La Cour de justice se prononce dans l'affaire des AdWords - Analyse de Marianne Schaffner, Avocate Associée, Linklaters Paris

La Cour de justice se prononce dans l’affaire des AdWords - Analyse de Marianne Schaffner, Avocate Associée, Linklaters Paris

Rédaction du village

2543 lectures 1re Parution: Modifié: 4  /5

Explorer : # contrefaçon de marque # publicité en ligne # responsabilité des annonceurs # référencement payant

(Arrêt de la Cour du 23 mars 2010, affaires jointes C-236/08 à C-238/08)

-

La Cour de justice vient de se prononcer en faveur de Google dans l’affaire des « AdWords » en considérant que ce service ne constitue pas en soi un acte de contrefaçon de marque. La Cour s’est ainsi alignée sur l’opinion de l’Avocat Général rendue le 22 septembre dernier. Cette décision établit le principe selon lequel le référencement de mots clefs, par une société exploitant un moteur de recherche, ne fait pas partie des actes que le titulaire d’une marque peut interdire. En revanche, Google devra à tout le moins agir promptement dès qu’il aura connaissance que des publicités contrefont les marques de tiers.

Les annonceurs sont, quant à eux, responsables pour contrefaçon de marque en achetant les marques des tiers à titre de mots clefs si une confusion sur l’origine des produits est susceptible d’en résulter pour l’internaute.

Les faits

Google a été poursuivi en contrefaçon par trois titulaires de marques, dont Louis Vuitton, pour avoir permis à des tiers d’utiliser leurs marques comme mots clefs de référencement grâce à son système de publicité AdWords. La Cour de cassation a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles portant sur le point de savoir si l’usage fait par Google, dans le cadre de ce système de publicité, de mots clefs correspondant à des marques, était constitutif d’une atteinte à ces marques. En d’autres termes, la juridiction suprême française demandait à la Cour si Google pouvait être regardé comme contrefacteur à raison de cet usage. Á titre subsidiaire, la Cour de cassation interrogeait la juridiction européenne sur le point de savoir si la responsabilité de l’annonceur pouvait être retenue et si Google pouvait bénéficier du régime d’exonération de responsabilité prévu à l’article 14 de la Directive No 2000/31/CE du 8 juin 2000, dite « Directive Commerce Électronique ».

Le système AdWords permet à toute personne de réserver auprès d’un moteur de recherche (ici Google) un espace publicitaire qui s’affichera soit parmi les résultats des recherches effectuées par les internautes, soit en marge de ceux-ci, sous forme de lien promotionnel rémunéré renvoyant directement à son site. L’annonceur choisit un mot clef qui, une fois entré sur le moteur de recherche, engendrera automatiquement l’apparition d’un lien au profit et vers le site de l’annonceur.

La solution

Sur Google

La Cour de justice a considéré que Google n’est pas contrefacteur ; cette solution a pour toile de fond une grande disparité jurisprudentielle française, les tribunaux étant en effet partagés sur la question de la légalité des systèmes de publicité type AdWords. Certaines décisions ont retenu la responsabilité des sociétés exploitant ces systèmes sur le fondement de la contrefaçon, pour avoir permis à des annonceurs de réserver des marques appartenant à un tiers, en vue de promouvoir soit des produits concurrents, soit des produits contrefaisants . D’autres décisions, au contraire, ont refusé de considérer ces opérateurs comme des contrefacteurs et ont recherché leur responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code civil .

La Cour a tranché en faveur de Google, en estimant qu’en vendant ses mots clefs, le prestataire ne fait pas d’ « usage » de la marque dans la vie des affaires, même s’il perçoit une rémunération au titre de ses services. Cette simple considération est suffisante pour écarter la responsabilité du prestataire du service de référencement au titre de la contrefaçon.

