Loi Littoral et responsabilité - les frais d’architecte et d’avocat sont à rembourser.

Par Pierre Jean-Meire, Avocat.

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Explorer : # responsabilité administrative # loi littoral # urbanisme # indemnisation

La commune d’Erquy dans les Côtes-d’Armor vient de faire les frais de la mauvaise application de la loi Littoral. Elle rejoint ainsi la longue liste des commune bretonnes condamnées à verser des dommages et intérêts (V. par exemple Loi littoral et action en responsabilité, condamnation de Locmaria-Plouzané à plus de 200 000 euros)
(TA Rennes 16 juin 2023 Commune d’Erquy n° 2004344).

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Un particulier avait fait des démarches auprès de cette commune, en vue d’obtenir des autorisations d’urbanisme sur un terrain situé 2 rue des Sternes. Son objectif était de construire, d’une part, une maison d’habitation, et d’autre part, une extension de la maison d’habitation existante.

En effet le PLU de la commune classait ces parcelles en zone urbaine UAf pouvant accueillir des constructions nouvelles.

Des permis de construire ont alors été accordés mais suite à l’action de tiers, la justice administrative les a annulés au motif que ce tènement foncier n’était pas situé dans un espace urbanisé de la bande de cent mètres.

L’intéressé s’est alors retourné contre la commune d’Erquy afin d’obtenir sa condamnation à lui verser des dommages et intérêts.

Le Tribunal administratif de Rennes a alors fait partiellement droit aux demandes en reconnaissant que la commune d’Erquy avait bien commis des fautes (I./) de nature à entraîner d’importants préjudices (III/.). Les juges ont toutefois relevé l’existence d’une faute de la victime devant réduire son préjudice (II/.).

I./ Sur les fautes de la commune d’Erquy dans l’application de la loi Littoral.

Selon une jurisprudence administrative constante, rappelé par la cour administrative d’appel dans la décision commentée : « toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain » [1].

L’illégalité fautive ici invoquée concernait le fait que le secteur dans lequel était situé le terrain en cause n’était pas dans un espace urbanisé de la bande de cent mètres au sens de l’article L121-16 du Code de l’urbanisme.

Les juges administratifs condamnent alors fréquemment les communes faisant une mauvaise application de de la loi Littoral et notamment l’article L121-8 du Code de l’urbanisme [2].

En l’espèce, le jugement relève que :

« ainsi que l’ont jugé le tribunal puis la Cour administrative d’appel de Nantes, les permis de construire du 27 juin 2013 et du 17 septembre 2015 ont autorisé des constructions nouvelles sur le terrain d’assiette cadastré section AL nos 1 et 134, qui borde la plage de Caroual à moins de cent mètres du littoral, en dehors du bourg d’Erquy, dans un secteur à dominante naturelle ne faisant pas partie d’un espace urbanisé et ont ainsi été délivrés en méconnaissance des dispositions du III de l’article L146-4 du Code de l’urbanisme, désormais codifiées à l’article L121-16 du Code de l’urbanisme ».

Outre l’illégalité de ces autorisations d’urbanisme, le tribunal relève également que

« le plan local d’urbanisme de la commune d’Erquy était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation en tant qu’il classait le terrain d’assiette du projet, cadastré section AL nos 1 et 134, en zone urbaine UAf pouvant accueillir des constructions nouvelles au sein de la bande des cent mètres dans un espace qui n’était pas urbanisé au sens du III de l’article L146-4 du Code de l’urbanisme ».

La sentence du tribunal est alors implacable :

« les illégalités entachant les permis de construire délivrés le 27 juin 2013 et le 17 septembre 2015 ainsi que le classement en zone constructible des parcelles cadastrées section AL nos 1 et 134 en zone constructible alors que le terrain litigieux se trouvait situé dans la bande littorale des cent mètres en dehors d’un espace urbanisé caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions, sont constitutives de fautes de nature à engager la responsabilité de la commune d’Erquy ».

Pour tenter d’échapper à sa responsabilité, la commune d’Erquy avait également invoqué le fait que l’architecte du requérant avait manqué à son obligation de conseil en n’informant pas son client de ce risque. L’argument est sèchement écarté par le tribunal qui estime que cette circonstance « n’est pas de nature à écarter la responsabilité de la commune en raison des illégalités qu’elle a commises dans la mise en œuvre du droit de l’urbanisme ».

