De l’impact concret de certaines dispositions de l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile.

Par Françoise Hecquet et Romain Bruillard, Avocats.

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Explorer : # responsabilité civile # dommages corporels # réforme juridique # amende civile

Le 29 avril 2016, le Garde des Sceaux a publié un avant-projet portant réforme de la responsabilité civile. L’objet de cet article n’est pas d’étudier chacune des nouvelles dispositions mais de s’arrêter sur certaines d’entre elles dont le bénéfice réel parait discutable.

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Article 1233 : si, dans son premier alinéa, cet article consacre la distinction classique entre responsabilité contractuelle et délictuelle, il la met à mal dans son alinéa 2 en considérant qu’un dommage corporel est toujours réparé sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Ce changement s’explique par la volonté du législateur de mieux protéger la victime d’un dommage corporel, en évitant qu’elle se voie opposer les clauses aménageant la responsabilité figurant dans le contrat qu’elle a conclu. A y regarder de plus près, cette innovation pourrait toutefois se retourner contre la victime en l’obligeant à rapporter la preuve d’une faute de son cocontractant.
En effet, en matière de responsabilité contractuelle, l’obligation de sécurité à laquelle est tenue une partie est le plus souvent de résultat, de sorte que sa responsabilité est retenue toutes les fois qu’elle cause un dommage corporel à son co-contractant qui n’aura pas à se préoccuper de démontrer l’existence d’une faute. Or, en obligeant la victime à se placer sur le fondement délictuel, la preuve de la faute de son co-contractant lui incombera et elle ne pourra pas bénéficier de la présomption attachée à l’obligation de résultat. Ainsi, il n’est pas certain que le changement de fondement juridique de l’action en responsabilité d’une victime d’un dommage corporel constitue une meilleure protection.

A notre sens, au lieu de l’obliger à agir sous le régime de la responsabilité délictuelle, le projet de réforme aurait dû seulement prévoir l’inopposabilité à la victime des clauses aménageant la responsabilité.

Article 1234 : Cet article met fin à la jurisprudence de l’Assemblé plénière de la Cour de cassation selon laquelle le tiers peut se prévaloir d’un manquement contractuel, sans avoir à prouver que ce manquement constitue une faute délictuelle (Ass. Plé., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255).
En effet, si cet article conserve la possibilité pour un tiers de se prévaloir d’un manquement contractuel, il l’oblige à démontrer que ce manquement constitue une faute délictuelle, à savoir « la violation d’une règle de conduite imposée par la loi ou le manquement au devoir général de prudence ou de diligence » (art. 1242).

Une telle évolution n’emporte pas notre approbation. En effet, elle va créer de nombreux débats sur le point de savoir si tel ou tel manquement contractuel constitue une faute délictuelle permettant alors à un tiers de s’en prévaloir. Le résultat de ces débats sera difficilement prévisible et source d’une grande insécurité juridique.
Cette évolution est en outre inopportune en ce qu’elle risque de limiter les recours en garantie que peuvent exercer entre elles plusieurs sociétés déclarées responsables d’un sinistre et qui ne sont pas liées par un contrat. De même, un maître de l’ouvrage pourrait se voir privé de la possibilité d’agir directement contre un sous-traitant dans la mesure où il n’est pas certain que des non-façons ou des malfaçons constituent une faute délictuelle. Ainsi, cette réforme pourrait conduire à exonérer l’auteur d’un dommage de toute responsabilité dès lors que son manquement contractuel ne constitue pas une faute délictuelle.

Il est vrai que la solution consacrée par l’Assemblée Plénière permet de mieux traiter un tiers que le contractant puisqu’il peut se prévaloir de l’inexécution du contrat, sans se voir opposer les stipulations y figurant (clause aménageant la responsabilité, loi applicable, prescription écourtée…). Cependant, l’obliger à démontrer que ce manquement contractuel constitue une faute délictuelle ne sera d’aucun effet sur cette situation.

Article 1263 : l’obligation pour la victime de minimiser son dommage est consacrée en matière contractuelle. Cette évolution doit être approuvée : être victime d’un dommage ne saurait autoriser une partie à ne pas agir de façon loyale et raisonnée.

