Les mesures prises par le decret 2016-660 du 20 mai 2016 raccourciront-elles les délais de jugement ?

Par Dominique Summa, Avocat.

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Explorer : # réforme de la justice prud’homale # procédure civile # délais de jugement # droits des salariés

Le décret du 20 mai 2016 dont les principales mesures seront applicables le 1e août 2016 doivent raccourcir les délais de jugement. En s’alignant sur la procédure civile écrite, et en octroyant des pouvoirs de mise en état au Bureau de conciliation et d’orientation, le délai de jugement serait de six mois en circuit normal et de trois mois en circuit raccourci, les affaires complexes relevant d’une troisième composition de bureau de jugement. Composée de 4 conseillers et d’un juge.

Dans la même perspective, en appel, la représentation obligatoire par un avocat ou un défenseur syndical est exigée.
Enfin, l’accent mis sur la conciliation à tous les stades de la procédure par la médiation qui pourra être imposée. Assortie d’une formation de cinq jours à l’ENM pour les conseillers Prud’hommes et de moyens financiers, la justice prud’homale devrait être rendue dans des délais normaux.

Ces mesures seront-elles suffisantes ?

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La nécessaire réforme de la justice prud’homale - le rapport Lacabarats (juillet 2014)

En raison des condamnations de la France par la CEDH pour lenteur ou déni de justice, un rapport sur la réforme de la procédure prud’homale a été rendu par Alain Lacabarats, Président de chambre à la Cour de cassation.

Concluant entre autres mesures à l’intégration de la procédure prud’homale dans le Code de procédure civile, le décret du 20 mai 2016 transcrit une partie des mesures préconisées.

Toutefois, la composition paritaire de la juridiction prud’homale de quatre juges non professionnels, deux salariés et deux employeurs est maintenue en dépit de la critique faite sur cette composition originale, unique dans l’Union européenne. L’Allemagne a le système de l’échevinage : un juge président et deux juges non professionnels nommés par des instances représentatives. Système de l’échevinage, ainsi qu’aux Pays-Bas et en Belgique. En France, il faut le départage pour avoir une composition avec un juge départiteur.
La juridiction prud’homale est historique et remonte aux juridictions lyonnaises, les soyeux. Ces juridictions composées de professionnels étant en principe mieux à même de juger les us et coutumes de la profession. Les origines des articles 14 et 15 du Code civil remontent à ces juridictions commerçantes.

La justice prud’homale du 21ème siècle restera donc paritaire. Mais elle sera judiciaire et écrite comme pour toute procédure civile devant être conforme aux principes d’une justice respectueuse des droits de l’homme : respect du contradictoire, droit à un procès équitable et donc justice objective et juridique et ouvrant droit à une décision motivée en droit.

Les principes : une procédure écrite avec une mise en état impartie au Bureau de conciliation et d’orientation (BCO) investi d’une mission de répartition des affaires simples, normales, complexes.

La demande doit être introduite par une requête conforme à l’article 58 du Code de procédure civile, indiquant l’identité du demandeur, personne physique ou morale, et celle du défendeur. A cette requête, doivent être jointes les pièces et le bordereau correspondant. La requête est adressée au greffe en autant d’exemplaires que de parties. Le greffe transmet par pli recommandé (Art.R 1452-2 du Code du travail).

Les parties se défendent elles-mêmes mais peuvent se faire représenter (Art R 1453-1 C.Trav.). Le représentant s’il n’est pas avocat doit avoir un pouvoir spécial l’habilitant à concilier au nom et pour le compte du mandant et à prendre part aux mesures d’orientation (Art.R 1453-2° C.Trav.).

Les prétentions des parties peuvent être faites oralement par consignation et notes d’audience. Mais les prétentions des parties sont en principe écrites et leurs prétentions sont les dernières formulées dans le dernier dispositif de leurs conclusions visant les pièces justificatives (Art.1453-5 du Code du Trav.).

