La médiation ne concurrence pas l'édifice judiciaire mais le complète. Par Benoit Henry, Avocat.

La médiation ne concurrence pas l’édifice judiciaire mais le complète.

Par Benoit Henry, Avocat.

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Explorer : # médiation # complémentarité # rôle du juge # procès civil

Le décret du 19 décembre 2019 a imposé le recours préalable aux modes amiables.
Le plafond de 5 000 euros, s’il présente l’avantage d’être aligné sur le nouveau taux de ressort, est un signal qui paraît très négatif. Le législateur semble ainsi vouloir dire que les modes amiables ne devraient être imposés que pour les « petits » litiges. C’est un message évidemment difficilement audible dans une société où les individus ont un fort besoin de reconnaissance et d’apaisement. La médiation n’a cependant pas vocation à se substituer systématiquement au contentieux.
Actualisation de l’article par son auteur en janvier 2024.

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Le développement de la médiation est un axe essentiel de la loi n° 019-222 de programmation 2018-2022.

Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 et le décret n°2023-686 du 29 juillet 2023 développent la médiation et visent à construire une société plus apaisée.

Il fallait les réformer.

La médiation ne concurrence pas l’édifice judiciaire mais le complète pour rendre au juge sa véritable dimension.

Le juge est traditionnellement au cœur du procès civil.

Son rôle est primordial puisqu’il est cœur de la qualification juridique et de l’application de la règle juridique.

L’adage « jura novit curia » résume parfaitement le rôle traditionnel conféré au juge.

La fonction du juge consiste, in fine, à trancher un litige.

« Il faut bien que le juge juge, et juger, avant de trancher, c’est constater, apprécier, peser, qualifier, motiver en pleine connaissance de cause » (J. Foyer et G. Cornu, préface des écrits études et notes de procédure civile d’Henry Motulsky, Dalloz, réédition 2010).

1- Le juge au cœur de la qualification juridique.

le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Il incombe au juge de contrôler la règle de droit, sous peine de cassation et de redonner leur exacte qualification aux faits et actes litigieux.

- le juge donne ou restitue leur exacte qualification. Or, le juge ne sera amené à donner leur exacte qualification aux faits et actes que dans les hypothèses où le code n’impose pas des conclusions qualificatives.

Dans le cas contraire, puisque les parties y ont procédé, le juge ne peut que requalifier.

- le juge le devoir de requalifier les actes et faits litigieux et la Cour de cassation a même considéré que lorsqu’il le fait, le juge n’est pas tenu de soumettre son initiative à la discussion des parties.

Cette règle oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions.

La place du juge dans l’étape consistant à qualifier juridiquement est centrale de sorte que les conditions de mise en œuvre d’une règle de droit dépendent entièrement de son office.

Le juge apparaît, sous cet angle, être l’acteur principal au cœur du procès civil.

Ce rôle se vérifie également dans la phase d’application de la règle juridique.

2- Le juge au cœur de l’application de la règle juridique.

Après avoir vérifié les conditions de mise en œuvre d’une règle de droit, le juge doit la mettre en œuvre, l’appliquer ; il doit lui faire produire ses effets.

- le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Trancher un litige revient à reconnaître l’existence d’une modification de la situation juridique des parties.

La décision de justice, à travers son dispositif, reconnaîtra, par exemple, l’existence d’une obligation contractuelle, condamnera une partie à verser des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice, ordonnera la restitution d’un bien…

Autant d’effets juridiques que le juge est tenu de prononcer dès qu’il a relevé l’existence des conditions de mise en œuvre de la règle de droit considéré.

Se soustraire à une telle obligation le ferait entrer dans le champ de l’article 4 du Code civil selon lequel :

« le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ».

Dans le cas où les parties ont dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d’appel si elles n’y ont pas spécialement renoncé, le juge n’en demeure pas moins tenu de trancher le litige.

Partant, il est incontestablement au cœur du procès civil dans l’application du droit qui se manifeste à travers ses décisions de justice.

3 - Le juge a pu voir sa place centrale dans le procès se renforcer à travers l’appréhension de la matière factuelle.

- L’évolution du rôle du juge dans l’appréhension des faits.

Nombreuses sont les réformes procédurales qui ont amené le juge à renforcer sa place au cœur du procès civil dans le domaine factuel qui relève traditionnellement de la sphère des parties. Il en est d’abord ainsi des principes directeurs du procès qui confère au juge le pouvoir d’inviter les parties à fournir les explications de fait qu’il estime nécessaires à la solution du litige.

Le juge peut prendre en considération même les faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions.

Le juge a le pouvoir d’ordonner d’office toutes les mesures 6 d’instruction légalement admissibles.

Cette possibilité peut être mise en œuvre, conformément aux articles 145 et suivants du CPC, même d’office, et en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.

