Un contrat conclu directement par une société en cours de formation, sans qu’il ne soit fait mention que celui-ci est pris au nom et pour le compte de celle-ci, est frappé d’une nullité absolue. Qui plus est, cette nullité ne peut être couverte par un avenant qui n’emporte pas novation. C’est ce qu’est venue rappeler la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 19 janvier 2022 (n°20-13.719).
Il ne s’agit pas d’une nouveauté, cependant cette décision rappelle avec précisions les principes en la matière et les dangers concernant les relations contractuelles d’une société ne disposant pas encore de la personnalité morale.
En effet, selon les dispositions de l’article 1842 du Code civil, les sociétés ne jouissent de cette personnalité morale qu’à compter de leur immatriculation.
Ainsi, une société dite « en cours de formation », outre le fait de ne pas bénéficier du statut de personne morale, ne dispose d’aucune existence juridique. Elle n’est donc pas mise en mesure de contracter valablement et il ne sera pas possible pour son cocontractant de se prévaloir de l’acte.
Pourtant, il est très souvent nécessaire de conclure divers contrats pour préparer la création d’une société (bail commercial, prêt, ouverture d’un compte bancaire).
Pour ce faire, l’état des actes accomplis pour le compte de la société en formation devra être présenté aux associés avant la signature des statuts et préciser les engagements pris pour la société. Il sera par la suite annexé aux statuts.
En outre, les associés peuvent, dans les statuts ou par acte séparé, donner mandat à l’un ou plusieurs d’entre eux, ou au gérant non associé désigné, de prendre des engagements pour le compte de la société.
Mais dans ces cas, l’acte n’est pas passé par la société, qui n’en a pas la capacité, mais par un représentant agissant pour son compte.
Il convient donc d’être très précis dans les mentions du contrat. A ce sujet, la Cour de cassation avait déjà jugé que la mention « en cours d’immatriculation » importait peu pour déduire que le contrat avait été conclu pour le compte de la société en formation [1].
De plus, à défaut de reprise, ce sont ceux qui ont agi au nom de la société en formation qui seront tenus des obligations nées du contrat ainsi signé.
En effet, selon l’article 1843 du Code civil,
« Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas ».
Par conséquent, il est primordial que le signataire indique agir « au nom et pour le compte de la société » en respectant un formalisme bien précis. L’acte peut préciser par exemple que :
« Monsieur/Madame X agit au nom et pour le compte de la société Y, au capital de…, dont le siège social est situé…, actuellement en cours d’immatriculation auprès du RCS de…, et dont il/elle est le futur gérant ou président ».
Sans ce formalisme, l’acte sera considéré comme ayant été conclu par la société elle-même, alors que cette dernière ne dispose pas encore de la personnalité morale lui permettant de contracter et sera frappé d’une nullité absolue.
Le caractère absolu de cette nullité emporte deux conséquences. La première est que cette nullité pourra être invoquée par tout intéressé, notamment par le cocontractant qui souhaiterait se retirer brusquement. La seconde est que les actes nuls ne sont pas susceptibles de confirmation ou de ratification et leur irrégularité ne pourra être couverte par des actes d’exécution intervenus après l’immatriculation de la société.
A contrario, si toutes ces formalités ci-avant rappelées sont respectées, alors la société régulièrement immatriculée aura la faculté de reprendre l’acte. En effet, l’article 1843 du Code civil prévoit précisément que « La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci ».
Effectivement, une fois l’état des actes accomplis annexé aux statuts, la signature de ces derniers emportera reprise des engagements par la société, lorsque celle-ci aura été immatriculée.
Et concernant le mandat de prendre des engagements pour le compte de la société, si ceux-ci sont déterminés et que les modalités en soient précisées par le mandat, alors l’immatriculation de la société emportera reprise de ces engagements par ladite société [2].
Toutefois, s’il est décidé de passer par voie d’avenant il faudra également prêter attention au formalisme de ce dernier. En effet, dans l’arrêt du 19 janvier 2022, la Cour avait jugé l’avenant au contrat inopérant, bien qu’il eût été signé au nom de la société après son immatriculation, mais ne précisait pas qu’il emportait novation.
Pour rappel, l’article 1329 du Code civil dispose que la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée. Elle peut avoir lieu par substitution d’obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier.
Il est donc nécessaire que l’avenant constitue un nouveau contrat réalisant une réfection du contrat initial.
Pour conclure, les sociétés en formation souhaitant entamer des relations contractuelles avant leur immatriculation, doivent prendre une double précaution.
Veiller à ce que le contrat initial fasse bien mention qu’il est pris au nom et pour le compte de cette dernière et non par elle directement. Puis, lors de la reprise du contrat, veiller que l’avenant emporte bien novation du contrat initial en substituant aux obligations anciennes, de nouvelles obligations créées à cet effet.
A défaut, la société s’expose à ce que l’acte soit frappé de nullité absolue est réputé n’avoir jamais existé.
La vigilance s’impose donc pour les praticiens !