Le dispositif civil de lutte contre les violences au sein du couple. Par Maeva Binimelis, Avocat.

Le dispositif civil de lutte contre les violences au sein du couple.

Par Maeva Binimelis, Avocat.

5406 lectures 1re Parution: Modifié: 1 commentaire 4.99  /5

Explorer : # violences conjugales # protection des victimes # ordonnance de protection # droit civil

Le phénomène des violences conjugales est une réalité universelle. Cependant, son ampleur est encore mal connue.

-

1. Le phénomène des violences conjugales est une réalité universelle.
Cependant, son ampleur est encore mal connue. En France, comme partout ailleurs, ni l’éducation, ni l’argent, ni le milieu social ne peuvent protéger une personne de la violence exercée au sein du couple. La plupart du temps, les deux principaux facteurs de fragilité qui accroissent la fréquence et la gravité de cette violence faite principalement aux femmes sont la désocialisation et l’insuffisante autonomie financière.

2. Mais parce que ces violences se déroulent dans le huis clos du foyer familial, une importante majorité de ces comportements n’est pas portée à la connaissance de la justice. Pourtant, 156 femmes sont décédées en 2008, soit une femme tous les deux jours et demi.

Toutefois, les victimes de violences exercées par celui qui partage leur vie ne déposent pas de plainte. Elles vacillent entre la crainte de représailles et l’illusion de l’amour éprouvé pour la personne qui pourtant les frappe. En outre, s’ajoute à cela la difficulté non seulement, de trouver une réponse dans l’urgence mais aussi, de résoudre les problèmes liés au logement, à la garde des enfants et à la régularité du séjour pour les personnes de nationalité étrangère.

Ce comportement dans le couple a un impact sur la santé des femmes et des enfants victimes ou spectateurs. Leurs conséquences physiques sont aisément repérables mais leurs conséquences psychologiques sont plus graves d’autant que l’objectif du violent n’est pas d’infliger des blessures mais plutôt de réifier sa victime.

3. C’est pour cette raison que combattre ces violences doit être considéré comme un enjeu de santé publique voire comme un enjeu pour la société toute entière auquel le droit ne peut rester étranger.

Face à un tel constat, la lutte contre les violences envers les femmes a été déclarée grande cause nationale pour 2010 par le Premier Ministre et le 25 novembre est devenu une journée de sensibilisation à ce fléau.

Dans un tel contexte, il devenait urgent de créer un dispositif civil cohérent.

Ainsi, après avoir commencé le processus avec la loi du 26 mai 2004 relative au divorce qui a consacré un devoir de respect au sein des couples , la France a parachevé le dispositif de protection en adoptant la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Inspiré de l’exemple espagnol, les mesures juridiques retenues reposent sur l’ordonnance de protection prévue à l‘article 515-9 du Code civil qui dispose que « Lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection ».

4. Le droit, tel un chevalier blanc, entend entrer dans l’intimité des familles pour défendre la victime des coups du conjoint, partenaire ou concubin violent. A la violence physique du secret des familles répond le droit. Belle ambition, défi quasi insurmontable : face au secret des violences au sein du couple et pressions psychologiques répondent le droit et la divulgation publique d’une violence vécue comme honteuse ou cachée par peur, à la crainte des représailles plus violentes encore répond le recours au juge, tiers épisodiquement présent, intervenant nécessairement tardivement. Pourtant, en dépit de l’inadaptation apparemment insurmontable des instruments juridiques, les nouvelles dispositions législatives tentent d’apporter une réponse à l’inacceptable. L’ordonnance du Juge aux affaires familiales doit être une arme de protection efficace, la loi du 9 juillet 2010 entend lui en donner les moyens et ces moyens dépendent nécessairement d’une procédure adaptée.

Ainsi, délivrée par le JAF, cette ordonnance se veut donc dotée d’une grande efficacité (I) et d’une procédure adaptée (II).

