Les partis politiques jouent un rôle central dans la médiation entre un peuple et l’Etat.
En effet, en tant qu’acteur majeur de l’animation de la vie politique d’un pays, les partis politiques ont un rôle déterminant dans la structuration de la vie politique, la cohésion sociale et la défense des intérêts collectifs. Dans le cas spécifique du Cameroun qui expérimente le multipartisme depuis la chute du mur de Berlin, les partis politiques dans le cas de l’exercice de leurs responsabilités politiques sont soumis à un régime juridique clair à eux dédiés.Ce constat pousse donc à se poser la question suivante qui est celle de savoir : que peut-on dire sur les dispositions constitutionnelles et infra-constitutionnelles concernant les partis politiques au Cameroun ?
L’intérêt de traiter d’un tel sujet est double et couvre des aspects théoriques et pratiques. Au sens théorique, il s’agit d’une contribution à l’existant en termes d’analyse concernant les partis politiques. Ainsi, c’est un ajout au débat doctrinal sur les partis politiques au Cameroun. Au sens pratique, cette étude vise une meilleure implication des partis politiques dans la vie politique au Cameroun. À la suite de la présentation de ce double intérêt, il convient de définir les modalités conduisant à la réponse à la question posée plus haut. Ainsi, il sera question avant toute chose de préciser ce que l’on entend par partis politiques (I), ensuite de faire un exposé sur l’histoire constitutionnelle de l’émancipation des partis politiques au Cameroun et infra-constitutionnelles concernant les partis politiques (II).
I- Les partis politiques : de quoi s’agit-il ?
La réponse à cette question impose de définir tout d’abord les partis politiques (A) et ensuite d’en faire une typologie (B).
A- Une définition des partis politiques.
Les partis politiques sont très récents dans la législation camerounaise. En effet, un parti politique désigne selon l’article 1 de la loi du 19 décembre 1990 qui fixe le cadre législatif applicable à ces formations politiques, des associations qui concourent à l’expression du suffrage. Selon Joseph Lapalombara et Myron Weiner (1966), un parti politique désigne une organisation durable structurée au niveau local, destinée à rassembler les individus pour conquérir et exercer directement le pouvoir. De cette définition, le Docteur Ela Evina en dira un peu plus sur le concept de parti politique.
Pour lui, un parti politique est une « une entreprise politique, organisée, structurée, hiérarchisée sur le plan national et local, ayant pour but de rassembler les individus afin de conquérir, exercer et se maintenir au pouvoir à travers un processus démocratique libre et transparent ». De tout ce qui précède, on peut retenir que les partis politiques sont des formations politiques qui concourent à la conquête et à l’exercice du pouvoir par le biais des élections.
Une fois le sens du concept fixé, il incombe désormais de faire une présentation d’une typologie des partis politiques.
B- Une typologie des partis politiques.
Concernant les partis politiques, Maurice Duverger (1951) apporte une distinction assez significative dans la compréhension des mouvements partisans en Afrique en général et au Cameroun en particulier, à savoir celle qui distingue les partis de masses des partis de cadres. Dans le cas des partis de cadres, ils sont le fruit de l’émergence du suffrage et de la démocratie représentative. En effet, c’est la première forme de partis politiques. Ce sont des partis ayant peu de membres. Leurs membres sont généralement des personnes avec une grande influence qui exercent dans les institutions politiques établies ou au sein d’un groupe parlementaire. Il faut noter qu’au sein de ces partis la discipline est assez souple ceci en raison de la personnalité des membres du parti.
Dans le cas des partis de masses, on peut dire que leurs conditions d’émergence sont liées à la montée en puissance des mouvements syndicaux et aussi à l’instauration du suffrage universel direct. Les partis de masses nécessitent une structuration et une coordination pour une meilleure représentation des intérêts de leurs partisans. Les partis de masses privilégient un grand nombre d’adhérents. On distingue ici :
- Les partis de masses spécialisés qui se limitent à la vie politique ;
- Les partis de masses totalitaires qui en plus de la vie politique s’étendent au contrôle de la vie privée des individus.
Une fois le concept de partis politiques définit et une typologie établie, il est désormais impérieux de faire un exposé sur l’histoire constitutionnelle du développement des partis politiques et une présentation des dispositions infra-constitutionnelles concernant les partis politiques.
II- Cadre législatif et réglementaire d’émancipation des partis politiques.
Analyser le cadre législatif et réglementaire de l’émancipation des partis politiques au Cameroun dans le cadre de la construction d’une démocratie apaisée, revient à examiner le dispositif constitutionnel dédié aux partis politiques ceci à travers l’histoire constitutionnelle de l’émancipation des partis politiques (A) d’une part et de l’autre une exposition du dispositif infra-constitutionnel qui est une expression du dynamisme juridique au service de l’émancipation des partis politiques au Cameroun (B).
A- L’histoire constitutionnelle de l’émancipation des partis politiques au Cameroun.
L’histoire constitutionnelle de l’émancipation des partis politiques au Cameroun renseigne à suffisance sur la constitutionnalisation de la contribution des partis politiques à la vie politique au Cameroun. Ainsi, l’histoire constitutionnelle de l’émancipation des partis politiques dans le cas du Cameroun, appelle donc à revisiter trois périodes intimement liées à savoir :
- La période du parti unique (1960-1990) ;
- La période de la libéralisation politique (1990-1997) ;
- L’après constitution du 18 janvier 1996.
