Le legal design : une manière de repenser sa relation à l'autre ?

Extrait du Dossier Langage Juridique Clair

Le legal design : une manière de repenser sa relation à l’autre ?

Par A. Dorange
Responsable éditoriale du Journal du Village de la Justice

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Explorer : # design thinking # legal design # relation client # innovation juridique

Le legal design, vous en avez forcément déjà entendu parler, au moins une fois, n’est-ce pas ? C’est l’une des nouveautés qui agite l’écosystème juridique, particulièrement ces dernières années. « Le legal design est un processus d’innovation permettant de rendre le droit accessible et intelligible ». Tout un programme !
Les Rédactions du Village de la Justice et du Journal du Village de la Justice vous proposent quant à elles ici, de rendre le legal design...accessible et intelligible ! Qu’est-ce que c’est exactement ? À quoi ça sert ? Comment faire ? En quoi est-ce innovant ? Nous vous disons (presque) tout...
Article issu du JVJ N°97 spécial Innovation des avocats à lire ici.

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Note aux lecteurs...

Cet article a été publié dans le numéro spécial du Journal du Village de la Justice n°97 consacré à l’innovation des cabinets d’avocats, un dossier spécial innovant... justement !
Lecture conseillée...

Qu’est-ce que le legal design ?

Le design thinking appliqué au droit.

Le legal design est parfois abusivement réduit à un travail de restitution visuelle (webdesign, infographie...) [1]. Or « tout ce qui est graphique ou esthétique, ce n’est pas du design en soi » [2]. Donc, « non, le petit croquis griffonné au stylo sur un coin de feuille lors de votre dernier rendez- vous client ne fait pas de vous un avocat qui manie le legal design ». Mais la démarche est méritante, en ce qu’elle permet « de faire en sorte que vos propos soient compris par votre interlocuteur, "autrement" » [3]. De quoi commencer à approcher le cœur du sujet...

Le legal design est un processus, une méthode : il s’agit avant toute chose d’adopter, en matière juridique, une nouvelle façon de penser, empruntée aux milieux du design, que l’on appelle le « design thinking ». Celui-ci consiste en un processus de pensée et de compréhension des besoins, centré sur le client final, l’usager, l’utilisateur, etc.

Le legal design est l’application de cette méthodologie au droit [4]. L’objectif est de rendre le droit accessible, en produisant de l’information juridique simple et en mettant les besoins du destinataire final de l’information au centre de l’attention.

C’est donc « d’abord un processus de pensée et de compréhension des besoins, centré sur l’usager du droit » [5]. « Bien entendu, il y a toujours cet impératif de l’esthétique, parce que l’on se rend vite compte que le design "moche", dans le sens "pas compréhensible", empêche l’adhésion des personnes destinataires. Il est alors plus compliqué de faire passer son message » [6].

Des pratiques inspirantes.

Soyons pragmatiques pour commencer et prenons des situations relatées par certains de vos confrères et consœurs [7], montrant l’utilité du legal design dans leur relation-client, au sens large.

Premier exemple  : « un maire m’envoie une note de 3 pages de sa direction juridique en m’indiquant qu’il ne la lira pas car elle est trop longue. Il me demande de la synthétiser sur une page avec des "visuels". À partir de là, je commence un parcours au cours duquel je cherche des moyens de communiquer l’information juridique de manière plus claire, plus engageante et plus impactante » [8].

Deuxième exemple  : Vous êtes en formation ou en conférence, le support projeté est pénible à suivre parce qu’il y a beaucoup trop de texte... Peut-être vous êtes-vous d’ailleurs aussi demandé, en pareilles circonstances, « de quelle manière [est-il] possible de remplacer certains supports powerpoint comportant des dizaines de slides remplis de lignes de texte et de puces » ? Pour y arriver, en se mettant dans la peau d’un participant, il est possible d’imaginer une nouvelle expérience d’apprentissage, puis de transformer une partie des supports, tant dans la conception de leur structure, que dans leur aspect graphique. [9]

Troisième exemple  : Vous expliquez à votre client qu’il est nécessaire, avant de pouvoir saisir le juge, de procéder à une tentative de résolution amiable. Vous vous lancez alors dans des explications plus ou moins longues pour évoquer les différents MARD envisageables. Au bout de plusieurs minutes, votre client vous fait savoir qu’il n’a vraiment pas tout compris à ce que vous lui racontiez, au mieux avec une réponse du type « c’est vous qui savez mieux que moi ». Certes, mais ce n’est quand même pas très satisfaisant pour que votre client adhère pleinement à la solution que vous préconisez.