I. Une ordonnance de protection efficace

5. Pour offrir une protection efficace, l’ordonnance doit avant tout dépasser les clivages juridiques et tenir compte de la réalité multiforme des couples du XXIe siècle. Elle doit sortir du mariage pour embrasser toutes les formes de conjugalité et protéger le plus grand nombre de victimes (A).
Pourtant, l’intensification de la lutte contre les violences ne peut pas se contenter de se saisir de toutes les victimes potentielles. La législation du 9 juillet 2010 a voulu démultiplier les mesures les plus variées et adaptées pour tenter de prendre en compte l’immense diversité des situations de violence au sein des couples (B).

A. Un cadre élargi

6. Rappelons-le, il y a eu une première tentative du législateur pour lutter contre les violences. La loi du 26 mai 2004 avait fait un premier pas en matière de lutte contre les violences conjugales en instaurant aux termes de l’article 220-1 du Code civil, le référé-violence.

Comme un coup d’épée dans l’eau, la mesure ne pouvait pas être efficace. Trop restrictive voire exclusive, elle ne s’appliquait pas à toutes les formes de conjugalité. En effet, ce dispositif avait un champ d’application très limité puisqu’il ne permettait d’évincer du domicile conjugal que le conjoint violent et ce, avant qu’une procédure de divorce ou de séparation de corps ne soit déclenchée. Ainsi, seule la victime mariée pouvait bénéficier de cette protection. Les moyens de lutte contre les violences au sein du couple sur le plan civil, étaient donc incomplets ou en tout cas réservés à quelques uns à la différence des moyens pénaux.

7. Mais une tentative est une belle expérience qui a permis de préparer les nouveaux textes en corrigeant les défauts des premiers. Si le champ d’application des premières mesures protectrices était inadapté à la réalité des couples modernes ; l’ordonnance de protection dépasse les qualifications juridiques et pragmatiques.

8. Désormais, avec la loi du 9 juillet 2010, les bénéficiaires potentiels de la protection civile sont plus nombreux. En effet, les nouvelles mesures de protection pouvant être édictées par le Juge aux affaires familiales s’appliquent indifféremment à toutes les formes de conjugalité mais aussi aux personnes de nationalité étrangère. Par ailleurs, les enfants sont pris en compte par le magistrat dans le cadre de l’ordonnance de protection.

Ainsi, le législateur n’a manifestement pas voulu enfermer le débat autour d’une violence de genre.

9. D’une part, l’ordonnance de protection a été conçue pour répondre à des situations de violences spécifiques : celles exercées au sein du couple. Il y a donc une véritable émergence d’un droit nouveau en France puisque les violences conjugales sont envisagées lato sensu. Le fait qu’elles concernent toutes les formes de cohabitation hors mariage a été pris en considération. On s’achemine donc vers l’édification d’un droit commun du couple.

Dès lors, la mise en œuvre de cette ordonnance est subordonnée à la qualité de victime des violences ce qui engendre deux conséquences : peu importe que le couple soit marié, pacsé ou en concubinage et peu importe que le couple ait rompu. En faisant rentrer dans le champ d’application de cette ordonnance, les ex mariés, ex partenaires d’un pacs ou ex concubins, la loi suit une logique plutôt pénale que civile. Désormais, la protection de l’intégrité physique et morale de la victime de violences au sein des couples prime sur le statut de la relation.

Par cet élargissement, le dispositif consacre un principe d’égalité et répond ainsi à la pression communautaire en mettant les textes en conformité avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.

10. D’autre part, les mesures issues de la loi du 9 juillet 2010 sont applicables aux personnes majeures menacées de mariage forcé. Elles peuvent saisir le Juge aux affaires familiales en vue d’obtenir une ordonnance de protection. Ce magistrat a alors la faculté d’ordonner l’interdiction temporaire de sortie du territoire de la personne menacée. Cette interdiction est inscrite au fichier des personnes recherchées par le Procureur de la République.

