La para-légalité : rebonds élastiques entre droit « souple » et droit « normatif ». Par Edwin Matutano, Avocat.

La para-légalité : rebonds élastiques entre droit « souple » et droit « normatif ».

Par Edwin Matutano, Avocat.

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Explorer : # droit souple # para-légalité # hiérarchie des normes # normativité

La "para-légalité" est constituée d’un ensemble composite, qui inclut tout autant des actes situés en marge de la normativité que de véritables lignes de force qui paraissent influer et orienter cette dernière. "Droit souple", il s’agit également, parfois, d’un droit impérieux, s’il n’est impératif.

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La liaison qui peut être établie entre l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998, la « décision » non publiée du ministre des Finances en date du 23 septembre 1889 selon laquelle l’Etat est son propre assureur, [1] un Accord National Interprofessionnel, la « nomenclature Dintilhac » issue du rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels et publié par La Documentation française en juillet 2005, [2] la rédaction d’un exposé des motifs accompagnant le dépôt des projets de loi, une circulaire, un rapport de la Cour des comptes, un avis du Haut conseil des biotechnologies émis en application du I de l’article L. 532-3 du Code de l’environnement, apparaît, à première approche, indiscernable.

Ce lien est celui qui unit quelques exemples du droit souple, [3] notion dont la complexité d’appréhension, en ce qu’elle suppose d’articulation nécessaire avec les sources du droit et la notion de norme, n’a pas fini de susciter des commentaires doctrinaux.

Le rapport du Conseil d’Etat pour 2013, qui lui fut consacré, a constitué, sur ce point, comme un révélateur, surtout en droit public interne. A bien des égards, cette étude du Conseil d’Etat a formé une étape essentielle, dans la reconnaissance du droit souple et au travers des premières conclusions que la nomologie peut en tirer.
Le Conseil d’Etat a ainsi dégagé une définition de ce droit, aux aspects multiples et aux dénominations variées, selon les domaines auxquels il se rapporte.
Par delà cette définition, le juriste éprouve le besoin de répondre à la lancinante question de sa justiciabilité [Melleray (F.), Le contrôle juridictionnel des actes de droit souple, RFDA, 2016, p.679 ; Dutheillet de Lamothe (L.), Odinet (G.), Un recours souple pour le droit souple, AJDA, 2016, p. 717.]] et partant, de sa situation, de son rang dans la hiérarchie des normes, les deux qualités ayant partie liée [4].

En effet, qu’il s’agisse du Conseil d’Etat, par son rapport précité, ou bien ultérieurement, au contentieux, [5] mais également, du Conseil constitutionnel, à travers certaines de ses décisions, ou qu’il s’agisse encore d’autres sources du droit, à commencer par la loi, tous ont parfois inclus le droit souple au nombre des « normes » [6].
Ce terme symbolise le passage d’un état, sinon neutre, du moins inorganique aux yeux des juristes qui se contentent d’une définition du droit découlant de l’application d’une règle ou d’un principe obligatoire, liant le contentieux et opposable devant le juge, à celui de référence vouée à régir des comportements au sein de la société en son ensemble ou de groupes spécifiques en son sein en vue de faire respecter un ordre donné.
C’est à un tel stade que le droit souple paraît revêtu d’une certaine ambiguïté.
Tant qu’il ne concurrence pas les règles et principes, ayant leur place dans la hiérarchie des normes ou identifiées comme sources du droit, ce qui n’est pas lourd de même sens, mais qui y est parfois assimilé, [7] les esprits enclins aux classifications sont satisfaits.
Dès lors, en revanche, que le droit souple peut être teinté de similitudes troublantes d’avec le droit pourvu d’une plus grande rigueur, les taxinomies paraissent devoir être refondues et les catégories découpées autrement.
Et l’on recherche alors les lignes de partage, à l’intérieur du droit souple et de ses nombreuses composantes, qui permettent d’isoler celles parmi ces dernières qui seraient moins flexibles que les autres, afin de faire de ces lignes de partage des critères opérants.

