Une patiente a subi des transfusions de produits sanguins en 1979, 1980 et 1987. Cependant, elle a pris connaissance en 1993 de son infection par le virus de l’hépatite C. Convaincue de ce qu’elle a contracté cette pathologie par les transfusions reçues, elle assigne l’Établissement Français du Sang (EFS) afin d’obtenir réparation des préjudices qu’elle a eus à subir du fait de sa contamination par le virus de l’hépatite C.
La Cour d’appel de Bordeaux [1] fait droit aux demandes de la victime et lui alloue différentes sommes au titre du préjudice spécifique de contamination, du préjudice d’agrément et du déficit fonctionnel temporaire.
Intervenu volontairement au cours de la procédure d’appel, l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) se pourvoit en cassation alléguant d’une part que la guérison fait obstacle à ce que soit caractérisé un préjudice spécifique de contamination pour la victime ; d’autre part que l’ONIAM définit le préjudice d’agrément comme « l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs » (adhérant ainsi à la définition donnée par la nomenclature DINTILHAC). Or, le préjudice d’agrément n’existait plus au jour où la Cour d’appel statuait, par suite de la guérison sans lésions séquellaires de la victime, et qu’en conséquence le lien de causalité entre la contamination et un préjudice actuel s’était éteint par la guérison de la victime.
Les magistrats du Quai de l’Horloge avaient alors à se prononcer sur la qualité de la guérison de la victime d’une contamination post-transfusionnelle par l’hépatite C : obstacle à la réparation ou indifférence ?
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation [2] rappelle en substance une solution déjà connue de ce type de contentieux : « le préjudice spécifique de contamination peut être caractérisé même dans le cas d’une guérison après traitement », (…) « il s’apprécie alors pendant la durée de la période au cours de laquelle la victime a subi les angoisses et perturbations liées à la maladie ». Le pourvoi se trouve alors rejeté et la victime confirmée dans l’indemnisation de ses préjudices.
Si la solution n’est pas nouvelle et ne mérite pas, per se, un commentaire, deux observations peuvent être formulées sur cet arrêt. Actuel ou pas, le préjudice est bel et bien réel et quand bien même la guérison soit salutairement intervenue, elle ne fait pas obstacle à la réparation des préjudices de la victime (1). Plus floue est cependant la distinction entre préjudice spécifique de contamination, déficit fonctionnel et préjudice d’agrément (2).
1. La guérison de la victime indifférente à la réparation de son préjudice spécifique de contamination.
La Cour de cassation a défini le préjudice spécifique de contamination, comme : « l’ensemble des préjudices de caractère personnel (…) tant physiques que psychiques et résultant, notamment, de la réduction de l’espérance de vie, des perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle ainsi que des souffrances et de leur crainte, du préjudice esthétique et d’agrément ainsi que de toutes les affections opportunistes consécutives à la déclaration de la maladie » - [3] [4]
Cette définition d’un préjudice que la Cour a tenu à qualifier de « spécifique » est marquée par la forme latente de la maladie. En effet, il ressort tant de la lecture de cette définition que de celle de la construction d’un régime spécial en cas de contamination par le VIH ou l’hépatite C [5] que la pathologie est de forme évolutive, empêchant logiquement de saisir les entiers préjudices sans craindre de ne pas les saisir entièrement.
À pathologie spécifique, solution spécifique. C’est en substance ce qu’avait déjà formulé la Cour de cassation en matière de guérison de la victime [6] . De manière tout à fait similaire, la victime de contamination post-transfusionnelle par le virus de l’hépatite C s’était vue octroyée une indemnisation au titre de la réparation de son préjudice spécifique de contamination par les juges du fond [7] . L’EFS avait alors tenté de se pourvoir au moyen que la guérison de la victime fait obstacle à la reconnaissance de ce préjudice, « lequel ne peut exister qu’en l’état d’une pathologie évolutive ». Cependant, la Cour de cassation n’était pas entrée en voie de cassation et avait rejeté, de manière espérée, le pourvoi, au motif que la victime avait subi un préjudice spécifique de contamination « durant une période déterminée ayant pris fin à la date de sa guérison ». Exposant sa conception du préjudice spécifique de contamination qui a vocation à réparer « les souffrances dues au traitement de la maladie, l’inquiétude sur l’avenir et les perturbations causées à la vie familiale et sociale », la solution s’imposait d’elle-même.