Dans le cas de la période du parti unique, il faut dire qu’après son indépendance acquise en deux temps en 1960 et 1961, le Cameroun a adopté un système de parti unique avec l’union nationale Camerounaise (UNC) comme seul parti autorisé à exercer. Cette période est particulièrement caractérisée par, une consolidation du pouvoir présidentiel et une suppression progressive des libertés politiques au Cameroun. Il faut tout de même reconnaitre que la partie occidentale qui accède à l’indépendance qu’en 1961 après celle orientale en 1960, avait un dynamisme impressionnant en termes d’existence de partis politiques surement à cause de méthode d’administration implantée dans cette partie du pays par l’administration britannique à savoir l’« indirect rule ».
Le vent démocratique qui va souffler sur l’Afrique francophone après la rencontre de la Baule, passera aussi par le Cameroun obligeant l’ordre dirigeant à revoir les positions « unijambistes » en ce qui concerne les partis politiques. En effet, entre 1990 et 1997, on assistera à une libéralisation politique sous pression interne et externe surtout après les consultations électorales de 1992, qui ont largement divisé le pays et la scène politique camerounaise. L’avènement d’une nouvelle constitution le 18 janvier 1996 sonne comme un espoir dans l’émancipation des partis politiques, à travers la constitutionnalisation du rôle des partis politiques (article 3 de la constitution). Cette période se caractérise par une légalisation de nouveaux partis politiques et la tenue d’élections multipartites. On peut tout de même déplorer le fait que, le RDPC digne héritier de l’UNC soit resté incontestablement et sans partage le maître du jeu politique. Si le RDPC a été secoué aux prémices du multipartisme au Cameroun, le temps fait ressortir l’incroyable adaptabilité de ce parti qui aujourd’hui domine la scène politique camerounaise. D’un partage de sièges à l’Assemblée nationale à sa défaveur dans les années 1990, ce parti aujourd’hui grâce à son dynamisme et ses alliances stratégiques, s’est construit une majorité relativement "obèse" au sein des deux chambres du Parlement au Cameroun.
La dernière période est celle de l’après constitution du 18 janvier 1996 qui consacre de façon définitive et réelle un système multipartite qui nourrit la démocratie apaisée souhaitée par le Président Paul Biya. Il faut préciser que la constitution de 1996 a consacré le pluralisme politique, organisé le fonctionnement des partis politiques mais force est de constater que seul le RDPC peut revendiquer une occupation totale du territoire national faisant de lui un parti à tendance national au contraire de certains qui sont plus à ancrage régional voire départemental faisant d’eux des partis à tendance régionale ou départementale [1].
En somme, aujourd’hui le système politique camerounais reste marqué par une prédominance du RDPC, malgré la présence d’un pluralisme politique formel. Les enjeux constitutionnels autour des partis politiques continuent de passionner les débats politiques au Cameroun appelant à un dynamisme du cadre législatif et réglementaire infra-constitutionnel qui fera l’objet d’un examen à la suite de ce travail de recherche.
B- Dispositions infra-constitutionnelles : un dynamisme juridique au service de l’émancipation des partis politiques au Cameroun.
Dans le cas du dispositif infra-constitutionnel, il faut dire qu’il est assez dense et dynamique. En effet, le cadre législatif fait l’objet de plusieurs amendements et ajustements au fil des années pour s’adapter à l’évolution du paysage politique au Cameroun.
On retrouve ici :
- La loi n°90/056 du 19 décembre 1990 sur les partis politiques qui définit les conditions de création, d’organisations et de fonctionnement des partis politiques au Cameroun d’une part et de l’autre fixe notamment les formalités d’obtention des agréments, les conditions d’éligibilité des responsables, les règles de financement des partis politiques.
- Le décret n°2008/013 du 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement de la commission électorale nationale indépendante. Ce décret définit le rôle et les compétences de cette institution dans l’organisation des élections, y compris la validation des partis politiques.
- La loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral qui définit la participation des partis politiques aux différentes élections à savoir présidentielles, législatives, municipales, sénatoriales. Cette loi définit aussi les conditions d’enregistrement des partis politiques, les modalités de dépôts des candidatures, les règles de campagnes électorales.
- La loi n°2019/024 du décembre 2019 portant Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques qui dispose du financement public des partis politiques et le contrôle de leurs comptes.
Cette dense et dynamique production législative et réglementaire est une preuve de l’importance et de la place non négligeable que ces formations politiques occupent dans la scène politique Camerounaise.
Aux termes de ce travail, il faut retenir que les partis politiques au Cameroun sont des acteurs majeurs de la vie politique du pays donc les actions sont encadrées par des dispositions constitutionnelles et infra-constitutionnelles. L’histoire constitutionnelle de l’émancipation des partis politiques au Cameroun renseigne à suffisance sur les défis auxquels font face ces formations politiques et appellent à des mesures correctives pour une meilleure contribution de ces acteurs à la vie politique du pays.
Notes bibliographiques.
Constitution du Cameroun du 18 janvier 1996 modifiée en avril 2008
Duvrger Maurice (1951) : les partis politiques, Paris, A. Colin
Ela Evina (2023), Le RDPC : Parti de masses ou parti de cadres [2]
Lapalombara, J et Weiner, M (1966), political parties and political development, comparative politics, (1), 1-20
Loi n°90/056 DU 19 décembre 1990 sur les partis politiques
Décret n°2008/013 DU 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante
Loi n°2012/001 DU 19 avril 2012 portant Code électoral
Loi n°2019/024 de décembre 2019 portant Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques
Ntuda Ebode Joseph Vincent (2005), partis politiques et processus de démocratisation au Cameroun ; Yaoundé, Presses universitaires ; (2010), partis politiques et régionalisme au Cameroun, Yaoundé, Presses universitaires ; (2015), partis politiques et enjeux de gouvernance au Cameroun, Yaoundé, Presses universitaires ; (2017), les partis politiques et la construction de l’Etat au Cameroun, Yaoundé, Presses universitaires.