Si cet argument n’a pas fait mouche, celui relatif à la faute de la victime, au contraire, a eu plus de succès.

II/. Sur la faute de la victime reconnue par le Tribunal administratif de Rennes.

Il arrive très fréquemment que pour tenter de réduire leur part de responsabilité, les communes ayant fait de mauvaises applications de la loi Littoral, invoquent l’existence d’une faute de la victime.

Très généralement, cet argument est écarté, même lorsque l’attention d’un acquéreur est attirée sur l’application de la loi Littoral :

« En premier lieu, l’acte de vente du 25 novembre 2014 stipulait que "les dispositions de la loi littoral étant d’une valeur juridique supérieure au [...] plan local d’urbanisme, l’acquéreur déclare avoir été averti que la constructibilité du terrain objet des présentes peut être remise en cause par une interprétation restrictive que pourrait faire le juge administratif. L’acquéreur déclare avoir eu connaissance, dès avant ce jour, de cette situation, vouloir en faire son affaire personnelle et s’interdire toute action à ce sujet contre le vendeur". Cependant, et contrairement à ce que soutient la commune de Meschers-sur-Gironde, M. B..., qui n’est pas un professionnel de l’immobilier, n’a pas commis d’imprudence fautive en accordant crédit au certificat d’urbanisme erroné délivré par la commune, attestant de la faisabilité de son projet, et sur la base duquel il a acquis en tant que terrain constructible la parcelle susmentionnée en vue d’y construire une maison d’habitation. En outre, la mention du certificat d’urbanisme selon laquelle "les dispositions de la loi littoral sont applicables sur le territoire de la commune" n’est pas de nature à exonérer, même partiellement, la commune de sa responsabilité, dès lors que le certificat mentionnait également, et sans équivoque, que "le terrain objet de la demande peut être utilisée pour la réalisation de l’opération envisagée" et que l’intéressé pouvait ainsi légitimement penser qu’aucune de ces mentions ne permettait de douter du caractère constructible du terrain » [3].

Ce n’est que lorsque l’acquéreur en cause est un professionnel de l’immobilier que la jurisprudence estime fréquemment, qu’il a commis une imprudence fautive réduisant ses droits à indemnisation.

En l’espèce, le requérant était un particulier et le tribunal a tout de même reconnu une faute de la victime. Il faut dire que les circonstances de l’espèce étaient assez exceptionnelles.

En effet, le requérant appartenait à l’association pour la protection des sites d’Erquy et ses environs "Erquy Environnement", dont il était trésorier et administrateur. Cette association lui a alors fait connaître dès l’origine son opposition à ce projet et les motifs s’y opposant.

Ainsi, les juges administratifs rennais ont estimé que

« par son engagement actif au sein de l’association "Erquy Environnement" qui a pour but la protection de l’environnement et en particulier du littoral sur le territoire de la commune d’Erquy et l’a clairement alerté sur les risques d’illégalité, malgré le classement du terrain et les permis de construire délivrés, M. B ne pouvait ignorer que son projet de construction était de nature à méconnaître les dispositions particulières de la loi littoral qu’il connaissait. Dans les circonstances particulières de l’espèce, il sera fait une exacte appréciation de la faute commise par M. B en estimant qu’elle est propre à exonérer la commune d’Erquy à concurrence d’un cinquième de la responsabilité qu’elle encourt à l’égard du requérant ».

La solution est assez stricte et tend à donner aux associations locales un point important dans l’application du droit de l’urbanisme ce qui est surprenant.

Toutefois, le pourcentage de la réduction opérée, à savoir seulement 20%, permet de relativiser cette importance.

Enfin, en utilisant la locution « dans les circonstances particulières de l’espèce » le tribunal prend bien soin de préciser qu’il s’agit d’une solution très exceptionnelle qui n’a pas vocation à être transposée à d’autres contentieux.

III/. Sur les préjudices indemnisables du fait des fautes de la commune d’Erquy.

La responsabilité de la commune étant engagée, les juges devaient ensuite se pencher sur les préjudices indemnisables.

Très généralement, le principal préjudice invoqué dans ce type de contentieux est constitué par les coûts d’acquisition trop élevé d’un terrain acheté comme constructible alors qu’il ne l’est pas.

Ce préjudice de perte de valeur vénale peut alors être très important et représenter des montant de plusieurs centaines de milliers d’euros [4].

Les préjudices en cause dans cette affaires étaient différents.

En effet, le requérant avait déjà édifié une construction sur ce terrain et aucune perte de valeur vénale n’était envisageable.