La mise en état est assurée par le Bureau de conciliation et d’orientation, mise en état en principe active pouvant fixer outre le calendrier procédural, des injonctions ou des mesures d’instruction, mises en demeure de produire des documents, notamment la délivrance de l’attestation d’assurance chômage. En cas de défaut, le Bureau de conciliation et d’orientation renverra au bureau de jugement (Art.1454-1 du C.Trav). Le BCO pouvant dispenser les parties de se présenter aux audiences d’orientation. (Art.1454-1 du C.Trav.).

Devant le Bureau de jugement, en cas de défaut non justifié du demandeur, le Bureau pourra renvoyer ou déclarer l’affaire caduque, mesure pouvant être rapportée (Art.1454-21 du Code du Trav.).
Le Bureau de jugement peut ordonner toutes mesures destinées à la conservation des preuves, désigner un ou deux conseillers rapporteurs pour la mise en état de l’affaire (Art.1454-19_1 du Code Trav.).
Si le jugement n’est pas rendu sur le champ, le Bureau de jugement doit informer de la date à laquelle la décision sera rendue, et en cas de prolongation, la nouvelle date (Art.R1454-31 du Code du Trav.).

Le délai de jugement est de moins de trois mois pour les affaires simples avec une formation restreinte de deux conseillers, un employeur, un salarié, de six mois pour les affaires normales avec une formation de quatre conseillers et sans délai imposé pour les affaires complexes orientées par le BCO devant une composition de départage avec un juge président.

La juridiction des référés demeure.

  • Le licenciement économique : le dépôt au greffe par l’employeur dans un délai de huit jours à compter de la réception de la lettre de convocation à l’audience du BCO des documents exigés par l’article L. 1235-9 du Code du travail est confirmé.
  • La procédure d’appel avec représentation obligatoire par avocat ou défenseur syndical constitue une mesure nouvelle (Art. 1461 ;1 et 2 du C.Trav..). Pratiquement cela ne change pas : les parties se présentent rarement en personne. L’aide juridictionnelle est utilisée en cas de ressources insuffisantes.
  • Le recours à la médiation est facilité, à tous les stades de la procédure (Art. 1471-2 du Code du Trav.). Il faut regretter le peu de médiations acceptées dans les audiences d’appel. Venue trop tard, après un jugement ayant exacerbé les esprits, la médiation suppose une distance vis-à-vis des ressentis, très forts dans les conflits du travail.

Conclusion : vers une meilleure justice ?

L’encombrement des juridictions prud’homales relève moins de dérives procédurales que du nombre exponentiel d’affaires judiciaires dues à l’amélioration des droits des salariés dans l’exécution de leurs contrats de travail : droit à la santé physique et morale, problèmes de harcèlement, discriminations, résiliation judiciaire, prise d’acte, outre le licenciement et la requalification du CDD en CDI.

Face à cet accroissement de justice sociale, il faut augmenter les moyens de la justice en chambres sociales, en juges, en experts.

Il faut souhaiter que ces mesures procédurales permettront d’obtenir des jugements dans le délai raisonnable exigé par les principes érigés dans la Convention européenne des droits de l’homme.
L’alignement de la procédure prud’homale sur la procédure judiciaire est une garantie de bonne justice.

Toutefois, le droit social est particulier : c’est un droit d’affrontement entre l’employeur, désireux de tirer le maximum de productivité, c’est-à-dire la différence entre le gain et le coût de la production, et le salarié qui loue sa capacité professionnelle et son temps, sa vie contre un salaire destiné à le faire vivre lui et sa famille. Le Faible contre le Fort.

Le Code du Travail et la jurisprudence sociale sont le résultat d’une lutte historique en perpétuel mouvement, au fur et à mesure des transformations économiques.
C’est un droit essentiellement politique ce qui explique le rôle des syndicats.
La justice a donc un rôle de régulation essentiel et il faut espérer qu’avec les moyens promis, la formation de six jours à l’ENM (École Nationale de la Magistrature) des conseillers prud’homaux, élus par le collège salariés et employeurs, que les jugements seront rendus dans des conditions satisfaisantes.

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