Dans le présent arrêt commenté, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne statue que dans la droit lignée de sa jurisprudence antérieure. Ainsi, la guérison est indifférente à la réparation du préjudice spécifique de contamination. Ce dernier s’apprécie alors « pendant la durée de la période au cours de laquelle la victime a subi les angoisses et perturbations liées à la maladie ».
2. La distinction entre préjudice d’agrément, déficit fonctionnel temporaire et préjudice d’agrément.
La victime s’est vue allouer par les juges du fond une indemnisation en réparation de son déficit fonctionnel temporaire, de son préjudice spécifique de contamination et de son préjudice d’agrément.
Si la question de la distinction ne se pose pas formellement dans cet arrêt, ce dernier permet un bref rappel de la distinction entre les trois préjudices.
L’ Assemblée plénière de la Cour de cassation avait déjà pu définir le préjudice d’agrément comme « le préjudice subjectif à caractère personnel résultant des troubles ressentis dans les conditions d’existence » [8]. De définition large, la question s’était posée de savoir si la Cour de cassation ne remettait pas en cause sa conception objective et particulièrement large du préjudice d’agrément.
Néanmoins, si la question a demeuré un temps [9], la solution fut apportée par la deuxième chambre civile le 28 mai 2009 [10]. Dans des faits similaires à ceux du présent arrêt (sauf en ce que la victime était en l’espèce décédée des suites de sa pathologie), la Cour d’appel [11] avait accordé à la victime l’allocation d’indemnités au titre du préjudice spécifique de contamination, d’incapacité temporaires et permanentes et du préjudice d’agrément. Elle retenait en substance, pour ce dernier, que la victime était confinée à son domicile, ne pouvait plus s’adonner à ses activités de loisirs ni s’occuper de ses petits-enfants.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, au visa de l’article 1147 du Code civil et du principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit aux motifs que « le dommage réparé au titre du préjudice d’agrément se rattachait à la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante prise en compte dans l’indemnisation de " l’incapacité temporaire totale ou partielle " désormais comprise dans le poste de préjudice dénommé " déficit fonctionnel temporaire ». Cela revient à dire que la Cour d’appel a indemnisé deux fois le même préjudice. Comme le note le Professeur JOURDAIN, « ce motif, déjà fort clair, fait apparaître que le préjudice d’agrément ne peut plus être conçu de façon objective, et que ce que l’on indemnisait autrefois sous cette qualification est désormais inclus dans le déficit fonctionnel » [12] .
Dans un effort pédagogique particulièrement louable, les magistrats du Quai de l’Horloge ont énoncé les définitions de déficit fonctionnel et de préjudice d’agrément comme suit : « pour l’indemnisation du préjudice corporel, la réparation des postes de préjudice dénommés déficit fonctionnel temporaire et déficit fonctionnel permanent inclut, le premier, pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le second, pour la période postérieure à cette date, les atteintes aux fonctions physiologiques, la perte de la qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales ; qu’il s’ensuit que la réparation d’un poste de préjudice personnel distinct dénommé préjudice d’agrément vise exclusivement à l’indemnisation du préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs » [13] .
Appliqué aux présents faits commentés, il ne restait plus qu’à déterminer si le préjudice d’agrément pouvait n’être que temporaire, à l’instar du déficit fonctionnel. La victime avait été empêchée d’exercer une activité artistique. Tombant, a priori, sous le coup de la définition précédemment vue du préjudice d’agrément, la Cour de cassation n’a pas eu à répondre à la seconde branche du moyen de l’ONIAM sur la question, la jugeant irrecevable. Il eut pourtant été intéressant de connaître l’articulation qu’entend avoir la Cour de cassation avec les deux définitions de déficit fonctionnel et préjudice d’agrément, le premier (déficit fonctionnel temporaire) ayant vocation à indemnisé les « pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante », le second l’empêchement de la victime à pratiquer « régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs » [14] . Dans cet arrêt, la notion de régularité semble emporter l’adhésion à l’inscription de la pratique d’une activité artistique reconnue au préjudice d’agrément.
Il semble devoir être conclu que la Cour de cassation admet implicitement qu’un préjudice d’agrément temporaire puisse exister et que par conséquent il soit indemnisé pour la durée duquel il est ressenti par la victime.