Déni de justice : l’Etat condamné à payer près de 300 000 € à d’anciens salariés pour procédure excessivement longue devant le conseil de prud’hommes de Longjumeau.

Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.

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Explorer : # déni de justice # procédure judiciaire # indemnisation des salariés # lenteur judiciaire

Suite à leur licenciement pour motif économique, intervenu le 31 mars 2009, dans le cadre de la fermeture du centre de recherche situé à Chilly Mazarin 49 anciens salariés chercheurs de Merck Santé (groupe pharmaceutique Merck KGaA) ont décidé, en juin 2009, d’engager une action devant le Conseil de prud’hommes de Longjumeau. Finalement, leurs licenciements sur fond de bénéfices records ont été jugés injustifiés et l’employeur a été condamné à leur payer des dommages-intérêts.

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Mais la procédure fut interminable car le Conseil de prud’hommes a multiplié les prorogés et n’a statué qu’en décembre 2012 pour les 47 non-cadres soit 3 ans ½ plus tard et en mars 2013 pour les 2 cadres.

En l’espèce, il ne fait aucun doute que cette attente a été particulièrement pénible et mal ressentie par des salariés déjà profondément meurtris par la perte de leur emploi dans un contexte totalement surréaliste puisque la société affichait une santé financière insolente.

Ils ont donc décidé de saisir le Tribunal de grande instance de Paris d’une action en déni de justice.

Ils ont notamment fait valoir qu’ils avaient déjà été sérieusement éprouvés par de très nombreux mois à lutter au sein de leur entreprise pour tenter en vain, de préserver leurs emplois, et pour tenter de sauvegarder leurs droits dans le cadre d’un PSE, qu’ils ont estimé peu généreux, âprement négocié dans un contexte de stress et d’inquiétude majeure, avec des répercussions évidentes sur leur vie personnelle et familiale.

Par jugement rendu le 05 juin 2013, le Tribunal de grande instance de Paris a estimé que « le préjudice de chaque demandeur, résultant notamment de l’attente d’une décision et des tensions psychologiques entraînées par l’incertitude où il s’est trouvé, renforcé par la perte de confiance dans les capacités de la juridiction à répondre à sa mission à chaque report annoncé, sera intégralement réparé…  » et que « le délai excessif des procédures … engage la responsabilité de l’État ».

41 salariés ont obtenu au titre de leur indemnisation pour le préjudice subi une somme de 6 000 € et 8 d’entre eux ont obtenu 4 000 € du fait qu’ils avaient engagé leur action un peu plus tard. Ils ont également obtenu 300 € chacun au titre de l’article 700 du CPC.

« Selon l’article L.141-l du Code de l’organisation judiciaire, l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, sa responsabilité étant engagée par une faute lourde, constituée par une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, ou par un déni de justice, le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’appréciant suivant les circonstances de la cause, la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés.
En outre, selon les articles R. 1456-2 et R. 1456-4 du Code du travail, en cas de litige portant sur des licenciements pour motif économique, le Conseil de prud’hommes doit "statuer en urgence", l’audience de conciliation devant être fixée dans le mois de la saisine et l’audience devant le bureau de jugement dans un délai qui ne peut excéder six mois.
 »

Le jugement relève que le conseil de prud’hommes de Longjumeau n’a respecté aucun de ces délais et que la date de délibéré a été prorogée à 7 reprises alors même que cela n’était justifié « en aucune manière par la complexité de l’affaire, en l’absence de toute mesure d’instruction, de demandes spécifiques de certains salariés ou d’une quelconque particularité. »

« Le fait que la juridiction ait souhaité traiter dans le même temps l’ensemble des procédures initiées par les salariés concernés par le licenciement économique prononcé par leur employeur qui ont saisi la juridiction, ce qu’une bonne administration de la justice justifiait, ne pouvait conduire à ne pas respecter pour chacun d’eux les délais légaux et la durée raisonnable nécessaire dans tous les litiges où la situation professionnelle des justiciables est en jeu, mais au contraire à prendre tout moyen utile pour traiter dans les meilleurs délais possibles les demandes des salariés.

Il convient au demeurant de noter que les demandeurs à l’instance ont été assistés par un seul avocat, ce qui a contribué à faciliter la communication des pièces et l’échange des moyens, qu’aucune mesure d’instruction n’a dû être ordonnée et que si les motifs des décisions rendues ont été rédigés avec soin, et comprennent plus de 10 pages, pour l’essentiel ils répondent à des moyens identiques, même si les prétentions sont particulières à chaque salarié.

En tout état de cause, aucun motif lié à la complexité exceptionnelle du dossier, au comportement des parties ou à toute autre cause n’explique les dépassements des délais légaux et du délai raisonnable pour traiter de telles procédures.

Enfin, le caractère sensible du dossier concernant un grand nombre de salariés dans un contexte où le principe même des licenciements pour motif économique est discuté, compte tenu de la bonne santé de l’entreprise, devait inciter particulièrement la juridiction saisie à prendre toute mesure utile pour que le délai de traitement de l’ensemble du conflit soit adapté. »

Le jugement a encore décidé que l’exécution provisoire qui avait été sollicitée par les demandeurs « est nécessaire et compatible avec la nature de la décision. »

En conséquence de quoi, l’État doit payer immédiatement le montant des indemnités même en cas d’appel.

Cette dernière condamnation de l’Agent Judiciaire de l’État au profit d’un collectif de 49 demandeurs met en lumière, une fois encore, la lenteur excessive de certains conseils de prud’hommes qui désespère tant les avocats et leurs clients.

Même si l’on connaît le manque de moyens parfois cruel de cette juridiction paritaire, il n’en demeure pas moins que cela est tout à fait anormal et particulièrement préjudiciable aux salariés en ce qu’ils doivent alors attendre des années pour être enfin indemnisés.

Marie-Paule Richard-Descamps
Avocat spécialiste en droit du travail
Présidente de la Commission sociale du Barreau des Hauts de Seine
https://www.cabinetrichard-descampsavocat.fr

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  • J’ai à la fin des etudes examiné les principes de fonctionnement du service public, notamment le service public de la justice.
    il s’agit de la continuité, du prinipe d’adaptabilité ... Le deni de justice est une preuve par excellence d’application de ces principes .
    En Republique Democratique du Congo, cela est grave sur la vie des usagers des services publics. Et meme en cas de condamnation en des dommages et intérets, il est difficile que notre Etat condamné puisse payé. J’ai representé un client devant le Tribunal de grande Instance où je suis avocat, l’affaire a ete prise en deliberé. L’Etat sera payé, mais l’execution du jugement sera difficile, meme si qu’il existe bien sur d’autres voies d’execution forcées.
    Je remercie Confrere pour son article. Vous savez, la France est l’ancetre judiciaire de la Republique Democratique du Congo.
    Maitre EMMANUEL ILUME NGANGA
    Téléphone:00243813244483
    emmanuelilumenganga chez yahoo.fr

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