11. D’autres droits leur sont également conférés.

En effet, il est prévu de renforcer les conditions de renouvellement du titre de séjour de celles qui, unies à un ressortissant français ou entrées en France au titre du regroupement familial, sont victimes de violences au sein du couple.

Elles peuvent non seulement, disposer d’un droit au séjour si une ordonnance de protection est rendue en leur faveur mais aussi, se voir attribuer une carte de résident quand l’auteur est condamné définitivement pour toute infraction avec la circonstance aggravante de conjoint, concubin ou partenaire lié a un pacs.
_ De plus, les personnes étrangères qui disposent d’un titre de séjour en France peuvent obtenir des autorités françaises un visa de retour quand leur conjoint leur a dérobé les documents d’identité.

12. Enfin, le nouveau dispositif ne se contente pas de prendre en considération la victime directe. Les enfants sont également visés puisque le Juge aux affaires familiales peut rendre une ordonnance de protection dès lors qu’ils sont en danger.

Il est évidemment nécessaire de prendre en compte les conséquences sur les enfants des violences exercées par un parent sur l’autre parent. Même s’ils ne sont pas les victimes immédiates des violences, en tant que témoins, ils en subissent nécessairement les répercutions.

13. Cependant, une limite insurmontable s’impose au droit et à sa mise en œuvre : l’enfant victime ou spectateur de violences au sein du couple demeure encore exclu des personnes ayant qualité pour agir en justice en matière d’autorité parentale. Ce n’est que le parent qui pourra saisir le Juge aux affaires familiales quand il constatera que l’enfant est mis en danger par son ancien ou actuel compagnon. D’ailleurs, c’est souvent la prise de conscience par un parent de ce que l’autre parent ou le comportement de ce dernier met en danger l’enfant commun, qui est l’élément déclencheur d’une volonté de protection. Trop souvent, il restera des hypothèses où l’enfant ne pourra pas accéder à la protection juridique contre les violences dont il est spectateur au sein de la famille à défaut de la présence d’un adulte courageux ou lucide.

14. Mais pour assurer une efficacité importante à ce dispositif issu de la loi du 9 juillet 2010, le législateur ne s’est pas contenté d’élargir le champ des personnes protégées. La palette des mesures pouvant être adoptées dans le cadre d’une ordonnance de protection est également étendue.

B. Une portée étendue

15. Pour être optimale, la protection des victimes de violences conjugales doit être complète et reposer sur un dispositif qui permettra à la personne mise en danger d’échapper à l’emprise de l’auteur des violences, que ce soit physiquement, juridiquement ou matériellement. Il était donc nécessaire que le juge saisi puisse édicter dans son ordonnance de protection des mesures civiles telles que, l’éviction du domicile de l’auteur des violences, lesquelles pourront être assorties d’autres mesures à coloration pénale. Il s’agit d’anéantir efficacement les risques de représailles.

Aujourd’hui, dans le cadre de l’ordonnance de protection, le Juge aux affaires familiales dispose en réalité de pouvoirs étendus relevant de trois ordres différents.

1) Les mesures civiles

16. Tout d’abord, ce magistrat peut prononcer des mesures civiles non exclusives les unes des autres.

a) Le logement : expulsion du violent

17. Pour assurer la sécurité de la victime, le magistrat peut en premier lieu attribuer le logement du couple à cette dernière en ordonnant l’expulsion de celui qui exerce des violences. Ce dispositif est complété par la possibilité de mettre à la charge du défendeur, le paiement des frais afférents au logement.

Désormais, il appartient au juge de veiller à ce que la victime des violences ne soit pas placée dans une position financièrement délicate qui l’obligerait à taire ce qu’elle subit parce qu’elle n’a pas personnellement les moyens de prendre en charge le montant des frais relatifs à l’habitation. Ce magistrat devient le garant de la confiance des justiciables asservis au sein de leur couple.