Pourquoi ne pas, dès lors, envisager de créer des supports consacrés à la médiation (par exemple), en utilisant dessins, schémas et autres supports visuels pour sensibiliser les lecteurs à cette procédure ? « L’objectif est [alors] double (...) informer le public de l’existence de ces méthodes, de les initier au processus collaboratif, pour que la demande de résolution amiable vienne du public, et plus nécessairement des avocats. La deuxième utilité est évidemment la promotion [du] cabinet » [10].

Avec le legal design, il est question de s’intéresser à la forme pour faire passer son message et de se mettre à la place de son interlocuteur, notamment s’il ou elle n’est pas juriste. Toutefois, il est vrai, « si le besoin de "centricité" client fait peu débat aujourd’hui, la question reste de savoir comment conduire le changement » [11].

Le legal design : comment faire ?

Le legal design permet de « conjuguer l’expertise juridique avec des techniques de design et un petit peu de technologie, pour rendre le droit accessible, intelligible et engageant » [12].
La démarche peut s’appliquer à une multitude d’objets et informations juridiques : site internet, édition de plaquettes (flyers, brochures, etc.), contrats et autres conventions, supports de formation, réformes juridiques, jurisprudence, processus de décision, déroulement de procédures, etc. Tout objet juridique serait finalement susceptible d’être « legal designé ».
Il repose sur une démarche consistant « à la fois recueillir des besoins, des attentes et des frustrations, permettre de s’immerger et de changer de posture, d’impliquer d’autres profils dans un exercice de co-conception, et encore de tester la validité de prototypes » [13]. Voyons comment dérouler concrètement le processus.

Un projet de legal design se déroule en cinq étapes [14], calquée sur celles du design thinking.

1re étape : Empathie.

Cette phase d’observation implique de se mettre à la place du destinataire final de l’information. D’un point de vue concret, il s’agit d’observer, de recueillir et d’échanger pour comprendre les besoins
précis et les contraintes de la personne à qui l’information est destinée. Réalisée à plus ou moins grande échelle, cette phase permet d’identifier son « persona » (client- type), à qui le produit legal designé est destiné.

2e étape : Définition du 
problème.

Ici, il est question de
 définir précisément le 
sujet. Il est recommandé
 de formuler une question 
générique du type :
« comment pourrais-je... »
+ verbe d’action + pour qui (mon client-type) + « dans le but de... » (pour bien garder l’objectif en tête).

Par exemple : comment puis-je présenter les modalités de calcul et de recouvrement de mes honoraires à mon client chef d’entreprise (TPE), afin d’assurer une très bonne transparence dans ma relation client ?
Comment puis-je expliquer à mes étudiants une réforme, avec entrée en vigueur différée, afin qu’ils comprennent bien le déroulement de la nouvelle procédure et les mécanismes de survie de l’ancien dispositif ?
Comment puis-je expliquer facilement à mon client victime d’une infraction les étapes de la procédure pénale pour qu’il comprenne mieux les décisions qui seront prises et les voies d’action possible pour son indemnisation ?

3e étape : Idéation.

Cette phase est la plus créative et se déroule souvent en groupe pluridisciplinaires. Il faut ici évoquer et compiler les idées susceptibles de répondre à la question précédente. Cela se fait en général en deux phases, renouvelées.

Une première phase dite « divergente », pendant laquelle les idées sont captées sans filtre, ni jugement. L’imagination et le foisonnement des idées sont les maîtres-mots, tout est bon à prendre !

Une deuxième phase, dite « convergente » permet d’analyser et de sélectionner les idées les plus pertinentes (faisabilité, utilité, originalité, efficacité, correspondance avec l’identité du cabinet, etc.).

Une troisième phase, de divergence à nouveau, conduit à réfléchir sur toutes les modalités possibles pour mettre en œuvre des idées sélectionnées en 2e phase.

Une quatrième et dernière phase, de convergence à nouveau, permet de choisir, parmi les propositions faites lors de la précédente phase, le projet qui sera finalement adopté.