Dans cette quête, l’analyste peut être tenté de s’attacher aux relations qu’entretiennent le droit souple et le droit « normatif », afin de dégager un ou plusieurs critères décisifs aptes à distinguer ceux des actes du droit souple les plus empreints de certaine roideur de ceux demeurant parfaitement élastiques.
Et de ce point de vue, interrogeant la nature de ces relations et en particulier, le rapport chronologique qui lie les actes relevant du droit souple des normes authentifiées comme telles, il est loisible de s’intéresser à la notion de « para-légalité » [8], entendue comme regroupant les actes nés en marge de la légalité, du droit positif, afin de tenter de percevoir si elle pourrait, en droit, servir d’explication globale aux circonstances tenant à l’apparition et à la diffusion du droit dit souple.

Partant, une telle recherche conduit à se demander si le droit souple est subséquent aux règles pleinement identifiées ou bien s’il en constitue, à l’inverse, la préface.
Dans les deux cas, sa normativité potentielle peut brouiller ce que l’on sait de la hiérarchie des normes. A travers cette étude, c’est l’actualité de la loi, au sens le plus large du terme, de la norme, qui se trouve placée à la croisée de chemins dont certains paraissent escarpés, voire vertigineux.
En effet, à l’heure de l’émersion du droit souple, de la reconnaissance et de l’identification de ses diverses catégories, la loi connaît simultanément comme un déclin, dans sa solennité, mais aussi à travers son effectivité.

Cet état des choses conduit à se demander si des actes et instruments issus du droit souple pourraient ne pas engendrer, dans certains cas, une application plus stricte que celle provoquée par l’adoption de la loi, ce qui paraît paradoxal, à première approche. L’inversion des effets qu’une telle observation induit déconcerte les adeptes de la hiérarchie des normes et donne également une nouvelle vigueur aux réflexions sur les sources du droit [9].

Dans cette optique, nous nous proposons, dans un premier mouvement, d’inventorier la notion de « para-légalité », avant que, par un second volet, de mesurer les conséquences que les rapports mutuels entre les actes relevant de cette dernière et la loi ont sur les notions de « légalité » ou de « normativité ».

I. Le droit souple, ensemble d’une « para-légalité » hétérogène.
II. Les rapports entretenus entre « para-légalité » et droit « normatif ».

Lisez l’intégralité de l’article dans le document joint ci-après.

Edwin Matutano
Avocat à la cour
Docteur en droit
Enseignant à l’Université de Lille

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Notes de l'article:

[1Franc-Valluet (F-P.), De la règle « L’Etat est son propre assureur », Revue générale des assurances terrestres, 1978, p.596 ; Bahougne (L.) Le principe selon lequel « L’Etat est son propre assureur », RFDA, 2014, p.1167.

[2A laquelle le Conseil d’Etat a finalement accepté de se référer, après l’avoir refusé : CE 7 octobre 2013, n° 337851, ministre de la défense c/Hamblin.

[3Thibierge (C.), Le droit souple-Réflexions sur les textures du droit, Revue trimestrielle de droit civil, 2003, p. 599 ; LAVERGNE (B.), Recherche sur la soft law en droit public français, Presses universitaires de Toulouse 1 Capitole, 2013.

[4En dépit, en droit administratif, de la catégorie, résiduelle, mais persistante, des « mesures d’ordre intérieur » et de celle, également présentée comme subsistante, des « actes de gouvernement », à l’égard desquelles le juge administratif ne se reconnaît pas compétent pour en apprécier la légalité ; de tels actes participent assurément du droit « dur ».

[5CE 21 mars 2016, n° 368082,n°368083, n°368084 et n°390023 (deux affaires).

[6« Il y a identité de fonction entre le droit dur et le droit souple. Tous deux ont pour objet d’influencer le comportement de leur destinataire », Conseil d’Etat, « Le droit souple », La Documentation française, 2014.

[7LASSERRE-KIESOW (V.), L’ordre des sources ou le renouvellement des sources du droit, Recueil Dalloz, 2006, p.2279.

[8Dubreuil (C-A.), La para-légalité administrative, RFDA, 2013, p.737.

[9Barraux (B.), Les nouveaux défis de la recherche sur les sources du droit, Revue de la Recherche Juridique-Droit prospectif, 2016-4, n°164 ; Dossier AJDA, Les petites sources du droit administratif, AJDA, n°16,2019, 6 mai 2019, pp. 916-940.

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  • par Claudine Oosterlinck, juriste , Le 21 octobre 2019 à 09:27

    Cette notion du droit souple correspond à une nécessité sociétale autant qu’humaine. J’entrevois là une ébauche de passerelle entre droit et équité.

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