De plus, pour que cette mesure soit réellement efficace, les garanties contre l’expulsion du conjoint, partenaire de PACS ou concubin évincé pour violences ne sont pas applicables.

Dès lors, ce dernier ne pourra pas opposer les garanties selon lesquelles l’expulsion ne peut intervenir qu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant le commandement de quitter les lieux ; cela ne serait pas conforme à l’impératif d’urgence qui anime la décision d’éviction du logement.

Par ailleurs, tel que cela était déjà le cas pour le référé violence, le conjoint violent ne peut pas non plus demander à bénéficier du sursis à l’exécution de cette mesure et notamment de la trêve hivernale courant du 1er novembre de chaque année jusqu’au 15 mars de l’année suivante.

L’épée de Damoclès est maintenant sur la tête de celui qui voudra soumettre par la violence la personne avec laquelle il vit.

Mais en tout état de cause, l’huissier de justice devra continuer à vérifier que l’opération d’expulsion n’est pas réalisée sur un titre caduc.

b) Les mesures protectrices de l’enfant

18. En second lieu et toujours dans le cadre de l’ordonnance de protection, un deuxième type de mesures civiles peut être édicté. Le Juge aux affaires familiales a la possibilité de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Saisi dans un contexte de violences au sein du couple qui se sépare, il doit garantir la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant commun.

19. Deux mesures sont possibles. L’une est radicale, l’autre l’est moins.

Première mesure

Soit, l’autorité parentale est retirée à celui qui est violent. Dans ce cas, afin d’assurer la continuité et l’effectivité des liens de l’enfant avec le parent qui n’a pas l’exercice de l’autorité parentale, le juge peut organiser un droit de visite dans un espace de rencontres. Des dispositions similaires ont été adoptées par le législateur en cas de condamnation pénale de l’un des parents pour un crime commis sur leur enfant ou sur l’autre parent .

Celui qui est violent au sein du foyer familial est désormais présumé être un mauvais parent.

Deuxième mesure

Soit l’exercice conjoint de l’autorité parentale est maintenu et est assorti d’un droit de visite et/ou d’hébergement classique ou d’une résidence alternée. Dans cette circonstance, le juge a la possibilité d’organiser le recours à un lieu sécurisé pour la visite ou la remise de l’enfant à l’un ou l’autre parent parce qu’il est nécessaire d’éviter tout contact direct entre eux et ce, toujours dans l’intérêt de leur enfant.

Dans tous les cas, et quelle que soit la forme de conjugalité, le parent violent devra continuer à contribuer à l’entretien et à l’éducation des enfants.

20. En dehors de ces mesures civiles, le Juge aux affaires familiales peut être amené à prendre d’autres mesures à coloration « pénale ».
_ Le droit civil et plus particulièrement, le droit de la famille est, avec la loi du 9 juillet 2010, doté d’armes lourdes.

2) Les mesures pénales

a) Les armes

21. Le magistrat peut interdire au défendeur de détenir une arme et de la remettre au greffe . Cette arme peut être tout objet ayant servi à commettre l’inacceptable au sein du couple.

b) L’interdiction de rencontrer la victime et toutes autres personnes désignées

22. Le JAF peut aussi lui interdire de rencontrer ou de recevoir la victime et ses enfants ainsi que toutes autres personnes qu’il désigne . Il s’agit d’éviter que l’auteur de violences au sein du couple puisse encore exercer une quelconque pression sur la personne qui demande à être protégée et notamment par l’intermédiaire des proches de cette dernière.

c) Dissimulation de l’adresse de la victime

23. En outre, les victimes sont autorisées à dissimuler leur adresse afin d’éviter d’éventuelles représailles. Elles peuvent alors élire domicile chez l’avocat qui les assiste ou les représente ou auprès du Procureur de la République et ce, pour toutes les instances civiles dans lesquelles elles sont également parties. Il y a cependant deux tempéraments à ce dispositif.

