De l'inégalité père-mère en matière de retraite : suite … Mais pas fin ! Par Béatrice Ghelber, Avocat

De l’inégalité père-mère en matière de retraite : suite ... Mais pas fin !

Par Béatrice Ghelber, Avocat

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Explorer : # inégalité de genre # retraite # Éducation des enfants # législation sociale

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Dans un précédent article, du 21 septembre 2009,- visible sur www.famille-droit-avocat.com , j’indiquais comment les autorités françaises s’étaient émues ( !) des décisions de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat, indiquant qu’il y avait lieu de donner les mêmes droits aux pères qu’aux mères en matière de bonification pour l’éducation des enfants.

Il convient de noter que les autorités françaises ne se sont vraiment émues que lorsque la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat ont rendu leur décision, alors que celles-ci étaient prévisibles de par la jurisprudence :

 De la Cour de Justice des Communautés Européennes (dénomination de l’époque, puisque, maintenant, il s’agit de la Cour de Justice de l’Union Européenne, et ce depuis l’entrée en vigueur de Traité de Lisbonne, c’est-à-dire le 1er décembre 2009).
Il s’agit donc de la juridiction suprême de l’Union Européenne, juridiction située à Luxembourg.

 Et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, juridiction du Conseil de l’Europe, juridiction située à Strasbourg.

Le législateur a donc « pondu », (c’est peut-être le cas de le dire !), un autre texte pour tenter de passer outre, mais je suis mauvaise langue, car le langage officiel est certainement de se mettre en conformité à ou avec les jurisprudences européennes.

On examinera, donc, la nouvelle loi, loi dont l’application n’est pas encore totalement connue, puisque nous attendons, incessamment, le décret d’application (le décret ne peut être contraire à la loi).

Puis, nous nous interrogerons pour savoir si elle est totalement conforme à la jurisprudence européenne.

CHAPITRE I : Le Nouveau Texte :
la loi (2009-1646 du 24 décembre 2009)
de FINANCEMENT de la SECURITE SOCIALE POUR 2010 (LFSS)

Et plus précisément son article 65 concernant
l’assurance vieillesse des parents.

Loi applicable au 1er avril 2010 (c’est-à-dire aux liquidations de retraite effectuées à partir de cette date).

POUR LES ENFANTS NES (ou adoptés) à partir du 1er janvier 2010

Selon l’article L 351-4 nouveau du code de la sécurité sociale

I – La mère obtient une majoration de durée d’assurance de quatre trimestres par enfant « au titre de l’incidence sur leur vie professionnelle de la maternité, notamment de la grossesse et de l’accouchement. ».

II – De plus, le père ou la mère obtient une majoration de durée d’assurance de quatre trimestres par enfant mineur « au titre de son éducation pendant les quatre années suivant sa naissance ou son adoption ».

CE SONT LES DEUX PRINCIPES DE BASE DE LA LOI

Dans le cas de la majoration pour éducation, les parents décident qui aura la majoration ou décident d’une répartition et ils doivent l’indiquer auprès de la caisse d’assurance vieillesse compétente (on ne sait pas encore laquelle : le décret le précisera), dans les 6 mois à compter du 4ème anniversaire de la naissance de l’enfant (ou de son adoption).

- En cas de désaccord exprimé dans les délais des 6 mois à compter du 4ème anniversaire de la naissance de l’enfant (ou de son adoption), « la majoration est attribuée par la caisse d’assurance vieillesse compétente à celui des parents qui établit avoir assumé, à titre principal, l’éducation de l’enfant pendant la période la plus longue. A défaut, la majoration est partagée par moitié entre les deux parents ».

- En cas de défaut d’option dans le délai, et en l’absence de désaccord exprimé par le père, il y a décision conjointe implicite de désignation de la mère.

- La décision, y compris implicite des parents, ne pourra être modifiée, sauf en cas de décès de l’un des parents avant la majorité de l’enfant. Dans ce cas, l’autre obtient les droits.

