Jamais une crise sanitaire n’a eu autant d’impact sur le psychologique, le politique, le sociétal, le financier, les modèles économiques et sur ce qui nous intéresse ici, le management stratégique.
Aujourd’hui les modèles managériaux sont meurtris et affectent la singularité de chaque structure entrepreneuriale, grande ou petite, déséquilibrant la globalité du système jusqu’alors considéré comme stable. Dans ce contexte, RSE, éthique et compliance prennent une dimension plus concrète.
Les observations entre 2020 et 2021, et ce, dans différents secteurs d’activité, vont dans le sens d’un bouleversement de tous les repères jusqu’alors pourtant quasiment institutionnalisés. Le management stratégique, et par effet de conséquence, le management opérationnel se sont retrouvés instantanément démunis. L’incertitude des prévisions et des stratégies dans le temps et dans l’espace a ainsi lourdement malmené les rouages du management opérationnel et entravé les projections stratégiques.
Le Covid et sa cohorte de mutations a dès lors attaqué de front la maxime d’Eisenhower : « ce qui est important est rarement urgent et ce qui est urgent est rarement important ».
Le doute et le danger touchent en plein cœur la force vive, à savoir l’humain, dissolvent tous les repères et provoquent une confusion, mais surtout une condensation de l’urgent et de l’important.
En physique, la condensation a deux possibilités de résultats, la liquéfaction et la cristallisation. La première pourrait être relative à une notion d’adaptabilité, la seconde à celle de rigidification, de crispation. Étymologiquement du latin « condensatio », rendre plus épais, dans le contexte actuel, la condensation densifie les notions d’urgence et d’importance tout en les confondant, produisant une contraction du temps et de l’espace qui nuit à la bonne marche du management stratégique. Cela revient, pour les dirigeants, à réfléchir sur au moins deux registres en même temps tout en n’ayant pas la possibilité de se référer à l’expérience ou à l’intuition, lesquelles ne l’oublions pas, sont toujours intimement liées. Dans ce contexte, urgence et importance fusionnent, et comme au niveau de notre astre solaire, et de la fusion nucléaire qui s’y opère, la fusion de ces deux indicateurs économiques demande énormément d’énergie, donc plus de ressources vives.
De récentes études en psychologie du travail démontrent que la réflexion où les tâches simultanées dans deux registres différents s’exercent est totalement inefficace.
Le « multitasking » ou le « multitâche » est clairement non efficient. Ces prouesses sont de l’ordre du fantasme du point de vue neurologique. Il a été démontré que pour les individus particulièrement performants, beaucoup de problématiques peuvent être gérées en peu de temps, mais certainement pas en même temps. La force de ces personnes performantes réside dans le fait qu’elles sont en capacité de résoudre rapidement une tâche et de passer instantanément à une autre avec toujours la même acuité décisionnelle, mais sont nullement dans la capacité de gérer les différents axes de problématiques au même moment.
Ainsi, si être débordé est dans l’air du temps, l’ombre portée du burn-out peut en obscurcir les meilleures volontés. Beaucoup cultivent ainsi, volontairement ou par la force des choses, ce fantasme qu’il serait bon d’enterrer définitivement pour éviter de sombrer dans les risques psychosociaux (RPS) d’autant plus quand on sait que sur les dirigeants pèse une obligation de sécurité de résultat afin que ces derniers assurent la sécurité et la protection de la santé physique et mentale de ses salariés [1].
Ainsi, dans cette réflexion sur le management stratégique, à l’aune de cette obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des salariés, jamais les dirigeants n’ont été aussi isolés face aux éléments, internes et externes. Les outils informatiques, les modèles de management, la gestion de ressources humaines et les prévisions se retrouvent dans une réalité où le danger et le risque sont accrus. De fait, privilégier l’une de ses ressources n’a aucun sens, puisque pour que le modèle économique fonctionne, il faut nécessairement lier l’ensemble. Qu’elles soient humaines, techniques ou environnementales, ces ressources servent à fluidifier le système opérationnel et stratégique de la structure.
Par nécessité ou par impuissance, le management stratégique a désormais les caractéristiques d’un isolement aliénant, et ce pour bon nombre de nos dirigeants ; cet isolement aliénant pouvant retomber en cascade sur les salariés en fonction leurs responsabilités respectives (notamment les managers).
La condensation et la fusion de l’urgent et de l’important produisent des situations nouvelles, tout aussi mutagènes et variantes que la Covid.
Or, il est évident que ces nouvelles réalités ne peuvent rester en l’état, sans solution. Si la solitude systémique des dirigeants est communément partagée à ce niveau de responsabilité, elle s’est amplifiée et a muté en isolement lors des confinements imposés par la pandémie.
La distinction entre isolement et être seul est à préciser ici tout particulièrement, car être seul peut-être un choix, une décision propre, très souvent relative à la notion de responsabilité où malgré la présence d’une équipe efficiente le dirigeant se retrouve seul face à la décision à prendre. En effet, le dirigeant porte seul juridiquement les conséquences de ses décisions et de ses actes. De son côté, l’isolement fait référence à une coupure avec une réalité, un cadre, une dynamique. L’isolement est un frein à une vision plus globale, à une clairvoyance.
Les prises de risques jusqu’alors bordées par des lois et par des modèles socio-économiques suffisamment récurrents, suffisamment connus, s’inscrivent désormais dans une révolution multi-factorielle imposant une révision des stratégies de fond, tout en évitant l’inflation de l’urgence et de l’important.
L’isolement et la solitude des dirigeants deviennent désormais beaucoup plus profonds et marqués, activant ainsi ce que A. W. Tucker dénonçait dans le « dilemme du prisonnier ».
Par cette dénomination, l’auteur révèle qu’un individu coupé de toute possibilité de dialectique prend systématiquement la plus mauvaise décision. Le manque de repères et l’incertitude situationnelle animent des prises de positions stratégiques court-termistes éloignées de toutes projections constructives, devant ainsi sans cesse être remaniées et adaptées. Ce processus vicieux entraine épuisement et sentiment de dévalorisation.
Réanimer la confiance, la clairvoyance et la motivation ne peut passer que par une réappropriation de l’identité et de l’histoire de la structure. Cimentée elle-même par la résolution des situations de crises antérieures, elle a ainsi gagné notoriété, durabilité et lettres de noblesse. L’élève de A. W. Tucker, J. F. Nash, prix Nobel d’économie, a pour sa part tenté de contrer le « dilemme du prisonnier » par la loi de « l’équilibre de Nash », nécessitant de se baser sur la décision des pairs. Dans le contexte de crise économique actuel, la labilité accrue de l’environnement renforce l’instabilité de stratégies jusqu’alors éprouvées, déséquilibre les échanges et donc favorise amplement l’isolement décisionnel des dirigeants même les plus entourés et les plus avisés.
Sur un plan stratégique, revenir aux fondamentaux, tout en innovant, devient un défi exaltant où la pluridisciplinarité et la témérité ne peuvent que donner naissance à de nouveaux modèles nécessairement plus humains, nécessairement plus dématérialisés, et donner de nouvelles perspectives au management opérationnel. La RSE s’inscrit dès lors au centre du système entrepreneurial et nécessite des apports extérieurs.