Premièrement, pour les besoins de l’exécution d’une décision de justice, l’huissier doit avoir connaissance de l’adresse de cette personne sans pouvoir la révéler à son mandant.

Deuxièmement, l’avocat ou le Procureur de la République auprès duquel il est élu domicile, communique sans délai l’adresse du demandeur au juge civil.

En tout état de cause, il ne s’agit pas de priver pas le dispositif de son efficacité puisque les professionnels visés sont tenus au secret.

d) Interdiction de sortie du territoire

24. Par ailleurs et pour conjurer tout risque de déplacement international de l’enfant commun par l’un des parents et ce en fraude des droits de l’autre parent, le Juge aux affaires familiales peut également ordonner l’inscription de l’interdiction de sortie du territoire de l’enfant sans l’autorisation de ses deux parents, sur le passeport de chacun d’entre eux.

Cependant, en présence de couples binationaux, parce que l’efficacité d’une telle mesure est anéantie puisque le juge français ne peut pas ordonner cette inscription sur un passeport étranger, il a été prévu d’inscrire cette interdiction de sortie du territoire au fichier des personnes recherchées.

e) L’aide juridictionnelle

25. Enfin, le Juge aux affaires familiales peut ordonner un dispositif d’aide en faveur du bénéficiaire de l’ordonnance de protection tel que, l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle de la partie demanderesse ou encore, la présentation d’une liste des personnes morales qualifiées susceptibles de l’accompagner pendant toute la durée de l’ordonnance de protection.

26. En tout état de cause, l’ensemble de ces mesures édictées dans le cadre d’une ordonnance de protection n’a qu’une durée de validité limitée à quatre mois renouvelable une fois pour les couples mariés qui déposeraient une requête en divorce ou en séparation de corps. A contrario, ces dispositifs de protection pour les concubins ou les partenaires d’un PACS, ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une quelconque prolongation. On peut s’interroger sur cette lacune textuelle. Mais il est aussi possible de l’analyser comme étant le minimum garanti à celui qui est victime de violences infligées par son compagnon en dehors de toute union matrimoniale. Alors qu’autrefois, il ne pouvait bénéficier d’aucune protection, il lui est aujourd’hui permis d’organiser la sauvegarde de son intégrité physique et morale en vue d‘une éventuelle rupture.

27. En tout état de cause, un droit sans une procédure adaptée n’est rien, il reste lettre morte. Le législateur a donc accompagné ces mesures civiles, à connotation pénale ou d’aide, édictées dans l’ordonnance de protection d’une procédure adaptée.

II. Un cadre procédural adapté

28. Face à la violence et à l’urgence de protéger efficacement la victime, la justice, pourtant réputée pour sa lenteur, doit se faire violence pour la bonne cause et intervenir rapidement. Le décret du 29 décembre 2010 a permis d’instaurer une procédure d’urgence (A) mais qui, considérée comme une anomalie, reste exceptionnelle (B).

A. Une procédure d’urgence

29. Dans tous les cas, la procédure doit être rapide pour protéger urgemment les victimes de violences domestiques.
_ Que ce soit au stade de la saisine de la juridiction, pendant l’audience ou lors de la décision, c’est l’impératif d’urgence qui doit gouverner tout le processus.

1) La saisine

30. Le Juge aux affaires familiales peut être saisi en vue d’obtenir une ordonnance de protection, par le Parquet avec l’accord de la victime parce que, souvent effrayée, cette dernière peut avoir quelques difficultés à agir elle-même et à saisir le juge. Mais cela suppose qu’elle ait déposé une plainte. Or, cette démarche est tout aussi délicate que le fait de s’adresser directement ou par l’intermédiaire d’un avocat au magistrat pour être protégée. En effet le plaignant sait que son conjoint, partenaire de PACS ou concubin violent sera nécessairement convoqué par les représentants de l’autorité publique pour être entendu sur les faits dénoncés et que, de retour au domicile il se vengera.