III – La loi prévoit aussi une majoration de durée d’assurance de quatre trimestres pour chaque enfant adopté durant sa minorité à ses parents, « au titre de l’incidence sur la vie professionnelle de l’accueil de l’enfant et des démarches préalables à celui-ci ».

Là encore, il y a une option que les parents doivent notifier à la caisse d’assurance vieillesse dans le délai de 6 mois à compter du 4ème anniversaire de l’adoption de l’enfant et là encore, en cas de désaccord, la majoration est attribuée par la Caisse à celui des parents qui établit avoir assumé, à titre principal, l’accueil et les démarches…Ou, à défaut, est partagée entre les deux parents.

Là encore, à défaut d’option dans le délai, il y a décision implicite de désignation de la mère adoptive.

IV – Les droits peuvent être transférés au bénéficiaire d’une délégation totale de l’autorité parentale.

V– Il ne peut y avoir de majoration pour un assuré ayant été privé de l’exercice de l’autorité parentale pendant les quatre premières années de l’enfant.

VI– L’assuré, homme ou femme, ne peut avoir, au titre de la deuxième majoration, plus de trimestres que « le nombre d’années durant lesquelles il a résidé avec l’enfant pendant les quatre années suivant sa naissance ou son adoption ».

VII – L’assuré doit justifier d’une période d’assurance minimale de deux ans préalable, sauf s’il a élevé seul l’enfant pendant tout ou partie des quatre ans suivant sa naissance ou son adoption.

VIII – Le délai de quatre ans ne joue pas si à la date d’effet de demande de la retraite d’un des parents, le délai n’est pas expiré et, dans ce cas-là, le délai est réduit à deux mois à compter de la date de la demande de retraite.

MESURES TRANSITOIRES

1. -POUR LES ENFANTS NES (ou adoptés) à partir du 1er JUILLET 2006 :

Le délai de quatre ans est porté à quatre ans et 6 mois à compter de la naissance ou de l’adoption de l’enfant, soit, au 31 décembre 2010 minimum.

2.-POUR LES ENFANTS NES (ou adoptés) avant LE 1er JUILLET 2006 :

Les deux majorations sont attribuées à la mère « sauf si, dans un délai d’un an à compter de la publication » de la loi du 24 décembre 2009, c’est-à-dire jusqu’au 24 décembre 2010, « le père de l’enfant apporte la preuve auprès de la caisse d’assurance vieillesse qu’il a élevé seul l’enfant pendant une ou plusieurs années au cours de ses quatre premières années (ou des quatre années suivant son adoption) ». Dans ce cas, le père obtient une majoration d’un trimestre par année.

Attention : il faut attendre le décret pour connaître la caisse compétente : celle de la mère ou celle du père, celle du moment de la naissance ou celle de la date de la demande.

CHAPITRE II : l’inégalité… persiste entre pères et mères

I - Non seulement le père n’obtient pas les quatre trimestres prévus pour la mère au motif de la perturbation de la carrière de celle-ci au moment de la naissance.

II - Mais aussi :

1. -concernant les mesures transitoires, c’est-à-dire pour les enfants nés avant le 1er juillet 2006, il n’obtient pas la deuxième partie de la majoration, c’est-à-dire les quatre autres trimestres, sauf s’il prouve,
- et cela ne lui donne qu’un trimestre, au lieu de 4 pour la mère
- avant le 24 décembre 2010,
- qu’il a élevé seul l’enfant pendant une ou plusieurs années, pendant les quatre premières années de l’enfant (ou les quatre années suivant son adoption) condition qui n’est pas demandée à la mère.

2.- concernant les enfants nés à partir du 1er juillet 2006, en l’absence d’option des parents ( par ignorance des textes , par ex…) c’est la mère qui obtient tout.

