La nouvelle énonciation des motifs du licenciement.

Par Alain Hervieu.

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Explorer : # licenciement # code du travail

L’ordonnance du 22 septembre 2017 modifiant les règles relatives à l’énoncé des motifs du licenciement, parallèlement à un assouplissement, réintroduit une complexité certaine de cette étape essentielle de la procédure de licenciement.

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La loi du 13 juillet 1973, créant la première procédure légale applicable au licenciement, avait permis au salarié dans les 10 jours de la notification de son licenciement, de demander à l’employeur de lui faire connaître les motifs réels et sérieux de son licenciement. A défaut de réponse de l’employeur, le licenciement était présumé irréfragablement, sans motif réel et sérieux.

La loi du 3 juillet 1986 avait modifié ce système, en imposant à l’employeur de faire connaître ces motifs, dans la lettre de licenciement elle-même. La jurisprudence avait parachevé ce système en lui apportant trois « précisions » :
- L’employeur ne peut invoquer devant le juge, que les motifs énoncés dans cette lettre, laquelle fixe donc le cadre du litige,
- Les motifs énoncés doivent être suffisamment précis et vérifiables,
- A défaut, le licenciement n’a pas de motif réel et sérieux.

Ce faisant, on avait, à côté de la nécessité pour l’employeur d’avoir un ou plusieurs motifs réels et sérieux (aspect substantiel), créé une autre obligation, celle de faire connaître en temps et lieu utiles ces motifs (aspect formel), la sanction étant la même dans les deux cas, l’absence de cause réelle et sérieuse.

On avait ainsi modifié le terrain du contentieux, puisque avant que le juge n’examine l’existence objective d’un motif réel et sérieux, il devait vérifier si celui-ci avait été énoncé dans les formes requises.

A défaut, le licenciement devenait sans motif réel et sérieux, sans qu’il soit utile d’examiner le fond, et même si par ailleurs, le licenciement était justifié par des motifs réel et sérieux, mettant ainsi la formalisation des motifs du licenciement au premier plan.

Ce mécanisme était, et est resté, craint par les employeurs, même si le temps et l’expérience aidant, ils sont devenus beaucoup plus circonspects dans la rédaction de leurs lettres de licenciement, devenues très souvent très motivées.
Il restait pourtant, le cas même marginal de l’employeur envoyant trop rapidement une lettre de licenciement incomplète, et qui ajoute un motif dans une lettre postérieure que le juge refuse de prendre en compte…

C’est essentiellement ce mécanisme aujourd’hui bien connu que l’ordonnance du 22 septembre 2017 sur la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail modifie. Cette ordonnance n’est que l’un de volets de l’importante réforme mise en place par les ordonnances du 22 septembre 2017, mais elle est celle qui intéresse le plus directement les salariés et qui suscite donc en premier lieu, l’intérêt.

C’est donc sur ce problème de la formulation des motifs du licenciement qu’il faut ici s’arrêter.

Tout d’abord, et il s’agit là dune modification de taille, l’article 1232-6 du Code du travail, modifié par l’article 4 de l’ordonnance indique que l’employeur pourra (il ne s’agira donc pas d’une obligation) utiliser pour notifier le licenciement des modèles qui seront fixés par un décret en Conseil d’État, à venir. Ces décrets préciseront les délais et conditions de la demande qui pourra être faite par le salarié, pour obtenir des précisions sur les motifs de son licenciement. Mais rien n’est dit par ailleurs sur le contenu de ces futurs modèles, ni sur la réponse de l’employeur et les délais de celle-ci.

Pourront-ils se suffire à eux-mêmes, et en ce cas, qu’en sera-t-il de l’énonciation des motifs du licenciement dans ces modèles ? On ne peut sur ces points qu’attendre ces décrets.

Pour le surplus, l’article L 1235-2 alinéa 2 modifié, rappelle une règle importante qu’il conforte en la légalisant : la lettre de licenciement, éventuellement complétée, fixe le cadre du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement.

Le périmètre de l’énonciation des motifs se trouve ainsi clairement défini, et on doit s’en féliciter.

L’autre élément nouveau introduit par l’ordonnance est la possibilité ouverte à l’employeur de préciser a posteriori, les motifs du licenciement.

Pour essayer de définir le domaine de cette possibilité, il faut souligner qu’elle n’accorde pas selon le texte, un droit de « repentir » ouvert à l’employeur lui permettant de rajouter n’importe quoi, mais est destinée seulement à lui permettre de « préciser » les motifs précédemment énoncés dans la lettre de licenciement .

Cette disposition a seulement pour objet de permettre le rattrapage des motifs vagues ou insuffisamment précis contenus dans la lettre, et contrer ainsi la jurisprudence qui en déduisait l’absence de motif réel et sérieux.

L’employeur pourra utiliser cette faculté de complément, soit en réponse à la demande du salarié, soit, et cela est important, de sa propre initiative. Il aura ainsi un délai pour corriger les défauts des motifs invoqués. Encore faudra-t-il qu’il l’utilise.

Pour le surplus, l’ensemble des règles dégagées par la jurisprudence sur le contenu de l’énoncé des motifs reste d’actualité, par exemple, lorsque les motifs énoncés, pour des raisons diverses sont impropres à caractériser un motif réel et sérieux, répondant aux exigences légales.

Ainsi considérée, cette innovation de l’ordonnance doit être ramenée à sa juste importance.

On peut ensuite se demander si cette faculté de complément de la lettre de licenciement a une portée générale à tous les licenciements.