Il est néanmoins surprenant que le champ d’application de cet article soit limité à la matière contractuelle. Si l’on peut comprendre que la victime d’un dommage corporel ne soit pas sanctionnée lorsqu’elle n’a pas tenté de le minimiser, rien ne justifie que l’ensemble des victimes d’une faute délictuelle soit exempté de cette obligation. Une telle différence va de nouveau conduire à mieux traiter les tiers qui se prévalent d’un manquement contractuel.
Ainsi, en droit de la construction, un locateur d’ouvrage pourra reprocher au maître de l’ouvrage de ne pas avoir minimisé son dommage, tandis que le sous-traitant ne bénéficiera pas de ce moyen de défense. Le montant des dommages et intérêts mis à la charge d’un sous-traitant pourrait donc être bien plus important que celui encouru par son donneur d’ordre. Une telle différence de traitement n’est pas justifiée et méconnait le principe d’égalité.

Article 1266 : les dommages et intérêts punitifs sont introduits dans notre droit par le biais d’une amende civile due par le responsable lorsqu’il a « délibérément commis une faute lourde, notamment lorsqu’elle a généré un gain ou une économie pour son auteur ».
Si nous ne sommes pas opposés sur le principe à cette amende civile, les conditions dans lesquelles elle pourra être prononcée nous semblent particulièrement obscures et risquent d’entrainer des débats qui auraient pu être évités.

Le texte précise tout d’abord qu’une amende est encourue lorsque le responsable a commis une faute lourde soit «  une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle » (Ch. Mixte, 22 avril 2005, pourvoi n° 03-14112). Cet article précise que cette faute lourde doit avoir été commise délibérément. Or, la qualification de faute lourde ne suppose pas une intention de la commettre. Le législateur aurait donc dû évoquer la faute intentionnelle plutôt que la faute lourde.

Il est également indiqué que cette amende civile est encourue lorsque la faute lourde a généré un gain ou une économie à son auteur, ce que certains appellent la faute lucrative. Toutefois, un tel critère ne participe pas à la qualification de la faute lourde. S’agit-il alors d’une condition cumulative ? L’adverbe « notamment » semble indiquer le contraire, de sorte qu’un enrichissement de l’auteur de la faute lourde servirait uniquement à inciter le juge à prononcer une amende civile.

Nous observons enfin que ces amendes civiles peuvent être très importantes. Outre que le plafond de deux millions d’euros prévu par le texte est élevé, il peut être dépassé dans deux hypothèses puisque le montant de cette amende peut être fixé sans aucune limite à 10% du chiffre d’affaire mondial d’une société ou à dix fois le montant du profit ou de l’économie réalisés. Cet article prévoit néanmoins des critères pour permettre au Juge de déterminer le montant de cette amende en fonction de « la gravité de la faute commise, aux facultés contributives de l’auteur ou aux profits qu’il aura retirés ». Cependant, la conjonction « ou » indique que ces critères d’appréciation sont alternatifs, ce qui signifierait que le juge pourrait condamner le responsable à une amende civile qui ne serait pas proportionnée à ses facultés contributives et au profit qu’il en a retiré, dès lors que cette amende est proportionnée à la gravité de la faute. Pour que les montants des amendes civiles restent raisonnables, il nous semble qu’il faudrait que ces critères soient cumulatifs d’autant que, comme nous l’avons souligné, le plafond de deux millions d’euros peut être facilement contourné.

Article 1267 : cet article va, nous semble-t-il, rendre plus complexe le recours aux transactions en matière d’indemnisation des dommages corporels. Il précise en effet que les articles 1268 et 1278 s’imposent aux transactions conclues entre la victime et le responsable. Or, ces articles règlementent de façon stricte l’indemnisation des dommages corporels qui devra se faire poste par poste suivant une nomenclature très précise (art. 1269) avec, par exemple, des dispositions particulières pour le déficit fonctionnel (art. 1270).

Ainsi, il ne sera plus possible de conclure une transaction dans laquelle la victime se verra allouer une somme forfaitaire indemnisant l’intégralité de son dommage corporel. Ce faisant, on met à mal le grand avantage de la transaction qui était sa simplicité et sa rapidité. Obliger, sous peine de nullité de la transaction, les parties à ventiler le montant de l’indemnité transactionnelle selon les différents postes de préjudice, tout en s’assurant de respecter le référentiel créé par l’article 1277, va nécessairement les dissuader de recourir à une solution amiable. Les transactions permettaient pourtant à la victime de bénéficier rapidement d’une indemnisation.

Françoise HECQUET
Avocat associée

Romain BRUILLARD
Avocat

PHPG

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