4e étape : Prototypage.

Cette étape est le
prolongement direct de
l’étape précédente, dont
les deux dernières phases
sont d’ailleurs parfois
rattachées ici. Le but
est en effet de répondre
à deux séries questions :
quelles informations traiter
et comment les traiter ? Quels visuels choisir ? « Le travail sur l’information est primordial et va de pair avec la mise en page du document »17. On allie ici les mots et les visuels pour structurer l’information.

Cette étape n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait peut-être penser, la plus facile à mettre en œuvre. Il est en effet indispensable 1) de sortir de son approche de juriste, 2) de toujours se reconcentrer sur le besoin du destinataire final et de l’usage qui sera fait du support.

5e étape : Test et lancement
.

Une fois le prototypage réalisé, la maquette est proposée à un panel de destinataires qui vont tester l’objet legal designé et faire des retours sur différents aspects (compréhension des mots, couleurs, ordonnancement des idées, etc.). Leurs « feed-back », au besoin sur des versions successivement
améliorées, vont permettre de finaliser le produit... jusqu’à sa prochaine version !

Le legal design : en quoi est-ce innovant ?

Un changement de posture.

Adopter une approche complètement centrée sur l’utilisateur n’est pas forcément plus naturelle pour le juriste (au sens large), dont les raisonnements et le traitement des informations sont profondément ancrés et intuitivement influencés par la norme juridique. Mais la complexité n’est pas (plus ?) forcément de nature à rassurer le client sur les compétences du professionnel auquel il s’adresse. L’accessibilité est bel et bien une vertu !

L’expertise juridique est bien sûr nécessaire dans la mise en œuvre du legal design. Mais la démarche va notamment supposer de simplifier le langage, en le rendant plus accessible (mais non simpliste ; c’est la raison pour laquelle on parle désormais de langage clair plus que de vulgarisation), d’agencer différemment les informations, d’alléger le contenu juridique. Indéniablement, si je me mets à la place du destinataire de l’information (particulièrement s’il s’agit d’un client non-juriste), il y a vraisemblablement des précisions/distinctions juridiques qui ne sont pas utiles à la compréhension, des synonymes plus simples qui peuvent être employés, des schématisations qui peuvent être utilisées à la place et/ou en soutien du discours, etc.

Sans abandonner le cadre de son intervention professionnelle, le juriste qui veut pratiquer le legal design doit adopter une posture différente : « en droit, le professionnel a une posture d’autorité (...) Avec le design, c’est le contraire : il faut s’effacer et laisser la place aux utilisateurs. C’est probablement le facteur le plus difficile dans une profession, d’avoir une expertise mais d’accepter de la remettre en cause pour privilégier celle de l’usager » [15]. C’est d’abord en cela que le legal design peut être vu comme une pratique innovante [16].

C’est aussi la raison pour laquelle il peut être utile – voire indispensable – de se faire accompagner par un professionnel du legal design. Celles et ceux qui ont adopté la démarche le disent, « il faut être accompagné et formé au début, savoir s’entourer » [17]. Des ateliers d’idéation à la structuration de l’information, en passant par les choix graphiques, l’accompagnement facilitera grandement la mise en œuvre des projets et la mise en route du changement dans vos pratiques. Il permettra aussi bien sûr de lever les contraintes susceptibles de freiner votre démarche : absence de maîtrise des outils graphiques et/ou de fibre artistique, crainte du manque de précision juridique, manque de temps [18].

Une méthodologie au service d’enjeux d’accessibilité.

Si l’on se place du côté des enjeux plus globaux, le legal design est une méthode indissociablement
 liée à l’intelligibilité du droit. En la matière, nous connaissons tous l’adage nemo censetur... Nul n’est censé ignorer la loi... Certes, mais encore faut-il que celle-ci soit claire et intelligible !
Or, il est assez notoirement connu que la norme juridique est technique, que le langage juridique a – pour le moins – des spécificités et que le raisonnement juridique peut être particulièrement complexe. S’il nous arrive, nous- mêmes juristes, d’y perdre parfois notre droit, que dire pour un non-juriste...!