En conséquence, sous réserve des décrets qui vont paraître, mais un décret ne peut être contraire à la loi, il y a donc là une injustice qui persiste :

• en ce que la mère, elle, n’a pas besoin de prouver qu’elle a élevé seule l’enfant,

• en ce que la mère, obtient, toujours pour l’éducation, 4 trimestres alors que le père n’en obtient qu’un.

III – Il y a bien sûr une amélioration mais elle est totalement insuffisante, car c’est encore présumer que ce sont les mères qui élèvent en priorité les enfants, et que donc, c’est leur rôle de le faire.

Naturellement, on pense aux dégâts que cela va causer en cascades, puisque cela remet en question l’évolution de la société, qui fait que chacun des parents a un rôle fondamental dans la vie de l’enfant et que les deux parents doivent élever les enfants.

C’est, en outre, profondément antiféministe, l’intérêt féministe étant, ici, le même que l’intérêt des pères !

J’invite, naturellement, tous les pères, au moment où ils demandent la liquidation de leurs droits, et dès maintenant – et avant le 24 décembre prochain- pour ceux qui ont eu des enfants avant le 1er juillet 2006 et qui sont en mesure de le faire, à faire valoir leur contestation et à ne pas accepter la liquidation qui leur est proposée, au moins sur la 2e partie, mais pourquoi pas aussi sur la 1ere, et à :

1. saisir la commission de recours amiable,

2. et ensuite

a/ Pour le régime de base :

 Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, notamment pour tous les salariés, les professions agricoles, les commerçants ou industriels, les artisans ;

 Le Tribunal Administratif pour les fonctionnaires.

b/ Pour les régimes de retraite complémentaires des salariés, le Tribunal de Droit Commun, soit le Tribunal d’Instance ou de Grande Instance.

En effet, les jurisprudences de la Cour de Justice de l’Union Européenne, de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat, ne sont pas encore totalement respectées…comme devraient l’indiquer les juridictions qui seront saisies.

IV- En outre, il est légitime de se poser des questions sur la motivation de la première partie de la majoration, puisque la majoration est fondée sur l’incidence sur la vie professionnelle des femmes de la maternité (grossesse et accouchement).

Cette motivation tente d’échapper à l’incidence des arrêts tant de la Cour Européenne des Droits de l’Homme que de la Cour de Justice de l’union Européenne, en prétendant qu’il ne s’agit pas là de la rupture de l’égalité des parents en matière d’éducation, mais uniquement de compenser les difficultés du moment de l’accouchement.

Mais :
-  d’une part cela n’est pas exact pour toutes les mères,

-  mais surtout ceci n’est pas admissible comme principe pour l’avenir : (et la loi doit prévoir l’avenir !) et ne répond pas notamment aux arguments de la CJUE qui insiste sur le fait qu’il est nécessaire d’aider les femmes au moment de leur accouchement pour qu’elles puissent travailler tout en ayant des enfants, enfants qui doivent être élevés par leurs deux parents ( et il ne saurait être question de compenser le temps passé par les femmes pour l’éducation en présupposant que les pères ne partagent pas cette tâche !).

En effet, ce n’est pas au moment de la retraite qu’il faut compenser les désagréments de la maternité, mais au moment de cette maternité.

Cela ne devrait donc pas être aux caisses de retraite de le faire, mais aux caisses d’allocations familiales dont les résultats sont excédentaires, ou , éventuellement aux caisses d’assurance maladie ( même si la maternité n’est pas une maladie !).

En effet, l’objectif français devrait être, comme l’objectif européen, que les femmes puissent avoir des enfants dans les meilleures conditions, sans que cela ait d’incidence sur leur vie professionnelle.

En résumé, ce texte pourrait s’intituler :
"Ne changeons surtout pas les préjugés sexistes, du moins en France !"

Le 26 mars 2010

Béatrice GHELBER

Avocate à la Cour

Spécialiste en droit de l’Union Européenne et en droit des personnes

ghelber chez free.fr

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