Toutefois la Cour n’a pas tranché catégoriquement la question de savoir si Google pouvait bénéficier d’une exonération totale de responsabilité au titre de sa qualité d’hébergeur, telle que prévue par la Directive Commerce Électronique. Alors que l’Avocat Général excluait purement et simplement la possibilité pour Google d’être considéré comme un hébergeur, la Cour de justice adopte une position plus modérée. La Cour estime en effet que le régime favorable de l’hébergeur ne peut s’appliquer que si le prestataire n’a joué aucun rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données qu’il stocke. Ainsi considère-t-elle comme critère pertinent le rôle joué par Google dans la rédaction du message commercial accompagnant le lien promotionnel ou encore dans l’établissement ou la sélection des mots clefs. Cependant, la Cour ne s’est pas prononcée sur la nature de ces comportements en l’espèce et renvoie ainsi la question à la compétence des juridictions nationales.

Sur les annonceurs

Par ailleurs, nous ne pouvons qu’approuver la décision de la Cour en ce qui concerne la responsabilité des annonceurs au titre de la contrefaçon. La Cour de justice a considéré que les annonceurs engageaient leur responsabilité au titre de la contrefaçon en réservant à titre de mots clefs des marques appartenant à un tiers. En effet, selon la Cour, les annonceurs agissent non pas en tant que consommateurs des produits Google, c’est-à-dire dans un cadre privé – comme l’avait retenu l’Avocat Général, mais bien dans le cadre de leurs activités commerciales. Il est ainsi indéniable qu’ils utilisent la marque d’autrui dans la « vie des affaires ».

La Cour a par ailleurs considéré que l’usage de la marque en tant que mot clef était bien constitué pour des produits et services identiques à ceux pour lesquels les marques sont enregistrées, soit parce que les annonceurs cherchent à présenter leurs produits et services comme une alternative par rapport à ceux des titulaires de la marque, soit parce qu’ils cherchent à induire le consommateur en erreur en leur faisant croire que leurs produits proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise qui lui est économiquement liée.

Enfin, la Cour a considéré que l’usage des marques fait par les annonceurs portait atteinte à la fonction essentielle de garantie d’origine de la marque, soit parce qu’ils ont laissé croire à l’existence d’un lien économique avec le titulaire, soit parce qu’ils ont fourni une indication vague concernant l’origine des produits et des services. Il est intéressant de noter que la Cour s’est aussi interrogée sur une atteinte éventuelle à la fonction de publicité de la marque, critère qu’elle avait dégagé dans un arrêt L’Oréal . Même si elle a considéré que l’atteinte n’était pas caractérisée – les titulaires de marque restant parfaitement et prioritairement visibles sur les pages de résultats de recherches des internautes, il n’en demeure pas moins que cette fonction apparaît comme une fonction complémentaire à celle de garantie d’origine, qui constituerait une circonstance aggravante des faits de contrefaçon.

Conclusion

La Cour a donc pris parti en faveur des prestataires proposant des systèmes de publicité payants. En décidant que l’usage par la société prestataire de marques à titre de mots clefs de référencement ne constituait pas un usage de marque prohibé, elle a clairement manifesté sa volonté de favoriser l’usage des marques dans le contexte du cyberespace.

Cette décision n’est pourtant pas sans conséquence pour les titulaires de marques qui devront rechercher la responsabilité du moteur de recherche sur le terrain de la responsabilité de droit commun.
Cependant, il est à craindre des divergences jurisprudentielles au sein de l’Union Européenne dans la mesure où il appartiendra aux juridictions nationales de définir le statut de Google pour déterminer le régime de la responsabilité qui lui sera applicable. L’harmonisation est loin d’être obtenue par cette décision de la Cour de justice. L’on songera encore au statut d’éditeur conféré à Tiscali par la Cour de cassation dans son récent arrêt du 14 janvier 2010, lequel fait couler beaucoup d’encre.

Mais surtout, si l’on peut se satisfaire que la Cour considère que les annonceurs commettent des actes de contrefaçon en réservant des mots clefs composés de marques appartenant à des tiers, toutefois, en écartant per se la responsabilité de Google au titre de la contrefaçon, elle impose aux titulaires de marques d’agir à l’encontre de chacun des annonceurs, et donc à engager des frais.

Irons-nous vers un encombrement des tribunaux, dont les solutions pourront aussi varier d’un État à l’autre ?

Par Marianne Schaffner,
Avocate Associée au sein du cabinet d’avocats d’affaires Linklaters Paris
www.linklaters.com








Rédaction du village

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

31 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs