Lanceurs d’alerte : nullité du licenciement suite à la dénonciation par le salarié de faits illicites.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bouschbacher, Juriste.

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Explorer : # lanceurs d'alerte # licenciement # liberté d'expression # dénonciation

Par un arrêt rendu le 7 juillet 2021 (n°19-25.754), la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la liberté du salarié de dénoncer des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
Un licenciement prononcé suite à l’exercice de ce droit, est nul.

-

Pour autant, l’employeur peut prononcer le licenciement pour un autre motif, aux fins de contourner la sanction de nullité.

De cette manière, sur le fondement de l’article 10§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui protège la liberté d’expression des salariés, la Cour de cassation a jugé que les juges du fond ne devaient non pas seulement examiner la lettre de dénonciation du salarié adressée à sa direction postérieurement à la convocation de celui-ci à un entretien préalable au licenciement, mais tous les éléments permettant de présumer que le salarié avait relaté ou témoigné de bonne foi des faits de nature à caractériser une infraction ou un crime.

1) Faits.

Un salarié a été engagé le 1er septembre 2008 par l’Association vosgienne pour la sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes (AVSEA), en qualité de directeur du service des tutelles.

Ayant connaissance de faits qu’il jugeait illicites, le salarié en a fait part à sa direction en vertu de son droit d’alerte protégé par la liberté d’expression.

Néanmoins, le 14 novembre 2012, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et a été concomitamment convoqué à un entretien préalable à un licenciement.

En réponse à cela, six jours plus tard, soit le 20 novembre 2012, le salarié a dénoncé dans une lettre adressée à l’organe de tutelle de l’employeur, de nombreux faits pénalement répréhensibles qu’auraient commis l’association.

Ces dénonciations n’ont toutefois pas empêché le prononcé du licenciement du salarié, non pas pour un motif disciplinaire, mais pour insuffisance professionnelle, le 3 décembre 2012.

Le salarié a donc saisi la juridiction prud’homale aux fins de contester son licenciement et en demander la nullité, estimant qu’il est motivé non pas pour sa prétendue insuffisance professionnelle, mais par l’exercice de son droit d’alerte.

Mais, par un arrêt du 31 octobre 2018, la Cour d’appel de Nancy a rejeté les demandes du salarié tendant à la nullité de son licenciement, à sa réintégration et au paiement de sommes subséquentes.

En effet, la Cour d’appel n’a pas considéré le licenciement nul, ayant principalement retenant le fait selon lequel la lettre de dénonciation adressée par le salarié à l’organe de tutelle de l’employeur, était postérieure à sa convocation à l’entretien préalable au licenciement, et que la concomitance de ces deux évènements n’étant pas suffisante pour établir le détournement de la procédure selon laquelle, lorsque le salarié présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu’il a relaté ou témoigné de bonne foi des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice par le salarié de sa liberté d’expression.

La Cour d’appel a toutefois jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’insuffisance professionnelle du salarié n’ayant pas été caractérisée.

C’est alors que le salarié s’est pourvu en cassation sur le fondement de l’article 10 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui dispose que

« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

2) Moyens.

Le salarié fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de le débouter de ses demandes relatives au prononcé de la nullité de son licenciement.

A cet égard, le demandeur au pourvoi rappelle en premier lieu le droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail.

Par-là, il est établi selon le requérant, que

« le licenciement d’un salarié intervenu pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est atteint de nullité ».

De même, le salarié soutient que l’employeur est tenu de rapporter la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute volonté de sanctionner l’exercice, par le salarié, de son droit de signaler des conduites ou actes illicites, lorsque ce dernier présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu’il a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime.

3) L’envoi postérieur à la convocation à un entretien préalable au licenciement, d’une lettre de dénonciation de faits jugés illicites.

Peut-il justifier le non-respect de la procédure selon laquelle l’employeur doit rapporter la preuve que sa décision de licencier est étrangère à toute volonté de sanctionner l’exercice par le salarié, de son droit de signaler des conduites ou actes illicites ? Non, répond la Cour de cassation.

La Cour de cassation répond par la négative et casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel sur le fondement de l’article 10§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales cité ci-dessus.

La Cour de cassation reproche à la Cour d’appel d’avoir dit la demande de nullité du licenciement du salarié recevable mais mal fondée, et de l’avoir débouté conséquemment de ses demandes de réintégration et de diverses sommes afférentes à la nullité.

En effet, la chambre sociale souligne que la Cour d’appel aurait dû rechercher si le salarié

« qui soutenait avoir préalablement à sa convocation à un entretien préalable avisé sa hiérarchie des faits qu’il jugeait illicites et de son intention de procéder à un signalement aux autorités compétentes, ne présentait pas des éléments de fait permettant de présumer qu’il avait relaté ou témoigné de bonne foi de faits qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, et si l’employeur rapportait alors la preuve que le licenciement était justifié par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé ».

De cette manière, la solution rendue par la Cour de cassation insiste davantage sur l’ensemble des faits rapportés par le salarié qui soutiennent ses accusations, que sur la seule lettre de dénonciation qu’elle ait été adressée à l’employeur postérieurement ou non, à l’entretien préalable au licenciement.

Car, comme le rappelle la Cour de cassation,

« le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité ».

Et, en l’espèce, non seulement il y avait concomitance de la lettre de dénonciation avec l’entretien préalable au licenciement, mais il y avait aussi d’autres faits avancés par le salarié au préalable, en plus du fait que la précédente concomitance révélait que le licenciement était en réalité motivé par cette dénonciation.

Ainsi, cette solution est favorable aux salariés en ce qu’elle leur garantit l’exercice de leur droit fondamental de la liberté d’expression, contre toutes tentatives de contournement de l’employeur, qui leur permet ainsi de dénoncer des faits qui leur paraissent illicites.

Source :

C.cass., 7 juillet 2021, n°19-25754.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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