu par la possibilité pour les parties de trouver par elles-mêmes une solution juste, consensuelle qui ira peut-être au-delà ou en deçà d’une règle de droit mais sera juste car conforme à l’idéal des parties en fonction de leur situation personnelle.

Les exemples sont nombreux :
- indemniser un client pour la dégradation d’un bien ou une prestation bien exécutée mais refusée par lui alors qu’il n’y a rien à reprocher ou qu’il n’y a pas de garantie,
- accepter de payer plus ou moins que le montant du barème de la pension alimentaire pour compenser les frais de trajet non déductibles fiscalement,
- payer une prime sur les bénéfices à un salarié non due en raison de son absence dans l’entreprise au moment de son échéance.

Toutes ces situations hors normes juridiques mais néanmoins justes relèvent de la médiation et bien entendu les situations entrant dans un cadre juridique.

L’échange des parties, émotionnel, est la grande différence avec la justice institutionnelle.

Échange fait dans un cadre confidentiel avec l’aide du médiateur, gardien de la liberté de chaque partie de s’exprimer dans le respect des règles de bonne conduite expliquées dès la première réunion. Cet espace de parole est l’essence de la médiation. Parole vengeresse mais aussi parole constructive et parole apaisée. Ce travail plus ou moins long sera fait avec le médiateur qui accompagne, qui relie, qui défait les nœuds, expression reprise à la liturgie catholique.

La Justice comme Janus a deux têtes : la guerre et la paix.

La conciliation prud’homale n’est pas une audience conciliante, certes, elle peut constater un accord mais surtout elle juge le litige et ordonne tout ce qui est dans sa compétence - quelquefois plus :
- salaires, congés payés, primes,
- remise des documents sociaux,
- restitutions,
- mesures d’instructions ;

Cette première audience n’a rien d’une audience devant un conciliateur et les parties ne viennent pas dans un esprit d’ouverture.

La conciliation n’a donc rien de commun avec la médiation et c’est très bien ainsi. Il ne faut pas mélanger les genres.

Un juge reste un juge, un médiateur reste un médiateur.

2- Le non-respect du contrat de travail instauré par la Chambre Sociale.

Les parties ont signé le contrat de travail qui prévoit une médiation préliminaire en cas de litige. Il est donc légitime de se conformer au processus prévu dans le contrat de travail.

Une autre contradiction au regard de la jurisprudence de la Cour sur la garantie de fond des procédures de consultation internes à la société employeur avant toute décision de sanction ou de procédure de licenciement.

Les conventions collectives du personnel des banques, des sociétés d’assurances prévoient ces instances.

Dans un Arrêt du 13 juillet 2017 [1], la Cour a jugé que

« le défaut de réunion du conseil de discipline doté d’un rôle consultatif sur la mesure disciplinaire envisagée par l’employeur, constituait pour le salarié, une garantie de fond, et que le licenciement prononcé sans que le salarié ait été avisé qu’il pouvait saisir cet organisme, ne peut avoir de cause réelle et sérieuse ».

L’employeur est tenu d’informer le salarié sur son droit à saisir l’instance prévue par la convention collective. L’employeur est tenu de le faire mais non tenu de suivre son avis.

Ces processus ont été négociés par les syndicats et sont des victoires pour les salariés.

Qui songerait à considérer ces organes internes à la société comme étant des obstacles à l’accès au droit ?

3- La Loi : L’obligation préalable de médiation avant toute procédure.

La médiation a pris une place prépondérante dans la réforme de la procédure y compris dans la procédure prud’homale et aussi devant la Cour de Cassation où la médiation est possible même devant la juridiction suprême [2].

Francine Summa, Avocate
Médiatrice familiale.

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Notes de l'article:

[1Cass Soc 13 juillet 2017 n°15-29274.

[2Décret n°2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation.

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