Par contre, deux postes de préjudices ont été retenus.

D’une part, les frais d’architectes, d’étude thermique et d’huissier de justice qui ont été dépensés pour la constitution des deux permis de construire illégaux et annulés par la justice administrative. Selon le Tribunal administratif de Rennes :

« Le requérant justifie du paiement le 3 octobre 2014 des honoraires d’un architecte pour un montant de 6 000 euros, du paiement de frais d’étude au titre de la réglementation thermique le 16 octobre 2013 et le 3 octobre 2014 pour un montant de 1 437,20 euros, du paiement de frais liés à la réalisation de deux constats d’huissier réalisés les 4 octobre et 4 décembre 2013 concernant le permis de construire délivré le 27 juin 2013 et de deux autres constats d’huissier réalisés les 29 septembre et 3 décembre 2015 pour un montant de 1 619,52 euros. Ce chef de préjudice s’établit à la somme de 9 056,72 euros. Compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 6 du présent jugement, l’indemnité à verser à M. B à ce titre s’établit à la somme de 7 245,38 euros ».

D’autre part, l’intéressé a obtenu le remboursement de ses frais d’avocat.

Il ressort en effet de la jurisprudence du Conseil d’Etat que : « 9. Les frais de justice exposés devant le juge administratif en conséquence directe d’une faute de l’administration sont susceptibles d’être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à celle-ci, dans les conditions suivantes. Lorsqu’une partie avait la qualité de demanderesse à une instance à l’issue de laquelle le juge annule pour excès de pouvoir une décision administrative illégale, la part de son préjudice correspondant à des frais exposés et non compris dans les dépens est réputée intégralement réparée par la décision que prend le juge dans l’instance en cause sur le fondement de l’article L761-1 du Code de justice administrative. Lorsqu’en revanche une partie autre que l’administration ayant pris la décision illégale avait la qualité de défenderesse à une telle instance ou relève appel du jugement rendu à l’issue de l’instance ayant annulé cette décision, les frais de justice utilement exposés par elle, ainsi que, le cas échéant, les frais mis à sa charge par le juge au titre de l’article L761-1 du Code de justice administrative, sont susceptibles d’être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à l’administration » [5].

Les juges administratifs rennais ont fait alors application de ce principe jurisprudentiel.

L’intéressé demandait le remboursement de la somme de 22 066,37 euros déboursée au titre des frais qu’il a exposés, en qualité de partie, pour défendre la légalité des permis de construire qui lui ont été délivrés par la commune d’Erquy.

Selon le tribunal,

« ces sommes n’ont pas donné lieu à paiement au titre des dispositions de l’article L761-1 du Code de justice administrative, dès lors que M. B avait la qualité de partie perdante dans les instances engagées. Par suite, ces frais de conseil doivent être regardés comme présentant un lien direct avec la faute commise par la commune. Compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 6 du présent jugement, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d’Erquy le paiement d’une somme de 17 653,10 euros ».

Trop peu souvent, les bénéficiaires d’un permis de construire annulé ignorent la possibilité qu’ils ont de se faire rembourser les frais d’avocat qu’ils ont déboursés pour se défendre.

Même si une action est souvent nécessaire, il est quasi-systémiquement fait droit aux demandes par les tribunaux.

Elle mérite donc, d’être engagée.

Pierre Jean-Meire
Avocat au Barreau de Nantes
Cabinet d’avocat Olex
www.olex-avocat.com
https://twitter.com/MeJEANMEIRE

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Notes de l'article:

[1CE 30 janvier 2013 M. Imbert n° 339918, publié au recueil.

[2V. outre l’exemple de la commune de Locmaria-Plouzané ci-dessus Terrain inconstructible et loi Littoral - condamnation de Meschers-sur-Gironde https://www.olex-avocat.com/post/terrain-inconstructible-et-loi-littoral-condamnation-de-meschers-sur-gironde

[3CAA de Bordeaux, 5ème chambre, 30/11/2021, 20BX00238, Inédit au recueil Lebon.

[4V. sur ce point notre article Loi Littoral et terrain inconstructible - condamnation de Porto-Vecchio à 736 000 euros https://www.olex-avocat.com/post/loi-littoral-et-terrain-inconstructible-condamnation-de-porto-vecchio-à-736-000-euros

[5Conseil d’État, 4ème - 1ère chambres réunies, 20/06/2022, 438885.

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