Le texte précise que cette faculté s’applique aux licenciement « ordinaires » (référence à l’article article L 1232-6) ainsi qu’aux licenciements économiques (référence aux articles L 1233-16 et 1233-42), néanmoins on peut sérieusement douter de la généralité de sa portée pour diverses raisons :

Tout d’abord, on ne peut oublier que l’article 1235-2 modifié se situe dans un ensemble de normes, avec lesquelles il faut le combiner dans le respect des règles de la hiérarchie de celles-ci.

Or, de nombreuses conventions collectives prévoient l’obligation de mentionner les motifs du licenciement dans la lettre de notification de celui-ci et cette obligation paraît prévaloir sur le texte de l’article L 1235-2 nouveau.

Certes, l’alinéa dernier de ce texte diminue la portée des procédures conventionnelles ou statutaires applicables au licenciement en n’en faisant que des irrégularités de forme sanctionnées d’une indemnité d’un mois de salaire, mais ce dernier texte ne vise que les procédures de consultation préalable au licenciement et ne concerne donc pas l’obligation qu’elles rappellent fréquemment de mentionner les motifs dans la lettre de licenciement.

Ensuite, lorsque l’on est en présence d’un licenciement disciplinaire, le règlement intérieur qui doit rappeler les garanties disciplinaires des salariés, rappelle donc les dispositions de l’article L 1332-1 qui prévoient qu’« aucune sanction ne peut être prise contre un salarié sans que celui-ci soit informé dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui ».

A la fois pour la contradiction avec ce texte et pour la méconnaissance du règlement intérieur qui en résulterait, cette faculté de compléter la lettre de licenciement ne semble pas applicable aux licenciements disciplinaires pour faute.

Ceci semble réduire fortement la portée de cette faculté de complément. Notons cependant que l’on réintroduit ainsi une dualité de régimes de la motivation du licenciement, comme cela avait existé entre 1982 et 1986.

Quelle est ensuite la conséquence d’une énonciation de motifs insuffisants ou irréguliers ?

Tout d’abord, l’article L 1235-2 modifié prévoit dans son alinéa 3 que si le salarié ne forme pas de demande tendant à voir préciser les motifs invoqués dans la lettre de licenciement, l’absence ou l’insuffisance de ceux-ci ne prive pas en soi le licenciement de motif réel et sérieux, et constitue une simple irrégularité de forme sanctionnée par une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire.

On peut donc penser a priori, même si cela incite l’employeur à donner des précisions auxquelles il n’aurait sinon pas songé, que le salarié aura intérêt à faire cette demande systématiquement.

Pour autant, cette règle ne devrait être applicable que dans la mesure où l’employeur peut y répondre utilement, c’est-à-dire en dehors des cas évoqués ci-dessus, car on voit mal reprocher à un salarié de ne pas avoir adressé à son employeur une demande à laquelle celui-ci ne peut répondre.

On peut donc penser que dans ces domaines, l’irrégularité ou l’insuffisance de l’énoncé des motifs du licenciement restera sanctionnée par l’absence de motif réel et sérieux, conformément aux dispositions du nouvel article L1235-2 alinéa 4.

Celui-ci indique que « en l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le préjudice résultant du vice de motivation de la lettre de rupture, est réparé par l’indemnité » allouée selon le tableau fixé au nouvel article L 1235-3.

Il semble que l’absence de cause réelle et sérieuse visée par le texte résulte du vice de motivation, ce qui fait du licenciement, un licenciement « simplement » sans cause réelle et sérieuse, indemnisé conformément au barème forfaitaire.

En pareil cas, le salarié pourra-t-il en outre contester au fond le motif de son licenciement pour démontrer son caractère éventuellement abusif et tenter d’obtenir ainsi une réparation non plafonnée ?

Nul doute que le nouveau système de motivation institué, s’il a pour objet de sécuriser les employeurs, ne manquera pas de donner lieu à un contentieux important, et qu’il reviendra donc encore à la jurisprudence d’en préciser les contours et la portée.

Alain HERVIEU

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Discussions en cours :

  • Vous faites référence aux dispositions de l’article L1232-1 du code du travail en matière de licenciement disciplinaire sans prendre en compte l’article L1333-3 qui indique que "lorsque la sanction contestée est un licenciement les dispositions relatives au présent chapitre ne sont pas applicables.
    Dans ce cas, le conseil de prud’hommes applique les dispositions relatives à la contestation des irrégularités de licenciement prévues par le chapitre V du titre III du livre II" , soient les art L1235-1 à L1235-17
    Ce qui ne permettrait pas de dissocier les dispositions du licenciement disciplinaire de celles des autres licenciements

    • par Alain HERVIEU , Le 13 novembre 2017 à 16:29

      Cher Monsieur,
      L’article L1333-3 alinéa 1 évoqué figure dans le chapitre III du Droit disciplinaire consacré au contrôle juridictionnel des sanctions.
      Les articles L1333-1 et 2 définissent les modalités de ce contrôle et les pouvoirs du juge en la matière, notamment la faculté d’annuler une sanction ne respectant pas les règles posées.
      L’article L1333-3 alinéa 1 a pour seul objet d’écarter les règles résultant des deux dispositions précédentes ("du présent chapitre") lorsque la sanction est un licenciement.
      Or, d’abord, l’obligation de motivation de la sanction relève de la procédure disciplinaire et non du contrôle.
      Ensuite et sur un plan formel, l’article L1333-3 exclut l’application "des règles du présent chapitre "(III) en cas de licenciement disciplinaire, alors que l’obligation de motivation figure dans le chapitre II qui n’est pas concerné.
      C’est d’ailleurs, sauf erreur de ma part, ainsi que depuis 1982, on a appliqué ces deux textes...
      A.HERVIEU

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