Votre voisin a-t-il intérêt à agir contre votre permis de construire ?

Par Christophe Buffet, Avocat.

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Explorer : # permis de construire # intérêt à agir # voisinage # code de l'urbanisme

C’est une question importante que celle de l’intérêt à agir des tiers contre un permis de construire.
Admettre largement le tiers à agir entrainera une augmentation du contentieux et inversement l’admettre restrictivement conduira une réduction du nombre des recours.
Le sens de la législation est précisément de rendre plus difficile les recours en droit de l’urbanisme.
Ceci en particulier pour restreindre le nombre des recours considérés comme abusifs.

-

L’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme.

Ainsi a été créé dans ce but de réduction du nombre des recours l’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme qui dispose :

« Une personne autre que l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L261-15 du Code de la construction et de l’habitation ».

Cet article définit précisément l’intérêt à agir en le déduisant de l’effet du projet sur les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien et en prévoyant que le requérant doit régulièrement occuper son bien ou justifie d’un titre (promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L261-15 du Code de la construction et de l’habitation).

L’article R600-4 du Code de l’urbanisme.

Du reste, le requérant devra produire avec sa requête la promesse de vente, le bail, le contrat préliminaire mentionné à l’article L261-15 du Code de la construction et de l’habitation, le contrat de bail, ou tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien [1].

L’article L600-1-3 du Code de l’urbanisme.

On ajoutera que selon l’article Article L600-1-3 du même code :

« Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l’intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

Le cas du nu-propriétaire.

Il a été jugé qu’un nu-propriétaire n’est pas recevable à agir s’il se borne à invoquer cette qualité [2] :

« Considérant qu’en invoquant sa seule qualité de nu-propriétaire indivis de la parcelle voisine du terrain d’assiette de l’opération projetée, M. B... qui en cette qualité n’a vocation ni à occuper, ni à utiliser, ni à jouir de la maison d’habitation située sur la parcelle adjacente au terrain d’assise du projet en litige peut être regardé comme justifiant d’un intérêt à agir entrant dans le champ des dispositions précitées du Code de l’urbanisme ; que ses requêtes ne peuvent par suite qu’être rejetées comme irrecevables ».

Le cas du voisin devenu propriétaire postérieurement à l’affichage du permis de construire.

Une personne devenue propriétaire d’un terrain voisin postérieurement à l’affichage du permis de construire dont elle demande l’annulation n’est pas recevable à agir [3].

Le cas du voisin immédiat.

Le voisin immédiat bénéficie d’une sorte de présomption d’intérêt à agir puisqu’il est jugé que

« il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ; qu’il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; que le juge de l’excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ; qu’eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction » [4].

Le cas d’un syndicat des copropriétaires, voisin et requérant n’est pas apprécié différemment.

« Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat, justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction. Il en va de même lorsque le requérant est un syndicat de copropriétaires » [5].

On admet ainsi que le voisin immédiat dispose d’une présomption d’intérêt à agir dès lors que le projet présente des caractéristiques suffisantes permettant de penser que le projet causera des atteintes à la jouissance de son bien, et il n’a pas à démontrer de façon aussi circonstanciée qu’un autre requérant ces circonstances. Il lui suffit de faire état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction, sans avoir à faire apparaître explicitement pourquoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux.

Le voisin ainsi avantagé n’est pas uniquement le voisin contigu : il peut aussi seulement demeurer dans la même voie que le bénéficiaire du permis, à proximité :

« en jugeant que M. C. ne justifiait pas d’un intérêt à agir contre le permis de construire attaqué, alors qu’il invoquait dans sa demande au tribunal être occupant d’un bien immobilier situé à proximité immédiate de la parcelle d’assiette du projet, au numéro 6 de la même voie, et faisait valoir qu’il subirait nécessairement les conséquences de ce projet, s’agissant de sa vue et de son cadre de vie, ainsi que les troubles occasionnés par les travaux dans la jouissance paisible de son bien, en ayant d’ailleurs joint à sa requête le recours gracieux adressé au maire de Marseille, lequel mentionnait notamment une hauteur de l’immeuble projeté supérieure à dix mètres et la perspective de difficultés de circulation importantes, le président de la 2e chambre du Tribunal administratif de Marseille a inexactement qualifié les faits de l’espèce » [6].