Si ces mesures ne doivent pas suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve des faits qu’elles allèguent, il n’en reste pas moins question d’une appréhension forte des faits par le juge qui peut, lorsqu’il ne s’estime pas assez éclairé, ne pas se contenter du droit et rechercher d’abord les faits avant de les qualifier.

- L’évolution du rôle du juge dans l’élaboration du droit.

Le juge a également vu se renforcer sa place dans le cœur du procès civil s’agissant de l’élaboration du droit.

D’abord, l’émergence du principe de célérité fait du juge le maître du temps dans le cadre de l’instance. C’est, en effet, le juge qui, veille au bon déroulement de l’instance ; il a le pouvoir d’impartir les délais et d’ordonner les mesures nécessaires.

C’est ainsi, par exemple, que le juge de la mise en état rythme les débats et peut, après avoir recueilli l’accord des avocats, fixer un calendrier de la mise en état.

C’est aussi pour renforcer et faciliter le travail du juge, que l’article 758 et 954 du Code de Procédure Civile pose le principe, des conclusions récapitulatives.

Ensuite, si cette place centrale du juge se manifestait déjà à travers la possibilité de relever des moyens d’office, ou de manière générale, dans l’application de la règle de droit, son rôle se trouve renforcé depuis le processus de « fondamentalisation » du droit qui met le juge au cœur de la technique juridique tant d’un point de vue procédurale que substantielle.

C’est ainsi que le juge de cassation est, depuis la réforme qui a introduit dans le droit français la question prioritaire de constitutionnalité, l’organe chargé de vérifier les caractères nouveaux et sérieux des questions que les plaideurs souhaitent soumettre à la censure du Conseil constitutionnel.

Il en va également ainsi s’agissant de la mise à l’écart de la règle de la règle légale au profit du droit international et notamment européen qui, en vertu de l’article 55 de la Constitution a une valeur supra législative.

A cela s’ajoute l’article 4 du code civil qui prévoit le déni de justice ce qui empêche le juge de laisser une affaire sans réponse sous prétexte du silence ou de l’obscurité de la loi.

Source : Décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire.

Benoit Henry, bhenry chez recamier-avocats.com
Avocat Spécialiste de la Procédure d’Appel
Barreau de Paris
http://www.reseau-recamier.fr/
bhenry chez recamier-avocats.com
Président du Réseau Récamier
Membre de Gemme-Médiation
https://www.facebook.com/ReseauRecamier/

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Discussions en cours :

  • Je ne suis pas d’accord avec vous. Oui la justice privée, comme la médiation et l’arbitrage, vient concurrencer la justice publique traditionnelle et c’est tant mieux.
    Le système de justice traditionnel est débordé et la crise sanitaire vient aggraver cette situation. Le choix de recourir à la médiation ou l’arbitrage permet d’obtenir un accord ou une sentence plus rapidement que devant les tribunaux, pour moins cher et cela favorise l’accès à la justice des citoyens et des entreprises.
    Les gouvernements l’ont d’ailleurs parfaitement compris et favorisent le recours aux modes alternatifs de règlement des différends non pas pour compléter l’œuvre des tribunaux judiciaires, mais bien pour déléguer au privé certains dossiers et ainsi permettre aux Juges de se concentrer sur les cas les plus complexes et leur permettre d’exercer leur pouvoir régalien de justice pénale ou familiale.
    Face à cette transformation du droit, la tentation est grande de vouloir surréglementer ces activités alors que le recours à la médiation et l’arbitrage doit être simplifié et favorisé.
    Me Ivan Kasic
    Président de Justicity.com

    • par BENOIT HENRY , Le 4 novembre 2020 à 12:56

      Cher Monsieur,

      En dix ans, c’est une « offre de justice plurielle » qui a émergée, proposant à tout justiciable le contentieux ou de multiples modes alternatifs de règlement des différends (MARD), sous des appellations diverses et au travers d’une multitude de dispositions, permettant selon le professeur Loïc Cadiet de déterminer pour « chaque type de conflit, son mode de solution approprié, les uns n’excluant pas les autres et, pour un même conflit, susceptible d’évoluer dans le sens d’un apaisement ou, au contraire, d’une aggravation ».

      Il ajoute qu’il « doit être possible d’aller de l’un à l’autre et vice versa, ce que la loi doit assurer de manière flexible en recourant, notamment, à la technique des passerelles dans une gestion fine de l’orientation des affaires ».

      Or, un tel exercice suppose de maîtriser les principes directeurs du procès et les concepts mis en œuvre ainsi que la finalité des modes alternatifs.

      Il devient alors nécessaire de fournir un fil d’Ariane permettant à tout un chacun de se retrouver dans ce dédale des contentieux et des MARD, afin de trouver sa voie dans l’environnement luxuriant qu’ils offrent.

      Benoit HENRY
      Président du Réseau RECAMIER

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