1) Un principe intangible : le préjudice lié à l’utilisation illicite de l’image
L’expression « simple quidam », parfois employée par les auteurs pour nommer une personne ne renferme naturellement rien de méprisant mais signifie simplement que l’image de cette personne n’a pas été valorisée avant sa fixation et son exploitation. Il pourra s’agir de personnes prises au hasard pour les besoins d’une prise de vue parce qu’il fallait bien « quelqu’un » ou alors de personnes qui, à un moment donné, ont présenté un intérêt artistique ou documentaire : attitude spontanée, tenue vestimentaire particulière, présence lors d’un évènement…
La loi étant la même pour tous, ces simples quidams bénéficient naturellement des mêmes droits que des personnes célèbres : droit au respect de leur vie privée et droit à l’image en l’occurrence. Les tribunaux ont souvent l’occasion de rappeler qu’en application de l’article 9 du Code civil, « le droit au respect de la vie privée permet à toute personne de s’opposer à la diffusion, sans son autorisation expresse, de son image, attribut de sa personnalité » (Voir par ex. CA Lyon, 27 janvier 2005). Le préjudice souffert par une publication illicite pourra être tout aussi important, voire plus important que celui d’une personne célèbre en raison du fait que la personne en cause n’a pas l’habitude de voir son image utilisée dans les médias et n’a pas choisi cette médiatisation.
2) Des distinguos à effectuer selon les situations
Toutes les situations ne se valent pas puisque certaines personnes sont photographiées à leur insu alors que d’autres y consentent.
a) Images captées à l’insu de l’intéressé
En 2007, une jeune femme avait été photographiée dans le RER sans s’en rendre compte. Le cliché avait ensuite été publié par l’hebdomadaire Paris-Match pour illustrer un article intitulé "Retour à Clichy sous-Bois" rappelant les émeutes de banlieue, assorti d’une légende : « La passagère, pas rassurée, se plonge dans sa lecture et n’en sort pas ». Dans cette affaire jugée devant la Cour d’appel de Bordeaux, la jeune femme a obtenu une indemnisation à hauteur de 10.000 euros (CA Bordeaux, « Mademoiselle X. c. SNC Filipacchi », n° 07/04852). L’indemnisation aurait été plus faible, voire nulle si l’hebdomadaire avait pu faire valoir que la photographie illustrait un évènement d’actualité. Mais tel n’était pas le cas en l’espèce.
Concernant la captation d’image à l’insu de l’intéressé, lorsque ce dernier est une personnalité, il peut alors légitimement s’attendre au respect de sa vie privée au sein de son domicile certes, mais également au sein d’un lieu public, lorsque celui-ci est isolé. En effet, dans une affaire relative à la princesse Caroline Von Hannover, la Cour Européenne des droits de l’homme, dans un arrêt du 24 juin 2004 (précité) a retenu que la princesse, sujet des clichés litigieux se trouvait dans un lieu « dans lequel la personne concernée se retire dans le but objectivement reconnaissable d’être seule, et dans lequel, se fiant à son isolement, elle se comporte de manière différente de celle qu’elle adopterait en public ». Il ressort alors de cette affirmation que le sujet des clichés de l’espèce avait manifestement montré sa volonté de s’isoler, de se cacher d’un éventuel objectif, démontrant alors le souhait du sujet de voir respecter sa vie privée.
Dans cet arrêt, la question porta également sur le fait que les clichés litigieux contribuaient à un phénomène ou débat d’actualité. En effet, le moyen avait été avancé que la princesse, du fait de son titre, entrait automatiquement dans un débat d’actualité, que le citoyen lambda était intéressé et désireux de connaître l’actualité de cette personnalité particulière. Néanmoins, la contribution des clichés litigieux à un phénomène d’actualité ou bien encore à un débat d’intérêt général n’était pas démontrée en l’espèce selon les juges. Malgré son titre et sa place au sein de la famille royale monégasque, ses diverses activités caritatives et culturelles, les photographies litigieuses ne relataient en aucun cas ce type d’activités mais, au contraire, de simples de détails de sa vie privée. La princesse pouvant légitimement s’attendre au respect de cette dernière, même en tant que personnalité publique.