Tout projet n’est cependant pas forcément de nature à nuire au voisin et une décision intéressante du juge des référés du Tribunal administratif de Nice [7] a jugé que le requérant n’était pas recevable parce que le projet, loin de nuire au voisin… améliorait sa situation :

« En l’espèce, il ressort tout d’abord des pièces du dossier que le requérant, dont le domicile est situé au 18 boulevard Risso à Nice et qu’il y a lieu de considérer comme voisin immédiat du projet, bénéficiera, au terme de l’exécution du projet, de conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien plus favorables. Il est en effet constant que l’objet de l’arrêté litigieux ne porte que sur la démolition du Palais Acropolis et ne comporte aucune nouvelle construction, et que le projet poursuivi par la ville de Nice consiste à démolir le Palais Acropolis afin de prolonger la "Promenade du Paillon", communément dénommée la "coulée verte", depuis la traverse de la Bourgada jusqu’à l’esplanade du Maréchal de Lattre de Tassigny. L’environnement immédiat du bien du requérant sera donc à terme plus agréable, plus verdoyant, et l’immeuble du requérant bénéficiera d’une vue plus dégagée que celle dont il bénéficiait précédemment. Si le requérant soutient ensuite que le projet est "manifestement susceptible d’altérer la salubrité" ainsi que sa "tranquillité", outre que cette allégation n’est pas suffisamment étayée, il ne saurait en tout état de cause utilement se prévaloir de l’impact des conditions de déroulement du chantier, qui ne peuvent être prises en compte pour apprécier l’intérêt pour agir contre une autorisation d’urbanisme. Si le requérant soutient en outre qu’il ne bénéficiera plus, dès lors que le palais des congrès Acropolis sera détruit, d’une structure culturelle à proximité de son domicile, outre qu’il n’établit pas une fréquentation assidue du lieu en cause, la commune de Nice fait valoir sans être contestée que l’offre culturelle en centre-ville, à proximité du domicile de l’intéressé, restera importante, avec en particulier la présence du Théâtre national de Nice et du Palais des expositions (futur Palais des arts et de la culture). Dans ces conditions, la commune de Nice est fondée à faire valoir que le requérant ne justifie pas d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’arrêté attaqué. Par suite, dès lors que la requête introduite à cette fin est ainsi irrecevable, les conclusions susmentionnées aux fins de suspension dudit arrêté ne peuvent qu’être rejetées, sans qu’il soit besoin d’examiner si la condition d’urgence est remplie ».

Cette sorte de présomption d’intérêt à agir n’est donc pas irréfragable et ne dispense pas le voisin immédiat de s’expliquer sur le fait que la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien.

Voici par exemple une motivation précise de ces circonstances de fait qui démontre que les conditions de l’intérêt à agir sont réunies :

« Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme K. sont propriétaires d’une maison d’habitation située sur la parcelle cadastrée section AM n° 173 contiguë au terrain d’assiette du projet, de sorte qu’ils en sont les voisins immédiats. Or, le projet autorisé par le permis en litige a pour objet, en lieu et place de cinq bâtiments existants à usage de bureaux en R+1 représentant une surface de plancher de 710,75 m², la construction de trois nouveaux bâtiments en R+2 comportant notamment des services d’intérêts collectifs, des hébergements à caractère social et un foyer d’accueil, emportant la création d’une surface de plancher de 1 934,80 m². Les requérants se prévalent notamment de la création de vues nouvelles sur leur propriété qui résultera du projet, compte tenu de l’implantation en limite avec leur parcelle des bâtiments de la maisonnée Nord et du foyer qui comportent de nombreuses ouvertures. Si la commune fait valoir en défense que le projet prévoit l’implantation d’arbres en limites séparatives afin d’isoler les bâtiments à créer, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que cet aménagement paysager serait de nature à faire cesser la perte d’intimité dont se prévalent les requérants. Dans ces conditions, eu égard à la nature, à la localisation et à l’importance du projet, M. et Mme K. justifient d’une atteinte directe aux conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance de leur bien et, par suite, d’un intérêt leur donnant qualité pour demander l’annulation du permis de construire accordé à l’association pétitionnaire » [8].

Le voisin requérant ne doit donc pas négliger d’apporter la démonstration de son intérêt à agir.

Christophe Buffet, Avocat
Avocat inscrit au Barreau d’Angers
Droit immobilier et droit public
SCP ACR Avocats Angers Nantes Paris
http://www.bdidu.fr/
https://www.linkedin.com/in/christophe-buffet-avocat/
https://twitter.com/CBuffetAvocat

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Notes de l'article:

[1Article R600-4 du Code de l’urbanisme.

[2Tribunal administratif de Chalons en Champagne, 16 avril 2016, N°1402436 et 1502401.

[3CE (10/9 CHR) 13 décembre 2021, Société Ocean dream resort, n° 450241.

[4Conseil d’État, 1re et 6e chambres réunies, 13 avril 2016 - n° 389798.

[5CE, ch. réunies, 24 févr). 2021, n° 432096, Synd. des copropriétaires de la Résidence La Dauphine.

[6CE, 13 avr. 2016, n° 389798, Ville Marseille.

[7Tribunal administratif de Nice, 4 avril 2023 / n° 2301167.

[8Tribunal Administratif de Montpellier le 4 novembre 2021 N° 1905910.

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