Le délai raisonnable : une notion conquérante et des îlots de résistance.

Par Jean-Yves Trennec, Avocat.

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Explorer : # délai raisonnable # recours contentieux # sécurité juridique

Le délai de recours contre les décisions de l’Administration est encadré par le Conseil d’Etat par la notion de "délai raisonnable" qui implique que ne puissent pas être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’effet du temps. Bien que la notion de délai raisonnable connaisse une prospérité certaine, il existe encore des catégories de décision qui restent préservées de ses atteintes.

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On sait que depuis 2016, le principe de sécurité juridique a été mis au premier plan par le Conseil d’Etat pour limiter les recours tardifs des requérants. Avant l’arrêt du 13 juillet 2016 [1] il suffisait que les délais et voies de recours ne soient pas indiqués dans la notification de la décision pour ouvrir au recours contentieux les voies de l’éternité.

L’éternité n’étant pas de ce monde, le Conseil d’Etat a adopté une conception du délai de recours contentieux plus terre à terre en limitant sa durée à une année. Il a implicitement considéré qu’au-delà d’une année, si le requérant ne s’était pas manifesté devant une juridiction, c’est qu’il se désintéressait peu ou prou de son affaire.

Cette jurisprudence fixant le délai raisonnable à une année a eu des visées expansionnistes et a été appliquée non seulement à la contestation directe des décisions individuelles, mais a été étendue au champ des décisions contestées par la voie de l’exception d’illégalité [2]. En l’occurrence, la contestation d’un refus de promotion par la voie de l’exception d’illégalité à l’appui d’un recours dirigé contre un titre de pension a été écartée au motif que la décision de refus de promotion n’avait pas été contestée dans le délai raisonnable d’un an. Ce délai s’applique également aux décisions implicites de rejet [3] et aux recours contre les titres exécutoires [4].

Il reste pourtant deux catégories de décisions qui échappent encore au critère du délai raisonnable d’un an pour exercer un recours. Il s’agit des décisions de rejet d’une demande préalable indemnitaire et des décisions individuelles non publiées intéressant les tiers.

Pour illustrer la première hypothèse, le Conseil d’Etat dans un arrêt du 17 juin 2019 a considéré que la règle du délai raisonnable d’un an n’était pas applicable aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique. Ce type de recours qui relève du plein contentieux est en effet gouverné par les règles propres de la prescription quadriennale qui se substituent aux règles des délais applicables aux recours qui relèvent de l’excès de pouvoir.

Le délai pour agir étant de quatre ans à compter du fait générateur, ce n’est pas vraiment l’éternité, mais tout de même suffisant pour ressusciter, le cas échéant, une action contentieuse moribonde.

Bénéficie également de l’immunité contre le délai raisonnable une catégorie particulière de décisions : les décisions individuelles intéressant les tiers et n’ayant pas fait l’objet d’une publicité adéquate.

Dans ce cas de figure, si la personne bénéficiaire de la décision en a normalement reçu notification laquelle est la forme de publicité adéquate pour une décision individuelle, il en va différemment pour le tiers à qui cette décision peut pourtant faire grief.

Pour que le délai de recours puisse courir à l’encontre du tiers, il est nécessaire, à tout le moins, que la décision individuelle ait fait l’objet d’une publication. La publication est ici la formalité adéquate pour informer le tiers de l’existence de la décision lui faisant grief et faire courir à son encontre les délais de recours contentieux.

Faute de publication, en revanche, aucun délai de recours ne peut lui être opposé.
Le tribunal administratif de Paris a fait application de ces règles à propos des arrêtés de nomination faisant suite à un tableau d’avancement au grade de commandant de police. Il a considéré qu’un recours dirigé contre des décisions de nomination de fonctionnaires à ce grade datant de plus de deux ans n’était pas tardif à défaut pour l’administration de rapporter la preuve de l’existence d’une publication de ces arrêtés [5].

Les deux exceptions que nous venons d’évoquer constituent de rares îlots de résistance à un concept très conquérant.
Rien ne permet d’affirmer que le régime favorable dont elles bénéficient pour l’instant se maintiendra à l’avenir.

On ne peut dès lors qu’encourager les requérants à mettre à profit cet état de félicité régnant peut-être provisoirement encore dans deux domaines épargnés du contentieux administratif, pour exercer leurs droits. Au jardin d’Eden, les titres de séjours sont souvent temporaires.

Jean-Yves Trennec, Avocat,
Barreau de Seine-Saint-Denis
contact chez scp-arents-trennec.com

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Notes de l'article:

[1CE, 13 juillet 2016 req. N° 387763

[2CE, 27 février 2019 req. n° 418950

[3CE, 18 mars 2019, req. n° 417270

[4CE, 9 mars 2018 req. n° 401386

[5TA de Paris 21 novembre 2019 req. n° 1700644 et 1909640

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