Aussi, les organes de presse entendent parfois justifier la publication de clichés de personnalités publiques du fait que ces derniers participent à un phénomène d’actualité, et plus largement, qu’il existe un « besoin social impérieux » au titre des articles 6.1 et 10 de la convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, dans un arrêt de la Cour de cassation de 2004, les photographies d’un célèbre footballeur français et de sa compagne lors d’une manifestation sportive ont été considérées comme portant atteinte au droit au respect de la vie privée et au droit à l’image de ces derniers. En effet, la vie sentimentale de ces personnalités n’entre pas dans un débat d’intérêt général ou bien encore dans un phénomène d’actualité, et le fait que ces clichés aient été captés lors d’une manifestation sportive publique ne correspond pas pour autant à un abandon de l’autorisation du sujet quant à son droit à l’image. La Cour estime que les clichés litigieux ont été pris « au tournoi de tennis de Monte-Carlo, à l’insu des intéressés avec un cadrage les isolant du public environnant, ont été publiées et divulguées sans leur autorisation, sans que la société Hachette Filipacchi associés puisse se prévaloir du caractère public du lieu où les photos ont été prises pour invoquer une renonciation quelconque de M. X... à ses droits » (Cass. civ. 2ème 10 mars 2004, n° 01-15-322, Bulletin 2004, II, n° 117, p. 97).
Le même raisonnement a été adopté par la Cour de Cassation concernant la publication de clichés d’un célèbre journaliste lors d’une manifestation sportive, ajoutant cette fois le constat d’une absence de preuve de la volonté du sujet de ce soumettre aux « objectifs » des photographes. En effet la Cour affirme dès lors que : « fait une exacte application de ces textes, la cour d’appel qui retient que les atteintes à la vie privée et au droit au respect de l’image d’un journaliste connu, dont il n’est pas démontré qu’il se serait " offert " à l’objectif, sont caractérisées par le seul fait de relater en l’illustrant de photographies, sans autorisation de l’intéressé et sans motif d’actualité, sa présence à titre privé à une manifestation sportive sans lien avec son activité professionnelle, ainsi que par les digressions sur les sentiments qu’il porterait à l’égard de l’enfant qui l’accompagne » (Cass. civ. 2ème, 18 mars 2004, n° 02-12.743, Bulletin 2004, II, n° 135, p. 113).
La spécificité du cadrage d’une photographie en droit à l’image revêt un caractère important, et ce, même lorsque le cliché litigieux illustre un phénomène d’actualité ou bien encore un débat d’intérêt général. En effet, une simple manœuvre technique telle que le cadrage va avoir des conséquences sur l’exercice du droit à l’image du sujet de la photographie litigieuse. Si le sujet de la photographie est bien reconnaissable ou fait l’objet d’un isolement, alors ce dernier, s’il n’a pas donné son consentement à un tel cliché pourra se prévaloir de son droit à l’image et, plus concrètement, de l’absence de son autorisation.
Néanmoins, si le sujet apparaît sur un cliché, au sein d’une foule, alors par l’effet de groupe, de foule, il ne pourra exercer son droit à l’image, du moins, tant qu’il n’aura pas été isolé du reste de la foule tout en étant bien identifiable. Dans l’arrêt de la Cour de Cassation du 10 mars 2004 relatif au célèbre footballeur préalablement cité, la Cour précise bien que les clichés en question ont été recadrés, et ce, dans un but d’isolement des sujets de la foule et du public présent lors de la manifestation sportive durant laquelle la captation de l’image des sujets a eu lieu. Les effets découlant du cadrage d’un cliché sur une ou plusieurs personnes sont bénéfiques tant pour un citoyen lambda que pour une personnalité dite publique.
b) Images captées au su de l’intéressé
Parmi les personnes acceptant d’être photographiées, certaines ignorent que leur image va être exploitée par la suite à des fins commerciales et d’autres en ont pleine conscience, cela change naturellement la donne devant les juridictions.