31. La juridiction peut aussi être saisie par la victime elle-même.

Dans ce dernier cas, la saisine peut se faire par voie de requête sous la forme d’une lettre recommandée avec accusé de réception ou par voie d’assignation en la forme des référés. Cet acte doit comporter l’indication de la date d’audience préalablement communiquée par le JAF et être dénoncée au Procureur de la République sous peine de nullité.

2) L’audition

32. Dès la réception de la demande d’ordonnance de protection, les parties doivent être convoquées pour une audition.

a) Modalités de la convocation

Cette convocation peut être réalisée, soit par les soins du greffe sous la forme d’une lettre recommandée avec accusé de réception doublée d’une lettre simple en cas de saisine par requête, soit par voie de signification si le juge est saisi dans le cadre d’une assignation en la forme des référés . Exceptionnellement, le magistrat peut décider que les forces de police ou de gendarmerie devront remettre la convocation au défendeur en mains propres contre récépissé quand il y a un risque de danger particulièrement grave et imminent pour le demandeur ; cette décision constitue une mesure d’administration judiciaire.

En définitive, cette convocation adressée au défendeur vaut citation. Elle comprend en annexe une copie de la requête ou de l’assignation ainsi que les pièces qui fondent la demande. Par ailleurs, il appartient au Juge des affaires familiales de s’assurer qu’il s’est écoulé un délai suffisant entre la convocation et l’audience pour que le défendeur puisse préparer sa défense.

Quant au Procureur de la République, il a la faculté de donner son avis sur la demande sans que le juge civil ait l’obligation de s’y conformer.

33. A l’audience, le magistrat peut entendre les parties ensemble ou séparément afin de protéger la victime en évitant qu’elle soit confrontée à l’auteur des faits de violence allégués. Il s’agit de limiter les confrontations douloureuses.

b) La place de l’avocat

34. Les parties peuvent être assistées par un avocat ou représentées par celui-ci.
_ Dans le cadre de la représentation, leur présence n’est pas obligatoire. Il s’agit de répondre au besoin de célérité alors même que l’une ou l’autre des parties, pour un motif légitime, ne peut être entendue. Il est possible de considérer qu’il s’agit d’une atteinte au respect du principe du contradictoire d’autant que le juge ne pourra accorder un renvoi à une prochaine audience qu’à très bref délai eu égard à l’urgence de protéger la victime qui le sollicite.

c) Le secret

35. Par ailleurs, une autre spécificité de cette audience réside dans le fait qu’elle puisse se tenir en chambre du conseil. Cela laisse supposer que par principe, l’audience serait publique puisque le Parquet a la faculté d’y être présent de façon à pouvoir engager des poursuites pénales contre l’auteur des faits de violence allégués. En réalité, il s’agit de rendre possible une coordination certaine, par une information réciproque du juge pénal et du juge civil lesquels sont pleinement associés dans la lutte contre les violences faites essentiellement aux femmes.

3) La célérité

36. De toute évidence, il est important de noter que, parce ce que la procédure doit être rapide pour assurer la protection d’une personne en danger au sein du couple, il n’est pas toujours possible pour le juge aux affaires familiales de procéder aux mesures d’instruction qu’il jugerait nécessaires. Dès lors, il y a un risque évident d’instrumentalisation de cette procédure en vue d’obtenir ce qui n’aurait pas été accordé en dehors de ce contexte particulier de violences au sein du couple. Mais, il est tout de même préférable de prévenir le risque encouru par la victime supposée ou l’enfant qui en est spectateur, plutôt que d’attendre les résultats d’une mesure d’instruction. C’est la raison pour laquelle le magistrat prendra sa décision sur la base des premiers éléments fiables qui lui auront été communiqués en sachant qu’il pourra, dans un second temps, la modifier.

Ainsi, l’ordonnance de protection doit être délivrée en urgence, sans qu’un délai soit spécifié.