C’est précisément à cette problématique que s’intéresse le legal design : clarté, intelligibilité et partage du savoir. La Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) y voit d’ailleurs un moyen de promouvoir l’accès au droit : elle recommande ainsi « de mettre en place des dispositifs d’information qui soient clairs et intelligibles aussi bien pour les bénéficiaires que pour les agents administratifs. Leur développement devrait partir de la situation de la personne concernée, afin que soit facilité l’accès aux droits. L’usage d’un langage clair et le recours au legal design doit être encouragé » [19].

Au-delà de la relation aux justiciables, le legal design est une méthode de travail et de restitution susceptible d’être appliquée à d’autres « prestations » juridiques. Prenons l’exemple de ce cabinet qui, dans le cadre d’une réclamation indemnitaire en marché public, a co-construit avec son client et à destination du juge, une vidéo en motion design (legal design en vidéo) : « cette vidéo décrivait le déroulement du chantier et permettait au juge de mieux comprendre les problématiques techniques. Naturellement, l’objectif était aussi de convaincre et cette vidéo retraçait également [notre] argumentation juridique » [20]. Une alternative aux conclusions en 1 000 mots [21] à envisager et encourager ?

Une expérience collaborative.

L’autre originalité du legal design est que l’approche « repose sur l’ouverture à l’autre, et donc sur la capacité à confronter sa vision à d’autres points de vue et à embarquer des compétences hors du juridique dans son projet » [22]. Il permet en effet de travailler en équipe pluri-disciplinaire (juristes, marketing, commercial, communication) » ; c’est un outil permettant de « générer de l’adhésion [et d’] entrainer bien d’autres services de l’entreprise » [23], participant d’autant à la cohésion, à la motivation, à la fidélisation des membres du cabinet. Un enjeu d’autant plus prégnant en l’état actuel du secteur du recrutement juridique et au regard des attentes des « nouvelles » générations ?

Article issu du JVJ N°97 spécial Innovation des avocats à lire ici.

Par A. Dorange
Responsable éditoriale du Journal du Village de la Justice

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Notes de l'article:

[5« Le legal design, une méthode pour imaginer de nouveaux services juridiques », art. précité.

[6K. Pineau, art. précité

[7« Avocats et legal designer : la double compétence qui réenchante la profession », art. précité.

[8S. Lapisardi, Lapisardi Avocats, in « Avocats et legal designer : la double compétence qui réenchante la profession », art. précité.

[9J.-J. Jarry, Barthélémy Avocats, in « Avocats et legal designer : la double compétence qui réenchante la profession », art. précité.

[10A.-M. de Cayeux, De Cayeux Avocats, in « Le legal design, nouvel atout de la relation-client pour les métiers du droit ? », art. précité.

[11Rédaction du Village de la Justice, « Legal design : jusqu’où et comment former ses équipes demain ? »

[12M. Potel-Saville, in C. Andry, « Le legal design, nouvel atout de la relation- client pour lesmétiers du droit »,art. précité.

[13Ibid.

[14Voir not. « Le legal design, nouvel atout de la relation-client pour les métiersdudroit »,art.précité.

[15K. Pineau, in « Le legal design, nouvel atout de la relation-client pour les métiers du droit ? », art. précité.

[16Au sens du Manuel d’Oslo, définissant l’innovation comme un « produit ou un processus (ou une combinaison des deux) nouveau ou amélioré qui diffère sensiblement des produits ou processus précédents d’une unité et a été mis à la disposition d’utilisateurs potentiels (produit) ou mis en œuvre par l’unité (processus) ».

[18Sagan Avocats, « Le défi de l’infographie en 10 jours », www.sagan-avocats.fr.

[19CNCDH, 24 mars 2022, avis n° A-2022-4 sur l’accès aux droits et les non- recours, NOR : CDHX2210069V, JO 3 avr.

[20Lapisardi Avocats, https://lapisardi-avocats.fr.

[21Proposition de la Direction des Affaires Civiles et du Sceau, août 2021. Sur ce sujet, voir F. Chhum, S. Bouschbacher, « Structuration des écritures des avocats : non aux 1 000 mots de synthèse » ; Rédaction du Village de la Justice, Dossier « Écrits judiciaires : restez concis s’il vous plaît. », www.village-justice.com.

[22E. Teissère, in « Le legal design, nouvel atout de la relation-client pour les métiers du droit ? », art. précité.

[23« 8 idées sur le legal design », art. précité.

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