Ainsi, une savoyarde photographiée sortant de l’église après la messe avait posé pour un photographe. En agissant ainsi, elle ne s’attendait pas à voir son image reproduite sur des cartes postales. La Cour d’appel de Paris a logiquement condamné le photographe qui avait caché sa qualité de professionnel à son modèle (CA Paris, 22 mars 1983, « Ferrero c. Dame Tovex et al. », Juris-Data n°022334). De même, une salariée qui avait posé pour des photographies prises par son employeur a pu obtenir indemnisation de la part de ce dernier, après que celui-ci ait utilisé ses clichés afin d’illustrer le site internet de l’entreprise (CA Lyon, 27 janvier 2005). Pour une telle utilisation illicite de l’image, la victime simple quidam ne devra pas rapporter l’existence d’un préjudice. Comme l’indiquent désormais les tribunaux : « le seul constat de l’atteinte au droit de chacun de s’opposer à la publication ou à la diffusion de son image, sans qu’il y ait lieu de s’expliquer davantage sur la nature du préjudice qui en résulte ouvre droit à réparation sur le fondement de l’article 9 du Code civil » (CA Lyon, 27 janvier 2005). Il n’empêche que l’indemnisation sera plus élevée si la photographie est outrageante et qu’un préjudice est démontré.
D’autres simples quidams acceptent de poser devant l’objectif et savent que leur image va être exploitée à des fins commerciales et publicitaires mais cela ne les empêche pas pour autant de demander réparation si l’exploitation réalisée dépasse le cadre de ce qui était convenu. En effet, à l’instar du droit de la propriété littéraire et artistique, les magistrats considèrent que le sujet photographié dispose en quelque sorte d’un droit de destination sur son image.
Si l’exploitation dépasse l’utilisation initialement convenue, des dommages et intérêts pourront être alloués. A titre d’exemple, une coiffeuse avait posé à titre gracieux pour faire la promotion du salon de coiffure où elle travaillait. Les images furent finalement exploitées bien au-delà du cadre convenu puisque des affiches réalisées à partir des clichés furent disposées dans plusieurs salons parisiens. Dans un arrêt en date du 9 novembre 1982, la Cour d’appel alloua la somme de 15. 000 francs à la coiffeuse en réparation du préjudice subi (CA Paris, 9 novembre 1982, « Marieta c. Galichet », Juris-Data n° 026931).
Concernant le domaine des clichés obtenus à la connaissance des intéressés, un nouveau phénomène est apparu, celui des « paparazades ». Il s’agit plus concrètement de la mise en scène d’une série de photographies d’une personnalité à la notoriété relative la plupart du temps, faisant croire au public qu’il s’agit de clichés « volés », c’est-à-dire pris à l’insu de ladite personnalité, dont l’image est par la suite exploitée. Finalement, cette série de clichés est bien prévue à l’avance, revêt l’autorisation préalable, expresse et spéciale de la personne intéressée. La publication de telles photographies ne détenant pas finalement le caractère instantané et impromptu qu’il y paraît.
D’ailleurs, ce nouveau phénomène a des conséquences sur la qualification de la photographie en tant que telle. En effet, traditionnellement, les photographies des paparazzis ne sont pas qualifiées juridiquement d’œuvre protégeable par le droit d’auteur, faute de l’existence du caractère originale de celle-ci. Dans un arrêt du 5 décembre 2007, la Cour d’appel de Paris a néanmoins ajouté que l’originalité de ce type de photographie devait être étudiée au cas par cas. Cependant, en l’espèce, les clichés du prince William et de sa future femme Kate Middleton ne détenaient pas selon la Cour d’originalité, condition de la protection d’un tel cliché par le droit d’auteur français. Les photographes n’ayant eu qu’un « comportement purement passif », aucun effort n’avait été fait quant au cadrage de ladite photographie, ou bien quant à la prise de vue, à la lumière etc… (CA Paris, chambre 04A, 5 décembre 2007, n° 06/15937). Les photographes ne bénéficiant alors d’aucune manœuvre, et étaient totalement dépendant des faits et gestes de leurs sujets. Néanmoins, avec le phénomène des « paparazzades », la liberté des photographes est alors plus grande du fait de l’existence d’une mise en scène lors de la captation des clichés.