4) Les caractéristiques de l’ordonnance

37. Cette ordonnance présente, en outre, deux caractéristiques.

a) Une ordonnance temporaire

Elle est temporaire puisqu’elle ne peut être appliquée que pour une durée limitée à quatre mois suivant la notification soit, par voie de signification soit, dans le cadre de la décision, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par la voie administrative . Elle est exécutoire à titre provisoire, sauf disposition contraire du juge.

Mais tout au long de sa validité, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps permet de prolonger la durée des mesures édictées. En effet, conformément à l’article 1136-13 du Code de procédure civile, quand une telle demande est introduite avant l’expiration de la durée des mesures de protection ou que l’ordonnance est prononcée alors qu’une procédure de divorce ou de séparation de corps est en cours, les mesures de l’ordonnance de protection continuent de produire leurs effets jusqu’à ce qu’une décision statuant sur la demande en divorce ou en séparation de corps soit passée en force de chose jugée. En revanche, les mesures prises en application des 3°, 4° et 5° de l’article 515-11 du Code civil et prononcées antérieurement à l’ordonnance de non-conciliation cessent de produire leurs effets à compter de la notification de celle-ci.

b) Une ordonnance provisoire

Elle est provisoire puisque le Juge aux affaires familiales peut, à tout moment et ce, à la demande du ministère public ou de l’une ou l’autre des parties , ou après avoir fait procéder à toute mesure d’instruction utile, et après avoir invité chacune des parties à s’exprimer, supprimer ou modifier des mesures énoncées dans l’ordonnance de protection, en décider de nouvelles, accorder à la personne défenderesse une dispense temporaire d’observer certaines des obligations qui lui ont été imposées ou rapporter l’ordonnance de protection.

5) Les voies de recours

38. Enfin, comme toute décision de justice, l’ordonnance de protection est susceptible d’une voie de recours : l’appel est ouvert dans un délai de quinze jours suivant sa notification et doit être formé par requête remise ou adressée au greffe de la Cour d‘appel. Il est statué sur celle-ci, selon le cas, par le Premier Président de la Cour d’appel, le conseiller de la mise en état ou la formation de jugement.

Toutefois, cette voie de recours est susceptible d’être privé de tout intérêt si elle est audiencée postérieurement au terme de l’ordonnance de protection.

39. Force est de constater que, justifiée par l’urgence, cette procédure se révèle, en définitive, être une procédure exceptionnelle.

B. Une procédure d’exception

40. Le législateur a pris conscience de la spécificité des violences conjugales et a progressivement adapté le droit civil afin de mieux protéger les victimes. Il s’agit donc d’une procédure d’exception puisque des dérogations ont été prises avec d’autres branches du droit.

Exceptionnelle à plus d’un titre, il faut l’envisager successivement :

1) La preuve

41. Tout d’abord, concernant le droit de la preuve, il ne s’agit plus de la recherche de la vérité mais de la recherche d’une vraisemblance.

En effet, conformément à l’article 515-9 du Code civil, le Juge aux affaires familiales ne pourra délivrer une ordonnance de protection que s’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission des faits de violence allégués. En outre, la victime doit être exposée à un danger. Ces deux conditions sont cumulatives.
Reste cependant à s’interroger sur l’appréciation de ces notions.

a) Le danger

42. Le danger est une notion subjective. Seul le Juge aux affaires familiales peut apprécier la réalité du danger auquel une personne prétend être exposée au sein du couple et ce, grâce à des éléments qui rendent vraisemblables les faits de violences allégués.

b) La présomption

43. A ce propos, certains considèrent qu’il existe un risque de rupture d’égalité des parties au procès. Une telle disposition est alors analysée comme instaurant une présomption légale de culpabilité, contraire tant aux principes fondamentaux de notre droit qu’à la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit aux parties le droit à un procès équitable .

