Face à l’arrêt des soins du mineur en fin de vie, la volonté du médecin prime sur celle des parents.

Par Margaux Chassery.

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Explorer : # fin de vie # décision médicale # droits des parents # droit à la vie

Dans l’arrêt Afiri et Biddarri c. France du 23 janvier 2018, la Cour européenne des droits de l’Homme donne raison au médecin qui décide d’arrêter les soins d’un mineur en fin de vie, malgré l’opposition des parents.

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La Cour a tranché, à l’occasion de l’arrêt Afiri et Biddarri c. France du 23 janvier 2018, la question épineuse de la conformité à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) d’une décision d’arrêt des soins maintenant en vie un mineur, prise par les médecins en dépit de l’opposition de ses représentants légaux. Les médecins pouvaient-ils ignorer l’avis défavorable des parents sur l’arrêt des soins ? Avis qui devait inévitablement amener au décès de leur fille…

En l’espèce, Inès, âgée de 14 ans, se trouvait dans un état végétatif après un arrêt cardio-respiratoire en juin 2017. Au regard de l’état critique de la jeune fille, l’ensemble de l’équipe médicale se réunit un mois plus tard et se prononça en faveur de l’interruption des traitements. S’ensuivit alors un périple judiciaire pour les parents d’Inès : ils saisirent le tribunal administratif d’une requête en référé visant la suspension de l’exécution de la décision d’arrêt des traitements, et firent appel devant le Conseil d’État du rejet de leur demande par les juges du fond. Suite à la confirmation du rejet par le Conseil d’État, ils déposèrent une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme.

En effet, en droit interne, l’article L. 1111-5-1 du Code de la santé publique prévoit que la décision d’arrêter les soins est prise à l’issue d’une procédure collégiale, définie par voie réglementaire, dans l’hypothèse où le patient serait hors d’état de s’exprimer. La décision finale appartient alors au médecin en charge du patient, après qu’il ait recueilli l’avis des titulaires de l’autorité parentale.

Si la loi française soumet généralement l’intervention médicale à l’autorisation expresse des représentants de l’enfant mineur (article 371-1 du Code civil), elle ne souffle mot sur l’hypothèse d’un désaccord entre les parents et le médecin relatif à l’interruption des traitements.

Les requérants (les parents d’Inès), saisirent alors la Cour en vue d’obtenir des mesures provisoires urgentes. Ils faisaient valoir une violation de l’article 2 de la CESDH, qui garantit le droit à la vie, et des articles 8 et 13 de la CESDH, qui consacrent respectivement le droit à la vie privée et le droit à un recours effectif devant le juge national.

La Cour déclara néanmoins leur requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

En premier lieu, elle relève, par référence à l’affaire Lambert c. France, qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe sur les questions relatives aux fins de vie. Les États membres disposent, en effet, d’une marge d’appréciation en la matière, ce qui restreint le contrôle de la Cour à seulement trois aspects : l’existence d’un cadre législatif, la prise en compte des souhaits précédemment exprimés par les proches du patient et de l’avis du corps médical, ainsi que la possibilité d’exercer un recours juridictionnel pour contester la décision d’interruption des traitements.

La Cour applique ensuite ces principes à l’espèce. Elle précise que le droit français pertinent, issu de la loi du 2 février 2016, encadre de manière suffisamment claire la décision du médecin d’arrêter des traitements résultant d’une obstination déraisonnable à maintenir le patient en vie. Plus précisément, elle note que le Code de la santé publique impose au médecin de consulter les parents titulaires de l’autorité parentale lorsque l’intéressé est mineur.

Concernant la seconde exigence, la Cour estime que la procédure collégiale en l’espèce est conforme à la loi dans la mesure où les parents ont été consultés à six reprises.

Enfin, elle conclut à l’absence de violation à l’article 2 garantissant un recours juridictionnel effectif : les requérants ont pu saisir en référé le tribunal administratif et le Conseil d’État. Dans les deux cas, les juges ont opéré un contrôle de légalité complet de la décision.

La Cour européenne confirme ainsi sa jurisprudence restrictive relative à la recevabilité des requêtes contre les décisions d’arrêt des soins : elle avait déjà déclaré irrecevable, dans l’arrêt du 27 juin 2017 Gard c. Royaume-Uni, une demande de mesures conservatoire formulée par les parents d’un enfant atteint d’une maladie génétique incurable. Elle consacre, de ce fait, la primauté de la volonté du médecin l’arrêt des soins sur celle de ses propres parents.

Margaux Chassery
Thuegaz-Avocats

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