Dans un arrêt de 2010 (CA Paris, 27 octobre 2010, Légipresse n° 274, Actualités de jurisprudence, p. 276), la Cour d’appel de Paris a accordé la protection découlant du droit d’auteur français à une photographie de paparazzi où la personnalité, sujet du cliché, avait préalablement donné son accord. Aussi, les juges d’appel ont estimé que la photographie détenait un caractère original du fait que, dans ce contexte, le photographe bénéficiait d’une plus grande capacité de manœuvre pour exprimer sa personnalité à travers la captation de ce cliché.
En effet, même s’il restait limité du fait de la mise en scène nécessairement instantanée et impromptue en apparence, le photographe détenait alors la possibilité de choisir le cadrage, la prise de vue, les effets de la captation et ce, du fait du consentement préalable du sujet de la photographie. Ce phénomène connaît de plus en plus d’ampleur au sein de la presse dite « people » du fait qu’il ravit autant la personnalité relativement connue bénéficiant d’une communication auprès du public que le photographe, ce dernier donnant l’impression d’avoir capturé les images d’une information inédite, relative au sujet du cliché.
c) Indifférence de l’absence de rémunération
Celui qui accepte d’être photographié à titre gracieux et qui connaît parfaitement l’utilisation qui va être faite de son image sera malvenu ensuite de demander une indemnisation. Ce fut par exemple le cas d’une salariée qui, à l’occasion du conflit avec son ancien employeur suite à son licenciement, avait demandé au Conseil de prud’hommes de lui allouer la somme de 5 000 euros en indemnisation de l’utilisation de son image au sein de plaquettes commerciales de la société. Le Conseil de prud’hommes fit droit à cette demande mais la Cour d’appel de Versailles réforma le jugement au motif que la salariée « avait pris l’initiative de recueillir l’autorisation préalable de tous les salariés de la société Chateauform dont les photos figuraient sur les supports de communication et qu’elle a effectivement recueilli 147 autorisations de salariés de la société, concernés par la diffusion de leur image et qu’elle ne pouvait donc ignorer que sa propre image allait être exploitée » (CA Versailles, 2 mars 2011, n° 10/00287). En l’espèce, la salariée était chargée de la communication globale de la société, il lui était donc difficile de soutenir qu’elle ignorait l’ampleur de la diffusion de la plaquette commerciale.
Dans une autre affaire, un salarié, serveur dans un bar, avait accepté d’être filmé pour un spot publicitaire destiné à la diffusion dans des salles de cinéma. Il fut également débouté de ses demandes d’indemnisation, ne pouvant démontrer de préjudice moral puisqu’il avait consenti au tournage (CA Lyon, 27 janvier 2005). Néanmoins, la jurisprudence peut s’avérer bien plus stricte et considérer que le fait, pour le sujet dont l’image est exploitée, d’avoir participer au tournage ou à la séance photo, ne traduit pas pour autant son consentement à une telle exploitation. L’autorisation préalable écrite, expresse et spéciale du sujet restant incontestablement nécessaire pour une précaution maximale (TGI Nanterre, 24 novembre 2011, RG n° 10/00348, LP n° 291, février 2012, p. 73).
On voit donc que les tribunaux français reconnaissent la valeur de l’image du simple particulier, précisément dans les cas de figure où celui-ci sert les intérêts commerciaux d’un tiers : personne physique ou morale.