Toutefois, tant le droit européen qu’interne valide aujourd’hui de telles dérogations au principe de présomption d’innocence parmi lesquelles doivent figurer les éléments rendant vraisemblables les faits de violences allégués pour la délivrance par le Juge aux affaires familiales d’une ordonnance de protection.

D’ailleurs, bien que la formulation de l’article 515-9 du Code civil paraisse maladroite parce qu’elle semble inverser les principes qui régissent la charge de la preuve, la règle ainsi posée n’est nullement indispensable. En effet, en matière de faits juridiques, la preuve en droit civil est libre et peut notamment se faire par de simples présomptions de l’homme. Celles-ci permettent au juge de former sa conviction sur des indices dont la force probante est abandonnée à son libre pouvoir d’appréciation. En réalité, le texte traduit seulement le souhait du législateur d’alléger une preuve dont la charge continue à incomber au demandeur.

De plus, même si le Juge aux affaires familiales se contente d’éléments rendant vraisemblables les violences mettant en danger celui qui en est victime, il n’en demeure pas moins que pour le demandeur, il sera difficile de produire ces éléments puisque ce qu’il subit, se déroule dans le huis clos familial.

2) Les paradoxes de la protection

a) Selon les couples

44. En outre, l’ordonnance de protection ne déroge pas seulement au droit de la preuve, elle porte aussi atteinte à la philosophie même du concubinage qui ne peut plus être considéré comme une union libre puisque le concubin peut être expulsé alors qu’il est titulaire du bail ou propriétaire de son logement. Par ailleurs, il peut être condamné à assumer la charge du loyer sans avoir droit à une quelconque indemnité d’occupation et ce, bien qu’il ne soit pas lié au bénéficiaire de l’ordonnance de protection ni par les liens du mariage ni par un PACS.

Mais une union libre qui ne l’est plus parce que la victime des violences est asservie par celui qui la violente, n’est plus une union où l’on est libre de frapper l’autre sans que le droit ne puisse intervenir.

b) Les paradoxes de la protection en droit

45. Enfin, en contrariété avec certains fondements du droit des contrats, le bailleur peut se voir opposer un occupant à titre précaire qui ne serait pas le signataire du bail. Mais ce recours au bail forcé n’est pas une nouveauté en droit de la famille.

46. En tout état de cause, la loi du 9 juillet 2010 a créé un arsenal juridique spécial destiné à lutter efficacement contre les violences au sein du couple. Le vote de cette loi et le renforcement des pouvoirs judiciaires étaient indispensables eu égard à l’accroissement constant du nombre de victimes de ce fléau. Il reste à souhaiter que l’ordonnance de protection se révèle être un des atouts majeurs de la lutte contre les violences d’autant que le volet répressif de cette loi fait de la réponse pénale un complément nécessaire. Aujourd’hui, le droit civil et le droit pénal travaillent de concert.

Maeva BINIMELIS
Avocat au Barreau de NICE

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

75 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Commenter cet article

Discussion en cours :

  • par Danielle , Le 20 juillet 2017 à 19:11

    Je viens de lire cet article avec beaucoup d’attention. Oui, il existe bien une loi mais si peu appliquée. Je fais partie de ces femmes, et j’ai osé porter plainte. Pourquoi ? Malgré mes agressions qui m’ont contraintes à fuir, mon dépôt de plainte, mes auditions, police, spy....je n’ai jamais été convoquée pour une confrontation, ni même par respect humain, un courrier juridique.. Seule, totalement démunie, SDF un temps, domiciliée auprès d’un CCAS, ma vie, pour échapper à la violence est devenue un enfer. Par contre, le criminel dénoncé, vit paisiblement. Mon histoire est banale, mais c’est la mienne et en franchissant la porte d’un commissariat, j’espérais être reconnue en tant que victime. Alors, excusez moi, mais porter plainte est une perte de temps, éprouvant de surcroît. En ne punissant pas les agresseurs, la France cautionne les violences. Je suis sidérée...

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs