Extrait de : Vaughan Avocats

Le harcèlement moral ne provoque pas nécessairement une dépression ou un burn out chez la victime.

Par Lucie Jeannesson et Romain Courbon, Avocats.

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Explorer : # harcèlement moral # témoignages # management abusif # préjudice moral

Des méthodes de management qui se traduisent par du stress et de l’anxiété peuvent constituer un harcèlement moral. Dans un arrêt rendu le 18 mai 2021 (RG n° 19/00730), la Cour d’appel de Limoges juge que « ce n’est pas parce que [la salariée] n’a pas sombré dans la dépression ou qu’elle n’a pas développé un burn-out, qu’elle n’a pas subi un préjudice moral sérieux en ayant travaillé pendant plusieurs années sous le management abusif de M. Z. »
Une salariée subissant des méthodes de management brutales caractérisées par une pression constante demande à être indemnisée du préjudice qu’elle affirme avoir subi tant au titre du harcèlement moral qu’au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat.

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Pour mémoire, le harcèlement moral suppose pour être caractérisé la réunion de ces 3 éléments :
- des agissements répétés ;
- une dégradation des conditions de travail ;
- une atteinte aux droits et à la dignité du salarié, à sa santé physique ou mentale ou à son avenir professionnel. L’atteinte portée au salarié peut alternativement porter sur l’un de ces éléments (Cass. soc, 10 mars 2010, n° 08-44.393, n°08-44.394).

1. Des méthodes de management peuvent caractériser un harcèlement moral

Le Code du travail ne précise pas la nature des agissements susceptibles de constituer un harcèlement moral mais envisage ce dernier sous l’angle des conséquences des agissements sur les droits, la dignité ou encore la santé.
La jurisprudence admet que les agissements consistent en des méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique (Cass. soc. 10 nov. 2009 n° 07-45321).
En l’espèce, les juges ont identifié les agissements à l’origine du harcèlement moral :
-  le management de M.Z était suffisamment problématique pour être à l’origine de la démission de plusieurs personnes et le mode de management empreint de violence psychologique ne se limitait pas à la seule salariée ;
-  l’absence de plainte auprès des supérieurs hiérarchiques ne peut être considérée comme significative.

2. Des témoignages non corroborés par un certificat médical sont suffisants pour établir le harcèlement

L’article L. 1154-1 du Code du travail établit un régime de preuve dérogatoire au droit commun en prévoyant qu’en cas de litige relatif au harcèlement moral, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Dans un second temps, au vu de ces éléments, il incombe au défendeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Ainsi, la charge de la preuve du harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié.
Pour établir la dégradation de son état de santé, la salariée ne fournit ni certificat médical ni arrêt de travail mais produit uniquement les témoignages suivants qui satisfont à l’exigence probatoire :
-  Les témoignages précis et circonstanciés de collègues de travail à propos du « climat lourd » et l’ « ambiance pesante » ;
-  Le témoignage de l’ancien compagnon et de la mère de la salariée qui constatent un état de stress et de surmenage, des insomnies et des pleurs ;
Pour être recevables, les témoignages doivent provenir de témoins directs comme des anciens salariés, collègues, ou des clients habituels de l’entreprise et relater des faits précis et circonstanciés.

Cette exigence explique l’opposition des juges à reconnaître une force probante aux seuls témoignages émanant des proches de victime de harcèlement, en raison d’un défaut d’impartialité, notamment lorsqu’ils relatent les agissements qu’ils n’ont pas pu constater directement.
En revanche, les témoignages de membres de la famille ou d’amis, dès lors qu’ils ne se contentent pas de rapporter les dires de la prétendue victime mais qu’ils constatent les conséquences des agissements sur la santé du salarié, visibles dans la sphère privée, sont recevables s’ils sont corroborés par d’autres témoignages précis de salariés.

Les témoignages sont d’autant plus précieux qu’un médecin peut uniquement établir des certificats ou attestations sur la base des constatations médicales qu’il a été en mesure de faire.

Dans tous les cas, un témoignage unique devra être corroboré par d’autres éléments et a minima par d’autres témoignages ou attestations.
Ainsi, les témoignages permettent à la victime d’établir non seulement :
-  l’élément matériel : les agissements (propos, méthode de management, mise à l’écart…) ;
-  le lien de causalité entre les agissements et la dégradation de l’état de santé (l’état de la victime ne doit pas résulter d’un état psychologique antérieur ou de problèmes d’ordre personnel)

3. Le harcèlement moral ne provoque pas nécessairement une dépression ou un burn out chez la victime

La solution est l’occasion de préciser que « ce n’est pas parce qu’elle [la salariée] n’a pas sombré dans la dépression ou qu’elle n’a pas développé un burn-out, qu’elle n’a pas subi un préjudice moral sérieux en ayant travaillé pendant plusieurs années sous le management abusif de M. Z. Son préjudice sera évalué à la somme de 15.000 €  »

Les termes utilisés par les juges pour traduire le préjudice sur la santé mentale de la victime du harcèlement sont variés (souffrance au travail, anxiété, dépression, syndrome anxio-dépressif) mais appréhendent une même réalité qu’il convient de réparer : l’atteinte psychique des victimes.
En conséquence, le préjudice moral est caractérisé même en l’absence de dépression et de burn-out.

4. La réparation du manquement à l’obligation de sécurité n’est pas automatique

La Cour d’appel a néanmoins jugé que la salariée, dont le préjudice a été réparé au titre du harcèlement moral, ne démontre pas un préjudice distinct au titre du manquement à l’obligation de sécurité. Cette dernière est ainsi déboutée de la demande indemnitaire formulée sur ce fondement.

Depuis 2016, la Cour de cassation exige au nom de l’obligation de sécurité que l’employeur prenne toutes les mesures de prévention et notamment qu’il ait (préalablement) mis en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral (Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702, Cass. soc., 5 oct. 2016, n° 15-20.140).
La Cour d’appel considère que le seul manquement à l’obligation de sécurité ne suffit pas à caractériser un préjudice distinct de celui résultant du harcèlement moral.

En exigeant la démonstration d’un préjudice, peu important que le manquement à l’obligation de sécurité soit démontré ou non, la Cour d‘appel de Limoges s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation qui abandonne peu à peu la référence au préjudice automatique (ou « nécessaire ») depuis 2016.

Lucie Jeannesson, Avocat directrice
et Romain Courbon, avocat Collaborateur,
du département Droit Social
Vaughan Avocats
www.vaughan-avocats.fr

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